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par Patrick Schindler le 16 juillet 2018

Le philosophe à l’épreuve des faits

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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1793 de mars 2018

Compte-rendu de l’intervention du samedi 20/01/2018 à la librairie Publico (145 rue Amelot 75011 Paris)



Ce samedi-là, Publico recevait Stéphane Sangral venu présenter l’un de ses derniers livres, Fatras du Soi, fracas de l’Autre, disons le plus politique d’entre eux. Une bonne trentaine de personnes étaient présentes. Censé animer, j’ai d’abord pensé que la séance se passerait de façon traditionnelle, mais ce ne fut pas le cas : la salle a autant parlé que l’auteur, ce qui était plutôt très positif. Au départ, Stéphane nous a développé le concept au cœur de son livre, l’individuité, à savoir la démarche intellectuelle qui tend à remplacer la sacralisation des groupes identitaires par la sacralisation des individus, qui tend à « resserrer la focale sur l’individu pour que la vision sociologique puisse enfin s’emboiter sans douleur à la vision psychologique ». En bref, le respect total pour chacun, ce qui en réalité n’est pas une mince affaire.

Le progrès social consiste pour lui à abolir tous les processus identitaires, à faire qu’une pigmentation cutanée, qu’un genre, qu’une orientation sexuelle, qu’une religion, qu’une nationalité, qu’un niveau économique, qu’un lieu de naissance, ou que n’importe quelles autres caractéristiques, « ne puissent plus jamais définir, et donc spolier, une identité ». J’ai demandé à Stéphane de nous parler des principaux groupes identitaires qu’il abordait dans son livre : « La hiérarchisation de la malfaisance identitaire s’évaluant en proportion de sa capacité à se militariser (c’est-à-dire à répandre la terreur, la domination, la destruction, le viol, la torture, la mutilation et le meurtre), les groupes cristallisés autour des notions de peuple et de religion tiennent les premiers rôles dans la saga du malheur du monde ».

Nous en sommes alors venus à parler de régionalisme. La résonance avec l’actualité était telle que la salle a rapidement enchaîné sur l’indépendance de la Catalogne. Pourquoi les catalans devraient-ils accepter d’être dans un État espagnol qui ne les reconnait pas ? ont avancé certains participants. Beaucoup de voix divergentes se sont alors fait entendre dans la salle. La position des anarchistes espagnols a été aussi évoquée. Stéphane, lui, s’est clairement positionné contre l’indépendance de la Catalogne. Les uns inscrivant leurs pensées dans la logique anarchiste de l’autogestion et du fédéralisme, les autres, dont Stéphane, inscrivant leurs pensées dans une logique de lutte contre le repli identitaire : « Le régionalisme est encore pire que le nationalisme, encore plus étriqué, il va totalement à l’encontre de l’utopie universaliste, il se base sur un affreux mensonge : que les peuples existent autrement que superficiellement, que les frontières ont un sens autre qu’administratif, un sens ontologique. La seule entité politique qui ait de la profondeur est l’humanité dans son entièreté. Plus l’on fragmentera le monde avec des frontières, plus l’on s’approchera de son éclatement ». Un consensus minimal a été trouvé dans le fait qu’il est incontestable que l’égoïsme entre pour une part dans cette revendication d’indépendance : plus riches, ils ne veulent pas payer pour les autres. Mais pour Stéphane « le problème réside moins dans le fait qu’« ils » ne veulent pas payer que dans la simple existence de ce « ils », dans le processus qui, avec quelques détails culturels bricolés en forme de clé, ouvre la porte à une dynamique quasi racialiste, à une dynamique mortifère qui extrait un groupe d’individus du reste de l’humanité. »

Et puis une digression s’est embrayée au sujet de la conception d’un État mondial, seul capable selon Stéphane « de sortir le monde de la loi du plus fort, de cette ignoble loi implicite et archaïque responsable de tant d’inégalités ». Après les réactions radicales du public majoritairement anarchiste et détestant l’État et sa représentation, un apaisement relatif a été trouvé dans l’explicitation, par Stéphane, de ce qu’il entendait par État, à savoir, « non pas le modèle des États démocratiques actuels qui gardent encore en eux tellement de monarchie et donc de théocratie, mais une organisation vidée de toute verticalité, de tout reste de transcendantalité, le cadre minimal pouvant garantir à la fois la richesse des possibilités et potentialités du vivre-ensemble et la richesse, sans nuire à autrui, de la liberté individuelle ». Ne se qualifiant pas d’anarchiste mais de libertaire (à cause de l’idée d’une « loi de la jungle » qui hanterait selon lui le mot anarchie), une partie de la salle a essayé de le convaincre de la pertinence de l’anarchisme fédéraliste. Mais Stéphane reste persuadé que « cette approche, au vu des invariants psycho-sociaux, fera émerger bien plus de violence identitaire que d’utopie libertaire ».

La salle a ensuite abordé les questions de l’identité sexuelle et de la libération actuelle de la parole des femmes. En plus d’exprimer son soutien total à tout ce qui pouvait déconstruire les processus de domination, en l’occurrence ici le phallocratisme, et de souhaiter que la parole des femmes se libère partout sur la planète et notamment là où le phallocratisme est le plus violent, Stéphane a voulu développer sa crainte « des processus d’essentialisation, qui s’infiltrent partout, et qui tendent ici à homogénéiser les femmes dans un statut de victime potentielle et les hommes dans un statut de bourreau potentiel. Même si le phallocratisme est beaucoup plus présent sur la planète que le gynocratisme, je ne veux pas discriminer les différentes discriminations de genre, je veux lutter contre toutes, et c’est pour cela que je préfère la notion d’antisexisme à celle de féminisme ». Une intervenante anarcho-féministe l’a admis mais en rappelant qu’à la base les mouvements identitaires féministes et LGBT avaient pour vocation de faire reconnaitre leurs luttes. Stéphane acquiesça mais rétorqua qu’« essentialiser un genre ou une orientation sexuelle, c’est fatalement maintenir les processus de domination, soit tels qu’ils sont (en emprisonnant mentalement les groupes dominés), soit en les inversant (en faisant de ces groupes des forces de domination) ».

Ceci a amené à parler de l’antiracisme, pour lequel il est « impératif de sortir d’une logique de tolérance intergroupale pour entrer enfin dans une logique postgroupale, en l’occurrence ici postraciale. Il est intolérable d’en être encore au stade de se tolérer ». Plus globalement, c’est le problème de la catégorisation des humains qui a été abordée, « toujours fantasmatique, parfois imaginant l’existence de supériorités impossibles, souvent imaginant l’existence de sous-humains, de monstres, que l’on pourrait mépriser ou dominer ou même exterminer sans érafler notre belle morale. Cette catégorisation, qui nie la complexité humaine, où les « bons » et les « mauvais » sont clairement identifiés et ontologisés, comme dans les contes pour enfants, se retrouve partout, de la géopolitique aux affaires judiciaires. »

Un débat trop intéressant pour ne pas déborder largement sur le temps prévu, car j’ai demandé ensuite à Stéphane de nous présenter ses autres livres, d’une dimension plus poétique. La poésie prendrait-elle le pas sur la politique ? Stéphane Sangral a vendu les nombreux exemplaires qu’il avait apportés, et a fait don de la recette, en soutien, à la Librairie Publico, ce que nous avons particulièrement apprécié et l’en remercions.

Patrick Schindler, animateur du débat, mais moins que la salle !
PAR : Patrick Schindler
Animateur du débat, au même titre que la salle !
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