Pour comprendre l’Irlande, un livre incontournable !

« Pendant plus de trente ans, l’Irlande du Nord a été le théâtre d’une guerre sans équivalent dans l’histoire de l’Europe contemporaine. Une guerre sans siège, sans bataille, sans bombardement aérien. »
Par ces mots, Daniel Finn introduit son livre Par la poudre et par la plume, histoire politique de l’IRA, publié en 2023 aux éditions Agone.
Près de 3 500 morts et 48 000 blessés. Des souffrances insoutenables, des tortures, des fusillades, des deuils. Ces évènements paraissent lointains. Bloody Sunday, 1972. Les accords du Vendredi saint, 1998. Depuis ces accords signés par les différents protagonistes dont l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et les troupes unionistes, l’observateur distrait pourrait considérer que la paix est réalité en Irlande.
Pourtant, les immenses murs surmontés de grillages, divisant les villes comme celle de Belfast, avec d’un côté le drapeau britannique, de l’autre le drapeau irlandais, les portes blindées des quartiers, fermées la nuit, les fresques célébrant les combattants et les victimes de part et d’autre, les échanges avec les habitants démontrent une tension perceptible.
A Derry (et surtout pas Londonderry), la domination protestante est physique, urbaine. Le quartier protestant aux immeubles anciens et cossus, sur la colline, surplombe les quartiers catholiques en contrebas où les fresques rappellent notamment le massacre causé par l’armée britannique, 17 morts lors d’une manifestation pacifique, Bloody Sunday. Parfois, aujourd’hui, la presse se fait l’écho de déceptions, de rancœurs, d’absences de respect des engagements. Est-ce que tout pourrait repartir ?

Qu’est-ce que l’IRA ?
Comment comprendre cette guerre ? C’est tout l’intérêt de l’ouvrage de Daniel Finn.
En premier lieu, qu’est-ce que l’IRA ? Un acteur majeur du conflit avec jusqu’ à 10 000 membres, une adhésion ou au moins une tolérance des catholiques irlandais, à défaut de la hiérarchie catholique. Des techniques de guerre quasi professionnelles de l’aveu des militaires britanniques. Deux branches existent, l’une armée clandestine, l’autre politique légale avec parfois les mêmes dirigeants. Il faut noter dans la réflexion politique de l’IRA, l’importance des idées socialistes, voire marxistes, même si le fait communautaire reste fondamental tant sur l’unification de l’Irlande que sur la part de la religion catholique.
Pour mieux nous faire comprendre le cheminement, l’ouvrage dresse un historique de la lutte. Un vieux combat que celui de l’indépendance de l’Irlande. Il débute au XVIIIe siècle sous l’impulsion d’un certain Wolfe Tone. La répression sera sauvage. En 1848, le peuple irlandais connaît la Grande Famine, le départ vers les USA. Des négociations sont menées avec Londres, les mouvements politiques se développent et le lecteur peut se perdre dans les nuances.
Très utilement l’ouvrage comporte un index des noms propres, un glossaire des termes utilisés, une chronologie, ce qui en fait un outil particulièrement pertinent pour pénétrer ces évènements.
Vous retrouverez l’insurrection écrasée de Pâques 1916, l’apparition de l’IRA en 1919. La construction de ce mouvement avec les grands débats. La lutte armée, la dimension socialiste, la priorité au nationalisme ?
Pour encore mieux comprendre les antagonismes, Daniel Finn rappelle les orientations des protestants notamment de l’Ordre orange, leurs positions dominantes dans la politique et l’économie. Les catholiques eux sont dans les secteurs ouvriers peu qualifiés. Et même encore aujourd’hui, on peut constater les différences, les discriminations.

La répression comme unique réponse
La répression est l’unique réponse aux revendications. La comparaison avec la lutte du mouvement noir américain pour la reconnaissance des droits civiques est intéressante (cf Le Mouvement, Thomas C. Holt. Ed La Découverte, 2021, Chronique Des Idées et des luttes 31 mai 2021). Les militants protestent contre l’insuffisance de réactivité des officiels de l’IRA. Ils vont créer l’IRA provisoire.
« L’arrivée d’hommes convaincus, comme Gerry Adams, que la lutte armée devait s’accompagner d’une action politique se révéla par la suite capitale pour l’évolution des Provisoires. »
Cela constituera un travail de longue haleine. Dans un premier temps, l’IRA provisoire bénéficie du recrutement de jeunes, ouvriers qui veulent en découdre. Les arrestations succèdent aux violences de l’armée britannique, aux louvoiements et atermoiements des gouvernements britanniques, conservateurs et travaillistes, aux menaces des groupes protestants. Le drame du Bloody Sunday sera couvert par des rapports fallacieux. Que faire ? La lutte armée ou la plume ? l’action violente ou la politique ? On mène les deux successivement, parallèlement en fonction de l’adversaire.
Un autre intérêt du livre : ne pas prendre position, exposer les faits et en montrer les conséquences parfois gravissimes comme les attentats à la voiture piégée. Le sort des prisonniers politiques est odieux. Le gouvernement de Margaret Thatcher laisse mourir Bobby Sands le 5 mai 1981. L’Irlande du sud reste d’une prudence de loup. La population est épuisée par tant de souffrances depuis tant d’années.

Vers la paix ?
Le contexte évolue, l’IRA aussi. Elle autorise les responsables de se présenter aux élections. Gerry Adams est élu en 1983 Président du Sinn Féin [note] , la façade légale. Des négociations s’opèrent entre les sensibilités catholiques. En 1994, l’IRA annonce le cessez-le-feu, suivie par les protestants. C’est un grand soulagement. La démarche classique, électoraliste permet des succès pour les candidats du Sinn Féin qui se banalise au Sud. Le combat est-il achevé pour autant ? La question irlandaise est revenue au premier plan avec le Brexit.
La réunification est certes importante pour les électeurs mais « ils attendent avec impatience des progrès tangibles sur les sujets sociaux qui les ont portés initialement vers le Sinn Féin, comme la santé et le logement ».

Francis Pian

Par la poudre et par la plume. Histoire politique de l’IRA, Daniel Finn. Ed. Agone, 2023