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par Francis PIAN • le 3 décembre 2023

DES IDEES ET DES LUTTES: Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923)

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L’art pour agir

De Théophile-Alexandre Steinlen, nous connaissons évidemment la célèbre affiche du Chat noir, le cabaret montmartrois. Or cet affichiste, graveur, peintre, sculpteur sut mobiliser ses talents artistiques au service de la cause sociale, du monde ouvrier.
Pour valoriser son œuvre, le musée de Montmartre organise une exposition de ses œuvres jusqu’au 11 février 2024. Comme le soulignent les organisateurs, « un fil conducteur se détache, celui de l’engagement, tant l’artiste associa art et politique en se faisant témoin de son temps. […] il croyait en la mission sociale et politique de l’art comme voie et voix vers un monde meilleur. »

L’exposition s’organise selon un parcours chrono-thématique. Le premier temps traduit la passion de Steinlen envers les chats, vous retrouverez L’apothéose des chats. A son arrivée à Montmartre, venant de Lausanne, il fréquente les cercles anarchistes de la Butte et devient un des porte-paroles du peuple, des marginaux, des déclassés, illustrant de nombreuses revues à l’expression radicale. Le deuxième temps exprime ce contact avec ce peuple de la rue. Les maçons creusois, les charretiers, les terrassiers croisent les mineurs, les trieuses, ces femmes qui triaient les morceaux de charbon. Je renvoie au livre Les gueules noires d’Emile Morel réédité chez A propos et illustré par Steinlen (cf chronique Des idées et des luttes, 6 novembre 2022), le texte et les illustrations traduisent admirablement la souffrance des travailleurs de la mine, tout comme les tableaux Les Mineurs aux couleurs de la terre et Les Trieuses de charbon marchant dans le vent, sous la pluie.

Une enquête de terrain
Parmi les gens de la rue, nous retrouvons les prostituées. Terrible visage de La pierreuse, prostituée démunie réfugiée dans les ruelles et les fortifications. Mais aussi cette jeune fille, La Fille du faubourg, ou celle du tableau Le Prolétariat de l’amour. Pour mieux montrer la vie de ces femmes, il se rendra à Saint-Lazare, la prison pour femmes, y mena une enquête de terrain.
La misère s’affiche et le trait souligne la souffrance. Exemple, Hiver, 1892 laisse deviner un froid glacial, cette nuit sans nuage, éclairée par la lune, une femme avec ses trois enfants autour d’elle à la rue et quelques piétons aussi transis de froid.

La société n’offre pas d’espoir ? Le tableau La Commune peint en 1885 traduit l’intensité des combats et cette femme, le drapeau rouge à la main, sur une barricade fait songer à La liberté guidant le peuple de Delacroix, mais elle, elle tombe sous les balles versaillaises. L’appel à la mobilisation des ouvriers apparaît dans d’autres toiles et dessins, je relèverai le pastel, Les Drapeaux rouges. L’aspiration de Steinlen pour une société meilleure s’exprime dans des toiles reprenant les codes de la peinture religieuse mais dénués de toutes références à l’une d’entre elles.
Plus classiquement, il change de style et d’expression dans des peintures de paysage, des nus. Plus original, il peint son modèle Masséida, une femme d’origine Bambara, un des tableaux fait songer à ceux de Gauguin, un autre à Manet. Il s’inspirera d’autres toiles pour donner sa propre vision du thème, il en est ainsi de La Famille, écho explicite à la Sainte Famille.

Comme nombre d’artistes, il est témoin de la Grande guerre et dénonce dans ses toiles et dessins, l’absurdité du conflit. L’un des dessins les plus forts est certainement La Gloire, trois femmes en deuil devant un cercueil recouvert d’un drapeau tricolore et de la palme des anciens combattants. L’exode ou Les camarades traduisent aussi l’horreur de la guerre.

Le catalogue assure une excellente synthèse de cette exposition et met en perspective les toiles, la vie, les sentiments de Steinlen. Il permet au visiteur de garder en mémoire cette histoire et ce talent. N’oublions pas cette passion pour les chats qui inspire Susan S. Bernardo dans un livre destiné aux enfants intitulé L’artiste qui aimait les chats. A noter enfin que ce coin de Montmartre en cette période n’est pas aussi envahi que celui qui donne sur Paris. En descendant les marches vers la mairie du 18e arrondissement, vous croiserez peut-être quelques ombres furtives des communards.

Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923)
• L’exposition du centenaire
Jusqu’au 11 février 2024
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12, rue Cortot 75018 Paris
• Catalogue Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923)
Ed. In fine, 2023

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
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