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Littérature
par Patrick Schindler le 25 janvier 2024

Février de cette année-là (2024) avec le rat noir

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Février grec pour commencer , avec En attendant les barbares de Constantin Cavafis puis, l’Histoire d’un prisonnier de Stratis Doukas.
Tour d’horizon allemand. L’Allemagne des romantiques : Poèmes d’Hölderlin. L’incroyable histoire du Nazi et du barbier d’Edgar Hilsenrath. Le voyage d’un jeune anglais du « Blitz » dans l’Allemagne occupée : Hors de l’abri de David Lodge. Et enfin, l’Allemagne de l’après-chute du mur : Stern 111 de Lutz Steiler.
France : La société mourante et l’anarchie de Jean Grave.
Dernière étape : le Japon en polar : Baka de Dominique Sylvain.

« On ne touche pas sans dommages pour les peuples, au trésor de leurs mythes »
Dominique Fernandez, Proporino ou les mystères de Naples




Plage d’Assini (Péloponnèse), photo Patrick Schindler, fin octobre 2023.

Constantin Cavafis : En attendant les barbares





« On est toujours le barbare de soi-même ou d’un autre à un moment ou à un autre »

Belle introduction à, En attendant les Barbares (éd. Poésie Gallimard). Ou, 184 poèmes écrits entre 1896 et 1933 par Constantin Cavafis, réunis dans cette nouvelle édition et traduits par Dominique Grandmont.
Dans sa préface, Dominique Grandmont évoque le parcours de Cavafis (déjà chroniqué plusieurs fois dans de précédentes rubriques).
Puis, le traducteur nous raconte l’épopée de « l’œuvre subtile et mordante de cet employé de bureau issu de la diaspora grecque et installé à Alexandrie. Poète marginal, libertaire, que l’on a souvent comparé à Verlaine ou Baudelaire, engagé contre toutes les formes d’intégrisme et donnant la parole et faisant l’apologie de tous les « oubliés », petits vendeurs, pêcheurs et garagistes ; princes débauchés ou assassinés. Et qui se sent pour cela plus Grec que les autres : tolérant » !
Pour ce dissident sexuel « Le désir est plus fort que la peur et la honte. Amoureux utopique de la beauté perdue et à la biographie remarquablement vide ». Ses poèmes, brefs et directs n’ont, toujours selon Dominique Grandmont, rien à devoir au romantisme. Alternance équilibrée de petits textes aux références épiques, émaillées de citations de philosophes antiques, de dits et faits de héros de l’Antiquité. De magnifiques poèmes, à la portée très intime, se glissent parmi ces poèmes historiques ou fantasmés. « Je n’ai jamais supporté les plaisirs des amours coutumières », nous confie Cavafis dans un de ses poèmes ! Ce dernier concevait son espace poétique comme un théâtre : « Il jouait littéralement tous les rôles, à haute voix, aussi bien le soir chez lui qu’en s’enfermant dans son bureau ». On a l’impression d’entendre encore sa voix, par-delà les années.
Quelques morceaux choisis :
Monotone : « Pesant ennui d’hier. Au point que demain n’a déjà plus l’air de demain ».
Un vieillard : « Sa prudence insensée, tant d’occasions perdues la rendent ridicule aujourd’hui… Mais à force d’y penser et de se souvenir, le vieillard, a la tête qui lui tourne. Et il s’endort, appuyé contre la table du café ».
La ville : « Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers. La ville te suivra partout, tu traineras dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers ».
Loin : « Je voudrais raconter ce souvenir […] Mais c’est à peine si je me rappelle les yeux ; ils étaient bleus, je crois… Ah oui, bleus ; d’un bleu de saphir ».
En pleine rue : « Il déambule au hasard de la rue, comme ébloui encore par le plaisir défendu, ce plaisir entre tous défendus qu’il vient de connaitre ».
Soleil de l’après-midi : « Un après-midi à quatre heures, nous nous sommes séparés pour une semaine seulement… Hélas c’est une semaine qui dure encore » !
Dans un vieux livre : « Avec ses yeux marron foncé ; avec ses lèvres idéales qui procurent le plaisir au corps aimé ; avec ses membres de rêve, faits pour des lits que la morale courante qualifie de honteux » …

Le volume s’achève sur une trentaine d’esquisses que Cavafis ne jugea pas utile de publier et pourtant…
L’impossible : « Un poète a dit : la musique la plus douce est celle qu’on ne peut pas entendre. Et moi, je crois que la vie la meilleure est celle que l’on ne peut pas vivre ».
Épitaphe : « Je pars serein vers l’Hadès. Là-bas, je retrouverai mes compatriotes. Et je pourrais désormais parler grec avec eux ».
Choses tues : « Qu’on ne cherche pas à découvrir qui je fus. Un jour dans une société meilleure – un autre, fait tout comme moi, apparaîtra, c’est sûr, et agira librement ».
Nous n’osons plus chanter les roses : « Par crainte des lieux communs je garde pour moi bien des choses ».
Ce qui est bien dommage pour nous !
« Voix sublimes et bien aimées avec elles résonnent, pour un instant, les accents de la première poésie de notre vie – comme une musique qui s’éteint au loin, dans la nuit »


Stratis Doukas : Histoire d’un prisonnier




Dans la préface d’Histoire d’un prisonnier (éd. Ginko), son traducteur, Michel Volkovitch commence par évoquer cette funeste année 1922, où les soldats grecs lancés vers Ankara sont écrasés et refoulés jusqu’à la mer (ainsi qu’un million et demi de civils Grecs d’Asie Mineure).
En 1928, Stratis Soukas, qui en fût, est chargé par un journal de Salonique d’aller enquêter sur ces derniers. Un soir dans un café de la Grèce continentale, il tombe par hasard sur l’un d’eux, Nikolas. Ce dernier s’étant échappé des rangs des expulsés, s’est fait passer pour Turc et a ainsi miraculeusement sauvé sa peau. Stratis Doukas, fasciné, écoute son récit (qu’il réécrira trois fois « afin de mettre en valeur le langage populaire oral ») : « Au moment de la déroute, je me suis retrouvé au port de Smyrne avec mes parents. On m’a pris de leurs mains. Et je suis resté en Turquie, prisonnier pendant des jours et des jours ».
Nikolas nous explique ensuite comment il échappe à la faim, aux poux, à la soif : « Ceux qui avaient de l’argent buvaient, les autres buvaient leur pisse » ! Il parvient cependant à s’échapper avec un petit groupe de Giaours (nom donné par les Turcs pour désigner les non-musulmans). Durant quatre mois, ils se cachent (entre autres, parmi un troupeau de moutons de bergers Yürüks), croisent des Arméniens, Juifs et Turco-crétois. Ils volent dans les moulins la nuit, dorment dans des grottes et se lavent dans les torrents. Un matin, ils décident de se séparer et de partir chacun vers son destin. Mais, ce n’est qu’une fois arrivés à ce moment du récit que commence, la grande aventure de Nikolas…

« Un homme qui a pris la route, on ne doit pas le ramener en arrière » !

Hölderlin : Poëmes




« L’excès d’amour dans l’adoration est riche de périls et blesse le plus souvent »

Friedrich Hölderlin est né en 1770, en Souabe (Allemagne du sud). Poète et philosophe de la période classico-romantique en Allemagne, il s’enracine dans la seconde moitié du XVIIIème puis au début du « XIXème siècle romantique ». Il est une figure majeure de cette époque de la littérature allemande qu’une certaine tradition culturelle fait rayonner autour du nom et de Goethe, époque littéraire dite de la Goethezeit. Toutefois, la « Grèce de Hölderlin » diffère du modèle grec classique de Goethe et Schiller. Philosophiquement, Hölderlin occupe une place à part dans l’idéalisme allemand, à côté de Hegel et de Schelling. Interné en 1806, après un traitement qui fait de lui un homme brisé, il échappe à l’enfer de la clinique, rédige encore quelques poèmes et meurt en 1843. Ce n’est qu’au XXème siècle qu’on reconnaîtra l’importance de Hölderlin, assez mal compris de son temps.



Dans son introduction des Poëmes d’Holderlin (éd. Allia), Gustave Roud, (qui traduisit, de 1930 à 1942, la majeure partie des poèmes d’Hölderlin et les rendit accessibles aux lecteurs français), nous livre une peinture efficace du « mystère Hölderlin ». Sa fréquentation des romantiques, Schiller, Herder et Goethe. Mais ce que nous raconte surtout Roud, c’est la solitude du poète qu’il compare à celle d’Arthur Rimbaud, « Tous deux voyants et fils du soleil. Rimbaud dans la violence, Hölderlin avec patience et soumission. Rimbaud fuyant dans le désert, Hölderlin, poète vaincu par la folie ». Enfin, Gustave Roud nous livre quelques anecdotes, ainsi que le commentaire méprisant que firent Goethe et Schiller, à lecture des vers d’Antigone « défigurés par ce fou d’Hölderlin ».* Charmant ! Quelques extraits :
Le pain et le vin : « La ville autour de nous s’endort. La rue illuminée accueille le silence, et le bruit des voitures avec l’éclat des torches s’éloigne et meurt. Rassasiés des plaisirs et des jours, vers le repos s’en vont les hommes. Là-bas, joue un amant, ou peut-être un homme sain de solitude qui se souvient de ses amis perdus, de sa jeunesse ».
La nature : « Lorsqu’elle sombre au long d’une saison, dormir dans le ciel, ou parmi les plantes et les peuples, les poètes aussi s’endeuillent, ils paraissent abandonnés et pourtant pressentent le futur, comme il est pressenti par celle qui repose ».
Patmos : « C’est chose terrible, cette manière qu’a Dieu sans trêve, de disperser au loin ceux qui reçoivent le vivant amour. Oui, quitter déjà le visage des amis bien-aimés, et par-delà les lointaines montagnes s’en aller solitaire ».

Le volume rassemble ensuite quelques lettres, passerelles pour pénétrer dans la vie et les tourments d’Hölderlin. Les notes de bas de page donnent nombre de précisions sur le contexte de l’écriture de ces divers poèmes. Sont également insérées quelques photocopies de poèmes originaux souvent difficilement déchiffrables pour nous, (mais heureusement pas pour les chercheurs), ainsi que de nouvelles traductions. A déguster sans modération !

« La mer enlève et rend la mémoire, l’amour de ses yeux jamais las fixe et contemple, mais les poètes seuls donnent à ce qui dure une assise éternelle ».

Edgar Hilsenrath : Le Nazi et le barbier



Edgar Hilsenrath est né en 1926, à Leipzig (Saxe, Allemagne), dans une famille de commerçants juifs. Il grandit à Halle. À l’avènement du nazisme en janvier 1933, la situation familiale change : brimades à l’école, confiscation des biens... Le père cherche vainement à obtenir un visa pour les États-Unis. Avant « la nuit du pogrom du Reich » en 1938, Edgar s’enfuit avec son jeune frère et sa mère, chez ses grands-parents à Siret, en Bucovine (Roumanie). En 1941, lui, son frère et sa mère, ainsi que tous ses camarades et leurs parents, sont déportés dans le ghetto roumain de Mogilev-Podolsk, qui se trouve aujourd’hui en Ukraine. Lorsque le ghetto est libéré en mars 1944 par les troupes russes, Hilsenrath se rend à pied à Sereth et, de là, gagne Tchernivtsi. Avec l’aide de l’organisation de Ben Gourion, Edgar Hilsenrath, ainsi que de nombreux juifs survivants, tous munis de sauf-conduits étrangers, il gagne la Palestine. Il lui arrive souvent de se retrouver en prison, mais, chaque fois, il recouvre peu après la liberté. En Palestine, il vit de petits jobs, mais, ne se sentant pas chez lui, se résout en 1947, à rejoindre en France sa famille, qui s’y était dans l’intervalle, retrouvée et réunie. Au début des années 50, la famille entière émigre à New York. Là, Hilsenrath subvient à ses besoins à l’aide de petits boulots, tout en écrivant son premier roman. En 1975, il revient définitivement en Allemagne, « afin de s’immerger dans la langue allemande ». Il s’installe à Berlin où il réside longuement avant de décéder en 2018.



Le Nazi et le Barbier (éd. Le Tripode, traduit de l’Allemand par Jörg Stickan et Sacha Zillfarb), ou : l’histoire très originale de Max Schultz, né en 1907.
Fils d’une mère prostituée et d’un des cinq clients habituels de celle-ci ! Reconnu par aucun d’eux, il est adopté par son beau-père qui tient un salon de coiffure. Max Schultz est aryen donc, mais : « aux cheveux très noirs, aux yeux de grenouilles, au nez crochu, aux lèvres charnues et aux dents pourries ». Bref : le portrait-robot d’un petit juif, pour les antisémites. Or, il s’avère que le petit Max est né le même jour et à peu de choses près, à la même heure que le fils des voisins : le petit Itzig Finkelstein.
Ce dernier à présent. Fils du coiffeur du carrefour des rues Goethe et Schiller de la petite ville allemande de Wieshald, dont la boutique ouvre en face du salon du beau-père de Max. Itzig lui, contrairement à Max est « blond aux yeux bleus, nez droit, lèvres finement dessinées et dentition parfaite ». Bref, le parfait petit aryen !
Durant leur enfance, Max et Itzig sont inséparables. Les années passent. On les voit grandir ensemble, traverser la guerre de 14, les années Weimar « décrits par les yeux de grenouille peu objectifs de Max », jusqu’au jour où Adolf Hitler vient à Wieshald faire un discours sur le Mont des Oliviers « surnommé ainsi dans la région car c’est là que chaque année, une marque d’huile d’olive organise un concours de tir pour promouvoir ses produits » ! Tout le monde accourt voir le Führer, « les dégonflés, les lèche-cul professionnels », etc. Conquis également, le lendemain, Max et son beau-père adhèrent aux SA. Evidemment, ils changent de camp quand le vent tourne après la Nuit des longs couteaux, pour adhérer aux SS.
Voilà pour le début de ce livre, à priori aussi irrévérencieux que loufoque. Mais, ce n’est rien à côté de ce qui nous attend rendus à l’époque des déportations et des camps d’extermination. Car, comment s’en sortir et se faire oublier quand on est, « certes un petit poisson parmi les SS, mais qui a tout de même participé à l’assassinat de pas moins de 200.000 Juifs » ?!
C’est alors que se produit l’inimaginable. Et c’est là tout l’intérêt de cette fiction.
Fresque satirique dressée par un rescapé des camps, centré autant sur les excès des Juifs que sur ceux nazis. Récit picaresque, grotesque et gorgé d’humour noir pour dépeindre une si sombre époque.
Et une réflexion philosophique de grande portée, en fin de roman. Incontestablement : une réussite !

David Lodge : Hors de l’abri




David Lodge est né en 1935 à Brockley dans le sud de Londres. Issu d’une famille modeste de religion catholique de Brockley, ses père et mère étaient respectivement musicien dans un orchestre de danse et secrétaire. Enfant, il est marqué par la Seconde Guerre mondiale, les bombardements de Londres, le « Blitz », puis par ses conséquences. En 1951, part en vacances à Heidelberg, à l’invitation de sa tante qui travaille au quartier général de l’armée américaine. Il est subjugué en constatant la différence de situation entre le Royaume-Uni, (où le rationnement est encore en cours), et les pays du continent, comme la Belgique, la France et même, l’Allemagne occupée.




« L’histoire est le verdict que portent ceux qui ont eu la chance et ceux qui n’en ont pas eu » !

Dans sa petite introduction, David Lodge nous explique les similitudes entre Timoty, le héros de Hors de l’abri (éd. Rivages poche, traduction Yvonne et Maurice Couturier), et lui-même.
Même expérience du « Blitz de Londres » en 1940 ; même évacuation à la campagne et années d’après-guerre similaires, qu’ils ont tous les deux passées dans une banlieue sinistre de Londres. Pareil pour ce qui concerne leurs vacances à Heidelberg, à l’âge de 16 ans, « l’une des expériences les plus fondatrices de ma vie », avoue Lodge. Il nous cite ensuite les personnages qu’il a inventés.
Pour David Lodge, Hors de l’abri combine le « Bildungsroman » allemand (roman du passage de l’enfance à la maturité) et le roman autour des conflits éthiques et culturels « à la mode James Joyce ». Et ceci dans le contexte du début des années 50, « années charnières où la société anglaise est passée du socialisme au consumérisme avec la victoire du parti conservateur en octobre 51 ».

Nous voici plongés à l’aube de l’histoire de Timothy, âgé de 5 ans en 1940. Elevé dans une famille catholique aux des parents simples, gentils et attentifs. C’est avec ses yeux d’enfant que nous allons vivre la guerre de l’autre côté de la Manche (ce qui nous change de perspective). Puis la vie qui change étonnamment peu après la guerre, pour cause de rationnement et restrictions. « Alors ça sert à quoi d’avoir gagné la guerre si l’on doit se serrer la ceinture à chaque repas ? ».
Scènes moulées dans les plus purs humour et sens de l’autodérision, si typiquement britannique !
Pendant ce temps, Kath, la grande sœur de Timoty, vit sa vie de jeune fille sans contrainte dans l’Allemagne vaincue et occupée. En tant que secrétaire pour l’armée américaine à Heidelberg. Les années passent dans l’ennui pour Timothy, jusqu’à ce que sa sœur l’invite à venir passer ses vacances à Heidelberg, en juillet 1951.
C’est alors que le livre s’envole. Nous allons découvrir ce à quoi ressemblaient les villes occupées par les Américains, « où deux communautés cohabitaient : tout au fond, les Allemands et au-dessus, flottant à la surface ou évoluant au-dessus d’eux avec un minimum de contact, comme les libellules ou les notonectes : les Américains ». Nous allons fréquenter ces civils et GI’s dans des scènes hautes en couleurs et, en fait, en tout et pour tout qu’un seul et unique Allemand !
Roman exaltant par son rythme et sa verve communicative. Mais avant tout passionnant par sa véracité, puisque précisément, l’aventure de Timoty, David Lodge l’a lui-même vécue !

Lutz Steiler : Stern 111



Lutz Seiler, est né en 1963, à Gera (à l’époque, Allemagne de l’Est), où il termine sa formation professionnelle (avec l’équivalent du baccalauréat), en tant qu’ouvrier du bâtiment et travaille comme charpentier et maçon. C’est durant son service militaire qu’il s’intéresse à la littérature et commence à écrire. En 1990, après la « chute du Mur », Seiler part pour Berlin où il travaille quelques années comme serveur. Il se fait d’abord connaitre comme poète. En 2020, il reçoit le prix de la Foire du livre de Leipzig pour son roman Stern 111 roman à largen part autobiographique. Il est reconnu depuis comme étant « le grand romancier de la réunification allemande ».



Il est toujours plaisant de tomber sur une perle. C’est le cas avec Stern 111 de Lutz Seiler.
Nous sommes en novembre 1989, juste après « la chute du mur », séparant l’Allemagne de l’Est de l’Allemagne de l’Ouest. Carl 26 ans, après avoir été maçon, étudiant raté et poète « en devenir », reçoit un jour, un télégramme de ses parents, Inge et Walter. Ils lui demandent de venir les voir dans sa ville natale à Géra (Thuringe), en ces termes : « Avons besoin d’aide, viens donc tout de suite stp. Tes parents ».
Message court mais éloquent. Ils lui annoncent alors qu’ils ont décidé, contre toute attente, de partir vers l’Ouest. Pensant que le « mur » symbolique ne restera ouvert que quelques jours. Ils s’en vont. Carl reste seul dans la maison familiale et avec la voiture « mythique » de son père. Les jours, puis les semaines passent, sans nouvelles.
Carl cède alors à l’angoisse, car les disparitions se multiplient côté Est. Les gens se volatilisent à l’Ouest, abandonnant père, mère, mari ou femme et enfants. Ils sont environ cent mille ainsi sur les routes. Parmi lesquels : ses parents ! Au bout d’un certain temps, toujours sans nouvelles, Carl décide lui aussi d’abandonner la maison familiale et de partir pour Berlin-Est.
Nous allons alors y découvrir, rassemblés dans un immeuble abandonné et « occupé », une belle brochette de décalés en tous genres, artistes, rêveurs, vieux originaux. Découvrir la première radio pirate de l’Est, le concert de Pink Floyd en 1990 (Another Brick in the Wall !), les premières élections libres, l’union des marks Ouest-Est, etc. Parallèlement, nous allons suivre le parcours, lui aussi, loin d’être triste de ses parents qui, après avoir tout quitté, veulent découvrir le monde de l’autre côté du mur. Mais pour eux tous, quelle marge d’espoir ?
Ce magnifique roman de Lutz Seiler, non sans profondeur philosophique est une belle occasion offerte aux plus jeunes générations de découvrir les deux Allemagnes de, « juste après la chute du Mur ».

Jean Grave : la société mourante et l’anarchie



Jean Grave, fils de communard blanquiste, est né en 1854 au Breuil-sur-Couze (Puy-de-Dôme). Savetier devenu journaliste révolutionnaire, indéfectiblement lié à Pierre Kropotkine, Grave fut un des pionniers de l’anarchisme en France. Militant anarchiste, il assura durant trente ans la parution régulière du Révolté, de La Révolte et des Temps Nouveaux.
Personnalité aussi discrète qu’entêtée, en 1909, dans le numéro des Hommes du jour qu’il lui consacra, Victor Méric en fit ce portrait « Il n’y a pas grand-chose à dire sur cet homme. Comme les peuples heureux, Jean Grave n’a pas d’histoire — pas même de sales histoires qui puissent permettre à la malignité de s’exercer. [...] De plus Jean Grave est très fermé. C’est l’homme le moins loquace de la Création. Il ne dit rien. Il ne veut rien dire sur lui. Il se cantonne dans un mutisme sauvage. [...] Quoi qu’il en soit, il faut le prendre tel qu’il est ; malhabile à la parole, brusque et entêté — d’aucuns disent un peu étroit — mais simple, sans grands besoins, sans vanité et travailleur infatigable. » Source le Maitron (dictionnaire des anarchistes).



Dans leur notice, les éditeurs de cette nouvelle version de La société mourante et l’anarchie de Jean Grave (éd. Lux), nous dévoilent la vie tumultueuse de ce grand personnage central de l’anarchisme. Ils tentent de comprendre pourquoi celui-ci tomba dans « une telle disgrâce » à la fin de sa vie, notamment en tant que signataire avec Pierre Kropotkine et seize autres militant anarchistes, du Manifeste contre l’agression allemande et donc, pour l’intervention des Alliés. Et ceci au grand dam entre autres, de Errico Malatesta, Emma Goldman et Alexandre Berkman, Voline ou encore Sébastien Faure.
Ceci lui collant à la peau, « sans pour autant entamer sa détermination de théoricien ».
Suit une préface de Gustave Mirbeau qui cite quelques bribes d’une discussion qu’il eut avec un ami, au sujet non pas de Grave lui-même mais plus généralement de l’anarchisme.
C’est enfin Jean Grave qui prend la plume pour nous exposer sa conception de « l’anarchie contre l’autorité ». Côté histoire, il nous fait remonter, non sans quelques réserves, jusqu’à François Rabelais et son Abbaye de Thélème, aux Enragés révolutionnaires de 1793, à PJ Proudhon, etc.
Dans un premier chapitre, il tente de répondre « autant à ceux qui veulent accoupler ensemble anarchiste et communisme, qu’à certains autres individus qui se réclament de l’anarchie et fustigent le communisme comme empêchant l’individualité de se développer ». Après une petite digression sur l’histoire de l’égoïsme dans l’évolution humaine, Grave essaie de répondre aux personnes qui trouvent les anarchistes « trop abstraits ». Il va nous montrer en quoi s’instruire est pour lui, une des formes de la lutte sociale « la bourgeoisie ne l’avait-elle déjà pas compris sous la royauté ?! ».
Puis, Jean Grave tente de répondre à cette question : l’homme est-il mauvais ou est-ce la société qui le rend mauvais ? Quid de la propriété, de son origine et ce, depuis la naissance de la Terre (bien sûr, hormis la thèse de son origine surnaturelle !), puis dans les « modestes débuts de l’humanité » et surtout, comment une poignée d’individus accaparèrent les richesses de cette dernière ? Ceci le conduisant naturellement au « mythe de la famille » et de sa prétendue zone d’influence. Grave s’intéresse ensuite aux formes modernes (en son temps) de l’autorité, c’est-à-dire notamment, le suffrage universel « ou la loi des minorités » …
Considérations sur la loi, la magistrature et sur l’évolution du « droit divin sous la royauté », jusqu’à sa forme prise sous la Révolution : « Une duperie de plus » !
Autre domaine exploré des plus instructifs : la soi-disant théorie de la criminalité « innée », notamment selon le médecin italien Lombroso.
Jean Grave épluche ensuite les notions de patrie, d’Etats, de frontières et de races et après une démonstration édifiante à découvrir, en conclue : « Il n’existe pas de races inférieure ». Une note de bas de page souligne cependant les passages où l’antisémitisme de Grave n’est pas absent, du moins jusqu’à son retournement de position vers la fin de l’Affaire Dreyfus.
Suit un chapitre très détaillé sur le patriotisme des classes dirigeantes, leur propagande ou, « Pourquoi l’humanité devrait-elle se diviser en petits casiers où chacun se parque dans son coin en regardant les autres comme autant d’ennemis » ?
Un chapitre à part est consacré au militarisme et à la « caste guerrière » à travers l’histoire. Passage absolument impayable sur la journée type d’un appelé de son époque (le service militaire durait alors trois ans !).
Suite logique : les ravages du colonialisme.
Enfin, Grave conclut son exposé par des arguments écologistes tout-à-fait d’avant-garde, également à déguster. Jean Grave condamne au passage, les actes isolés de certains anarchistes, tout comme il condamne l’apologie du vol (y compris entre camarades), ainsi que la « propagande par le fait ». Et ce, une fois encore non sans argumenter son propos.
Le chapitre sur les divergences des anarchistes (de son époque) est tout-à-fait éloquante, tout comme sa manière d’envisager les moyens d’action et des arguments à proposer aux contradicteurs des idées anarchistes et plus précisément à ceux qui disent « Ah, oui, et après ? ». Nous vous laissons de découvrir sa réponse, ainsi que la synthèse de son exposé. Incontournable.

Dominique Sylvain : Baka !



Dominique Sylvain a été journaliste indépendante pour Le Journal du dimanche, puis journaliste d’entreprise et encore, responsable du mécénat dans la sidérurgie. Elle commence à écrire en 1993, lors de son premier séjour au Japon ; la ville de Tokyo lui inspire Baka ! (« idiot » en japonais).



A court d’argent, Louise Morvan, l’héroïne de Baka (éd. Points poche), détective privée, accepte une mission à Tokyo.
Elle est commanditée et pas par n’importe qui : son client n’étant autre qu’un évêque. Il lui confie la tâche de surveiller son neveu, agent immobilier à Tokyo, mais qui, selon lui, semble y mener une double vie. Le lendemain, Louise s’envole et fait ses premiers pas dans la « jungle tokyoïte, bardée d’une infinité d’écriteaux indéchiffrables, avec son métro qui ressemble à une toile d’araignée sous amphétamines, sous un climat étouffant à 30 degrés, et des plus capricieux. Mais à Tokyo, il n’y a que deux choses que les habitants volent : les parapluies et les vélos ».
Non sans mal, elle arrive à son premier rendez-vous avec un agent consulaire. Puis à un deuxième, pour rencontrer Eve, une Française alcoolique, celle qui va devenir son « assistante ». Cette dernière parle japonais et travaille également comme hôtesse dans un club, à côté de semi-professionnelles déguisées en lycéennes gothiques ou en guerrières ninja !
Enfin, son troisième rendez-vous est réservé au fameux neveu de l’évêque.
Ayant à présent toutes les clés en main, Louise peut alors commencer son enquête. Mais celle-ci va, au fil de jours, se révéler « beaucoup moins touristique que prévue ».
Grandes étapes : le monde glauque et très codé des « Yakouzas » (la pègre locale). Puis, rencontre d’une antiquaire « pas piquée des vers », à moitié sorcière, qui sert de lessiveuse à la mafia locale. Un dirigeant du « nouveau parti conservateur », lié à une secte. Ou encore, un jeune japonais qui vit comme tant d’autres, reclus dans un monde virtuel. Mais surtout côtoyer durant tout le récit de ce polar passionnant, toute une faune « souterraine et fertile dans cette mégapole surpeuplée ». Grandes secousses à prévoir. Un polar « stupéfiant » et dépaysant dans lequel nous allons aussi croiser les ombres de trois écrivains japonais suicidaires : Mishima, Dazaï et Kawabata !

Patrick Schindler, individuel FA Athènes









PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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Volage, le rat noir de la bibliothèque change d’herbage
Octobre... Tiens, le rat noir de la bibliothèque est de retour...
Le rat noir de la bibliothèque pense à nous avant de grandes vacances...
Maurice Rajsfus, une discrétion de pâquerette dans une peau de militant acharné
Juin copieux pour le rat noir de la bibliothèque.
Juin et le rat noir de la bibliothèque
Mai : Le rat noir de la bibliothèque
Séropositif.ves ou non : Attention, une épidémie peut en cacher une autre !
Mai bientôt là, le rat de la bibliothèque lira ce qui lui plaira
Toujours confiné, le rat de la bibliothèque a dévoré
Début de printemps, le rat noir de la bibliothèque a grignoté...
Ancien article Des « PD-anars » contre la normalisation gay !
mars, le rat noir de la bibliothèque est de retour
Janvier, voilà le rat noir de la bibliothèque...
Vert/Brun : un "Drôle de couple" en Autriche !
Ancien article : Stéphane S., le poète-philosophe libertaire au « Sang Graal »
Algérie : l’abstention comme arme contre le pouvoir
Décembre 2019 : Le rat noir de la bibliothèque
1er décembre, journée mondiale contre le sida : les jeunes de moins en moins sensibilisés sur la contamination
A Paris, bientôt de la police, partout, partout !
Les Bonnes de Jean Genet vues par Robyn Orlin
N° 1 du rat noir de la bibliothèque
En octobre et novembre le ML avait reçu, le ML avait aimé
Razzia sur la culture en Turquie
Ces GJ isolés qui en veulent aux homos !
Service national universel pour les jeunes : attention, danger !
Vers l’acceptation de la diversité des familles dans la loi ?
Une petite info venue de Grèce
Le philosophe à l’épreuve des faits
La Madeleine Proust, Une vie (deuxième tome : Ma drôle de guerre, 1939-1940)
Loi sur la pénalisation des clients : billet d’humeur
Les anarchistes, toujours contre le mur !
Le Berry aux enchères
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le 1 février 2024 18:19:20 par Solange

Merci au Rat noir pour ses bons conseils.
Je relis justement en ce moment "Thérapie" de David Lodge : très sympa !

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le 1 février 2024 18:49:11 par Julie

À propos d’en attendant les Barbares de C. Cavafis... Et maintenant, que fera-t-on sans les barbares ? Ceux-ci étaient peut-être une solution ???.... Bien amicalement.. Julie

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le 2 février 2024 15:21:39 par Stéfane S.

Entre Cavafis ( que je découvre ), Hölderlin et Jean Grave ( mais, finalement, est-ce lui qui a inventé le fameux slogan "Ni dieu ni maître" ? ), je suis gâté !!!
Merci cher rat Noir bouffeur de livre !
Amitiés d’un autre bouffeur

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le 2 février 2024 18:54:57 par Patricia Stiebel-Poiré

J’ai beaucoup apprécié cette liste de lectures. Incontournable: le livre "Stern 111"avec une description passionnante des deux Allemagnes juste après la chute du mur et une saga familiale hors du commun .

De Edgar Hinsenrath , je recommande aussi " Les aventures de Runben Jablowski" cavale et humour juif .

les autres livres m’intriguent et je vais m’en procurer quelques uns .
Merci pour ces articles toujours intéressants qui excitent la curiosité et ouvrent de nouveaux horizons

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le 3 février 2024 14:15:38 par Le Rat noir

Cher Stéphane,
Merci pour ton message. Après vérification auprès du Maitron des anarchistes ( excellente référence ), voici l’origine de l’expression Ni dieu ni maître :
"A l’origine, Ni Dieu ni maître était le titre du journal créé en 1880 par le socialiste Louis-Auguste Blanqui et où il défendait ses thèses révolutionnaires, l’expression est devenue ensuite la devise du mouvement anarchiste."
Simple !!!!
Filakia d’Athènes

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le 3 février 2024 14:19:02 par Hélène S.

Caro Rat noir,
Par nos amis Fardoulis quand vivants et nous en Grèce au Cavafy en main , super merci !!!!

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le 3 février 2024 14:23:10 par Jéhan VL

Bien capté : je m’y plonge soleil et chair !...

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le 4 février 2024 09:27:45 par van lnghenhoven

bravo pour cavafy et jean GRAVE ,cher PATRICK POUR LE NAZI ET LE BARBIER DJà lus et connus par LE NOUVEL ATTILA avant que notre ami Ben virot en soit dépossédé et quels autres titres par son ex assicié du Tripode