Nazis ordinaires

Deux biographies reviennent sur l’engagement de deux responsables nazis, engagés sur le Front russe qui après la guerre vivront une retraite presque dorée.

Léon Degrelle d’abord est une figure importante de l’extrême droite depuis l’entre-deux-guerres. Sa biographie revient également sur la galaxie des pros Degrelle qui aujourd’hui constitue une des figures de proue du fascisme. Il souligne que jusqu’à aujourd’hui nombre de groupe d’extrême droite en Belgique comme en France, de Golodfaff à Légion 88 (88 pour « Heil Hitler) en passant par Dieudonné et Robert Faurisson, tous rendent hommage à ce belge sous uniforme SS.
Degrelle est né en 1906 dans les Ardennes dans une famille de commerçants très catholiques. Naturellement, il fait ses études dans les institutions religieuses. Dès ce moment, il se passionne pour les thèses du nationalisme intégral : Maurras, Léon Daudet. Devenu journaliste, il dirige L’avant-garde le journal de l’Aumônerie de Louvain, se prend de littérature et de poésie, nationaliste entendu. Il prend ensuite la direction du Vingtième siècle – ce qui lui permettra par la suite de se prévaloir de l’amitié d’Hergé, ce qui était faux, mais n’empêche pas le dessinateur d’avoir lui aussi collaboré. Outre, son activité de journaliste national-catholique, il prend la direction de la maison d’édition Christus-Rex où il met sa plume au service du catholicisme intégral. Il multiplie les publications et rencontre un certain succès au point de chercher à créer un mouvement : le rexisme, proche dans l’univers politique des Croix de feu. Leur journal, Le Pays réel, dirigé par Degrelle des positions analogues (défense des anciens combattants, des petits commerçants, etc.)

Comme un autre fasciste, Jacques Doriot, qui vient de fonder le Parti populaire français, Degrelle souhaite, obtenir l’approbation et le soutien de l’Allemagne et de l’Italie. Après plusieurs tentatives pour accéder au pouvoir, Degrelle se range naturellement du côté de l’occupant quand la Belgique est envahie et appelle en 1941 à combattre les « judéo-bolcheviques » sur le front de l’Est. D’abord dans la Werhrmacht puis dans les bataillons SS où la division commet de nombreux crimes contre l’humanité – massacres de villageois, exécutions sommaires. En 1944, décoré par Hitler de la croix de guerre. Revenu en Belgique, il se met entièrement au service de la propagande allemande puis participe à la bataille des Ardennes pour « libérer la Belgique ». Contraint de fuir, il se réfugie en Espagne.

À côté de Degrelle, Alfred Douroux représente un soldat de base tout aussi responsable à son niveau. C’est un jeune fasciste. Son fils a découvert son itinéraire tardivement et en propose une biographie sans complaisance. Né en 1920, il est issu d’une famille de droite de la petite classe moyenne. Très jeune Douroux est hanté par la victoire du Front populaire au point d’arborer une cocarde tricolore en plein quartier populaire alors très marqué à gauche.
A vingt ans il s’engage dans la ligue des volontaires français contre le bolchevisme et part combattre sur le front de l’Est. L’auteur souligne que près de 10 000 francophones qui s’y sont rendus n’ont pas fait que combattre, ils ont aussi participé à l’extermination des Juifs et des Tsiganes, aidant les commandos mobiles de tuerie et à plusieurs massacres en Biélorussie comme à Kotovo ou à Kormoran. Le jeune homme a participé au système nazi jusqu’au bout combattant avec les derniers nazis dans Berlin en mai 1945.

Alfred Douroux réussit à rentrer en France, espérant encore reprendre le pouvoir organisant avec ses camarades un complot. Il parvient ensuite à se cacher bien que condamné par contumace avant de bénéficier des lois d’amnistie. S’il a témoigné pour des ouvrages faisant l’apologie de ceux que l’extrême droite a présentés comme des soldats perdus comme Le Rêveur casqué ou Les Volontaires. Le décalage entre la réalité et la mythologie construite est saisissant. Il s’agissait de parfaits nazis fiers de leur parcours. Ceux qui ont survécu se sont reconvertis dans des entreprises privées tout en maintenant une nostalgie, voire vouant un véritable culte à leur engagement de jeunesse. Certains comme Christian Lamazière devenant l’impresario de Dalida ou d’autres comme Jean-Marie Balestre, président d’une fédération sportive internationale. Degrelle quant à lui se planque en Espagne, les demandes de la Belgique pour obtenir son extraction ont été infructueuses. En 1955, il finit par obtenir la nationalité espagnole. Il tente d’organiser l’extrême droite européenne, soutenant notamment son ami Le Pen. L’auteur montre que s’il est un personnage central de l’extrême-droite, son importance demeure relative dans l’histoire de la Belgique. Ces filles participent de cette mythologisation. Tel n’est pas le cas de Philippe Douroux qui dans son livre conçu comme une enquête journalistique et historique répond aussi à une autre logique, il interroge les rapports familiaux, les non-dits, les petites phrases. À sa lecture, on comprend pourquoi le fils n’a pas voulu appeler son père, papa.


• Léon Degrelle
Frédéric Saenen
Perrin 2025 368 p. 25 €

• Un Père ordinaire
Philippe Douroux
Flammarion 2025 364 p. 21,50 €