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par Francis PIAN • le 6 juillet 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: L’Oiseau rouge

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« Naviguer entre deux mondes »

Les idées et les luttes ne sauraient se limiter aux conflits sociaux en Europe ou dans les pays industriels dits développés. Les peuples autochtones ont connu les massacres, la sauvagerie de la conquête, l’éradication, considérés qu’ils étaient comme des êtres sauvages. (cf Christophe Sand, Hécatombe océanienne, Histoire de la dépopulation du Pacifique et ses conséquences ( XVIe -XXe siècle), Ed. Au vent des Îles, 2024 et Collectif, direction de Pierre Singaravélou Colonisations. Notre histoire, Ed. du Seuil, 2023, tous deux commentés dans la chronique Des idées et des luttes sur le site du Monde libertaire).

Malheureusement, trop d’entre eux n’ont pas pu transmettre leur culture, leurs revendications, leur exigence de reconnaissance, de dignité. Ce constat est une évidence en Amérique du Nord. La « conquête de l’Ouest » fut ponctuée de crimes, de mensonges, de reniements par les envahisseurs. Zitkala-Sa témoigne dans son livre regroupant quatre récits publiés entre 1900 et 1902. Elle appartenait au groupe des Ihanktonwan et parlait la langue dakota. C’est pourquoi les éditions Les Prouesses ont choisi de sous titrer la réédition de ses textes : Mémoires d’une femme dakota. Le livre a pour titre L’Oiseau rouge le nom de plume que cette femme s’est choisi et que les missionnaires lui ont refusé.

Nous sommes en lisant cet ouvrage dans une période où les autochtones sont assignés à résidence dans des réserves, subissent la politique assimilationniste saccageant leur culture, leur langue, leurs rapports à l’environnement en raison d’une déportation loin de leurs terres ancestrales. Il y a cette terrible formule d’un certain Henry Pratt, « tuer l’indien et sauver l’homme ». Comment s’adapter et « naviguer entre deux mondes et accepter d’exister dans un compromis permanent », comme le souligne Céline Planchou dans sa préface. J’invite à lire cette préface avant d’entrer dans le livre car nous sommes nombreux à disposer d’informations floues sur cette période. Les grandes batailles sont passées mais comment subsistent ces femmes, ces hommes ?

« Rabattus comme un troupeau de bisons »
Zitkala-Sa vit avec sa mère dans une de ces réserves, les pages consacrées à son enfance montrent une douceur de vivre. Pourtant, le père et les hommes de la famille étant morts au combat, sa mère déteste les Visages-Pâles. « Auparavant, nous vivions bienheureux ; mais les Visages-Pâles nous ont tout volé et nous ont chassés jusqu’ici. Ils nous ont éloignés de force de nos terres pour mieux nous en déposséder. […] Ils nous ont rabattus comme un troupeau de bisons » Sa force, elle la tient de sa mère. Dans l’enseignement de sa culture, le respect des morts, de l’hospitalité, les broderies de perles, le séchage des fruits et légumes, comme pour mieux nous préparer au drame. De très belles pages abordent le rapport à la nature.

S’adapter sans se renier
Et puis des missionnaires sont arrivés dans la réserve, ont fait miroiter l’attrait de la nouveauté et des jeunes filles dont Zitkala-Sa sont parties pour l’endoctrinement dans un grand et sinistre bâtiment. Elles sont observées par les Visages-Pâles comme des animaux. On leur coupe les cheveux, un geste de désappropriation culturelle. Comme dans une prison, un bagne, les contraintes sont insupportables, les attitudes du personnel méprisantes. Zitkala-Sa parvient à se préserver, à prendre en compte des éléments de cette nouvelle culture. Oui, ces autochtones sont bien entre deux cultures, ils doivent s’adapter sans se renier. Zitkala-Sa intègre même l’Université , un grand succès mais au fond d’elle-même… « En esprit, je voyais ma mère loin dans les plaines de l’Ouest. Accusatrice. » Les deux cultures. Elle enseigne aux indiennes, mais constate les mauvais traitements qu’elle a subis et qui perdurent dans ces écoles indiennes. A-t-elle raison ? Une très belle page porte sur son introspection. « A présent, Je ressemblais à un bâton dénudé et sans vie, plantée en terre étrangère. » Elle démissionne et s’engage dans d’autres études, dans un combat pour la reconnaissance de la dignité des autochtones. En 1926, elle crée le National Council of American Indians (NCAI), dans le but de réunir les Nations autochtones et les aider à défendre ensemble leurs droits et leurs priorités. Elle le préside jusqu’à sa mort. Le livre est écrit dans une langue travaillée et des faits constatés avec des yeux d’enfant. Vous la verrez évoluer, prendre conscience. Elle valorise sa culture par la beauté et la poésie de son style, renforcée par les illustrations et les lettrines de Hinook-Mahiwi-Kalinaka, graphiste, militante contemporaine de Zitkala-Sa. Le dernier chapitre est intense mais je laisse le soin de le découvrir. Oui, Zitkala-Sa est une passeuse de cultures. Comme le souligne sa traductrice, Marie Chuvin, « elle utilise la langue de l’autre pour parler de son peuple ».

• Zitkala-Sa
L’oiseau rouge
Mémoires d’une femme dakota
Ed. Les Prouesses, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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