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par Francis Pian • le 2 avril 2023

Des idées et des luttes : La Mine en procès

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Une autre lecture d’un même livre

Aux morts au cœur de la terre

Des catastrophes humaines dans les mines du Nord dues au grisou, éboulements de terrain, il y en eut quantité. Tout un chacun se rappelle la pire en nombre de morts et de blessés, celle de Courrières en 1906. Mais jusqu’à la fermeture des mines dans les années 1980, la dernière, la fosse d’Oignies en 1990, les souffrances des familles constitue un long et sinistre cortège. Philippe Artières, historien, auteur de nombreux ouvrages dont Le Peuple du Larzac en 2021 (cf Des idées et des luttes 14 juin 2021), coordonne la publication d’un recueil de textes, de témoignages, de reportages photographiques, de comptes rendus d’audience complété par une analyse fine et intelligente du drame Fouquières-lès-Lens en 1970 au titre évocateur La mine en procès aux éditions Anamosa en 2023.

Au matin du 4 février 1970, vers les 7 heures, une explosion retentit, la sirène emplit d’un son lugubre le bassin minier. Bilan 16 morts. Encore ? En trop ! et pourtant il y aura la catastrophe de Liévin en 1974 avec 42 morts.

Le seuil d’intolérabilité est dépassée
Au-delà de l’évocation du drame, Fouquières-lès-Lens déclenche une vague de protestation dans le prolongement de 1968. Il s’agit bien de dénoncer les Houillères, l’exploitation des mineurs, les maladies, les accidents du travail non reconnus par les médecins à la solde des patrons, l’absence de respect des règles de sécurité par les ingénieurs et les porions, les contremaîtres, pour maintenir la production. Un mouvement, La Gauche prolétarienne, souhaite ouvrir « de nouveaux fronts », ses militants « s’établissent » avec plus ou moins de bonheur. Certains sont dans le Nord et l’idée d’un procès des Houillères se fait jour. Le seuil d’intolérabilité est dépassée dans l’opinion publique. Des mineurs s’expriment, la CGT d’obédience PCF tente d’empêcher que le mouvement lui échappe. Le pouvoir pompidolien s’attaque aux gauchistes, fait adopter la loi anticasseurs, arrête des militants, les traîne devant la Cour de Sûreté de l’Etat, juridiction d’exception créée en 1963 contre l’OAS, supprimée en 1981. Les organisations de gauche, progressistes dénoncent une oppression coordonnée par les différentes institutions régaliennes d’un Etat particulièrement réactionnaire et obtus.

Jean-Paul Sartre sera à l’origine de cette idée de tribunal populaire où pourront témoigner les mineurs, les experts, les militants. Michel Foucault est plus mitigé mais dénonce vigoureusement la police et la justice. Les médias retiendront les images fortes des obsèques, le discours de Joseph Valois délégué des mineurs. Qui est responsable ? Il faut savoir ! Les étudiants de l’École des Mines se mobilisent, ils expliquent, démontent les arguments fallacieux des Houillères, y compris devant la Cour de Sûreté de l’État dont les juges vacillent dans leurs certitudes.

Juger les Houillères
Le tribunal populaire s’installe le 12 décembre 1970 à Lens, dans une salle prêtée par la municipalité socialiste dirigée par André Delelis, malgré les pressions patronales, préfectorales et de la gauche stalinienne.
Présidente du jury : Eugénie Camphin, résistante, épouse et mère de mineurs, ancienne communiste, avocat général : Jean-Paul Sartre, un jury composé d’un ingénieur, de deux médecins, d’un ancien mineur et d’un ouvrier.
Pourtant c’est une salle de 700 personnes qui va rendre son verdict. Évidemment pas de surprise, les Houillères sont condamnées. L’aspect le plus important, c’est que les faits sont analysés, décortiqués, les mineurs parlent de leur vie, les spécialistes retournent les affirmations de l’entreprise,

Le livre contient toutes les minutes du procès, les rapports des experts. Enfin, on entend d’autres propos que les discours larmoyants et convenus des institutionnels et des patrons. A travers ce procès, transparaissent les cris et les pleurs des familles, des 900 morts par an de la silicose, des 90 morts par an, victimes d’un coup de grisou ou d’un éboulement.
Les diagnostics des médecins, jusqu’à la fin de l’exploitation des filons, révèlent leur connivence avec les Houillères. Oui, pour un peu, c’est la faute des mineurs s’ils sont silicosés à 90 %. Certains médecins avoueront qu’ils sont payés par les Houillères. En pratique, cela n’a pas bougé depuis le début du 20ème siècle. J’ai présenté, dans cette chronique, un ouvrage Les gueules noires consacré aux mineurs de ce temps (cf Des idées et des luttes 6 novembre 2022), le chapitre consacré aux médecins tend la main aux pages de La mine en procès.

Journal d’une veuve de mineur
Un autre aspect intéressant de ces évènements réside dans la mobilisation des artistes, peintres, sculpteurs. Une expo-vente est organisée au profit des mineurs. Une permanence dans l’action se traduit par des œuvres souvent anonymes. Une autre exposition intitulée Journal d’une veuve de mineur se tient au cœur du bassin minier. Le PCF est furieux, Aragon plus stal que jamais. Un album reprend le titre de l’exposition.

Fin des accidents dans la nuit de la terre en France en 1990 mais c’est dans les pays défavorisés que l’Occident a rejeté ces souffrances. N’oublions pas que la houille produit l’énergie depuis la Révolution industrielle. Aujourd’hui des hommes, des femmes, des enfants sont exploités pour extraire des métaux rares.

En France, tout va-t-il pour le mieux en matière de sécurité au travail ? Certainement pas, les salariés, tués, gravement blessés, handicapés à vie, victimes de l’amiante traduisent l’absence de respect des mesures de sécurité de la part des patrons qui veulent toujours accroître la productivité, tout comme les Houillères n’ont jamais respecté une règlementation de … 1810. Toujours plus de fric !!!

Francis Pian

La Mine en procès, Fouquières-lès-Lens, 1970. Philippe Artières. Ed. Anamosa, 2023

PAR : Francis Pian
Groupe Commune de Paris

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