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Littérature
par Patrick Schindler le 26 décembre 2024

"Monsieur Janvier, c’est des livres francs" exige le rat noir.

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Pour entamer cette nouvelle année en Grèce : deux pièces d’Andréas Flourakis, Je veux un pays et Exercices pour genoux solides. L’Italie ensuite, avec Le Prince de Machiavel. France : relire les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes ; un essai sur Tchékhov : Au loin la liberté de Jacques Rancière puis, la rocambolesque Cavale du babouin de Denis Langlois. Chili : Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda. Enfin, l’Écosse avec Highlands de Jérôme Magnier-Moréno.




Le petit port de Menidi (Etoli -Acarnanie), Photo Patrick Schindler, 2024

« On ne voit pas les virgules entre les maisons, ce qui en rend la lecture si difficile et les rues si lassantes à parcourir » Henri Michaux


Deux pièces d’Andreas Flourakis



Dans la préface de ce petit recueil, Ekaterini Diamantakou, professeur et spécialiste du théâtre grec nous présente l’argument de deux pièces d’Andréas Flourakis, un des principaux dramaturges grecs actuels : « Ces deux pièces ont pour trait commun de constituer un parfait diptyque de la crise socio-économique et migratoire, au passé récent, au présent courant et au futur proche, au niveau grec et mondial ». On ne saurait mieux dire !

Je veux un pays
(traduction Hélène Zervas, éd. L’espace d’un instant) a pour personnages non pas des individus, mais tout un groupe qui dépose ses valises sur scène. Au Festival d’Athènes en 2015, les interprètes de cette pièce n’étaient pas moins qu’une cinquantaine sur le plateau ! Chaque entité qu’ils incarnaient se démarquant de la tradition du monologue, du dialogue ou des intrigues traditionnelles avec pour résultat « Une espèce de mosaïque anonyme d’idées exprimées en phrases courtes ». Jugements cursifs, contestations vindicatives et conclusions plus ou moins rationnelles se succèdent. L’époque de l’action est assez floue, mais pourrait faire supposer qu’il s’agit de la fameuse « crise grecque », ou tout aussi bien se dérouler durant celle du Covid 19. Tout au long des échanges entre les nombreux personnages, ces derniers font référence à un hypothétique voyage imaginaire vers un autre pays.

Petites bribes de conversations à plusieurs voix, tirades et images évocatrices :
« - Et si on partait en bateau ? - Quoi ? nous sauver comme des rats ? - Il n’y a pas d’avenir ici pour nos enfants, pour nos vieux jours - Dans ces conditions, c’est un vrai suicide – Mais moi, je n’ai pas d’enfants ! »
« Si on pouvait partir en bateau, il deviendrait pour nous un pays »
« Partir, certes, mais où ? Dans un pays sans chocolat, la vie n’a aucun sens ! ».

Et chaque suggestion exprimée ramène le groupe à évoquer le plus beau des pays : la Grèce ! Ainsi, comme une boucle sans fin, à chaque fois qu’une idée est émise, de la plus égoïste à la plus généreuse ou la plus farfelue, elle est aussitôt contredite. Pour ce faire, tout y passe en un enchevêtrement souvent confus : les références à la religion, au travail, à l’art, la vieillesse, l’amitié, le nomadisme, ou encore, à l’identité, la mythologie, le nationalisme, l’écologie, la drogue, etc. Déroutant !

Exercices pour genoux solides (traduction Michel Volkovitch), met en scène quatre personnes anonymes : un homme, « une femme », un jeune homme et une jeune femme. Celles-ci se déplacent durant trente-cinq petites séquences, entre deux espaces de travail et deux espaces privés. Situations professionnelles et personnelles se succèdent alors comme dans un film accéléré, empreintes d’un humour glacé et féroce relevant du drame psychologique et social. Non sans épargner quelques savoureuses références aux clichés « made in Grèce ». Côté professionnel, dès la première scène, ça commence très fort. L’homme et la jeune femme, les employés de « la femme », apprennent que l’un d’eux, crise oblige, doit être licencié. Pour y échapper ils vont rivaliser d’arguments et de méthodes les plus ignobles pour en arriver aux pires extrémités. Côté vie personnelle, Nous allons faire la connaissance du fils de « la femme » et de son fils, un jeune homme rébarbatif, feignant, accro aux jeux vidéo et de tendance néo-nazie. Nous sommes gâtés ! Rapidement, ces situations vont tourner au délire. Tango infernal et sanguinaire entre opprimés et oppresseurs dans un pays, lui aussi, au bord du gouffre. Hyperréaliste !

Machiavel : Le Prince



Nicolas Machiavel est né en 1949, à Florence. Humaniste de la Renaissance, théoricien de la politique, de l’histoire et de la guerre, mais aussi poète et dramaturge, il a été pendant quatorze ans, fonctionnaire de la République de Florence pour laquelle il a effectué plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de la papauté et de la Cour de France. Ces années lui ont donné l’occasion d’observer de près la mécanique du pouvoir et le jeu des ambitions concurrentes. Machiavel est à ce titre, avec Thucydide, l’un des fondateurs du courant réaliste en politique internationale. Deux livres majeurs ont surtout assuré sa célébrité : Le Prince et Discours sur la première décade de Tite-Live.



Pourquoi relire Le Prince (éd. G Flammarion, traduction Yves Lévy) de Nicolas Machiavel aujourd’hui ? Dans son introduction, le préfacier Yves Lévy nous en donne une bonne raison : « Ce chef d’œuvre bref et fulgurent, écrit très vite dans les derniers mois de 1513, n’est pas l’œuvre d’un théoricien réduit à l’inaction par une crise politique, mais reprend pour l’amplifier, l’action inlassable de diplomate humaniste pratiquée par Machiavel qu’il a menée au service de Florence. Référence incontournable pour les politiciens - qu’ils l’approuvent, la condamnent - pour tout au moins, la discuter » … Yves Lévy nous rappelle que ce Traité politique était destiné à un prince, « afin de le préparer à bien exercer son métier ». Puis il nous décrit le contexte historique fluctuant de la République de Florence, tout autant que celui de la péninsule italienne, « devenu au hasard des âges le champ de bataille privilégié de l’Europe ». Le préfacier se livre ensuite à la longue genèse du Prince et de ses sources antiques.
Une histoire « étourdissante », mise à l’index par le Pape, après la mort de son auteur (1527). Quelques années plus tard apparaitra pour la première fois dans le vocabulaire, le terme péjoratif « machiavélique » tandis que la réputation de Machiavel ne fera que grandir dans toute l’Europe. Et ce, malgré ses nombreux adversaires et grâce à ses quelques admirateurs enthousiastes qui lui ont fait traverser les siècles, tels Spinoza et plus contemporain, Francis Bacon.

L’ouvrage s’ouvre sur une lettre que Machiavel adresse à Laurent de Médicis. Toutefois, il est difficile de résumer le Traité de politique. Aussi nous vous proposons un petit parcours fléché au travers de ses vingt-six petits chapitres. Les premiers chapitres scrutent les monarchies héréditaires qui ont pour Machiavel, « beaucoup moins de difficultés à se maintenir que les nouvelles monarchies, puisque les premières sont fondées sur la continuité alors que dans les monarchies "mixtes" des pays occupés par la force, les populations locales sont vite frustrées dans leurs espérances ». De nombreux exemples sont cités, de l’Antiquité aux monarchies contemporaines de l’auteur. Premiers piques contre les Églises qui lui vaudront la mise à l’index de son Traité. Dans les chapitres suivants, l’auteur nous livre sa version de la relative pérennité de l’Empire d’Alexandre le Grand, après sa mort. Dans la même optique, Machiavel fait un parallèle entre les stratégies antinomiques de l’Empire romain et celle de l’Etat spartiate, face à leurs conquêtes. Puis, il fait l’apologie des stratégies de Moïse, Cyrus, Romulus et Thésée, pour lui les plus accomplies. Plus contemporains de Machiavel, l’accession au pouvoir par le biais des armes ou de la fortune, de Francesco Sforza et de César Borgia. Nous passons ensuite aux princes scélérats : Agathocle de Sicile et Oliverotto da Fermo. Quelques lignes sur les monarchies « civiles », celle de Spartes dans l’antiquité et les Allemandes, plus « modernes ». Les athées se régaleront du passage consacré aux monarchies « ecclésiastiques ».

Après cet inventaire « à la Prévert » sur toutes les formes de monarchies, Machiavel répond à la question : Quels étaient leurs moyens d’attaque et de défense ? Quid des louanges ou des blâmes adressés aux Princes ? Intéressant : vaut-il mieux pour eux être aimés ou craints, éviter le mépris et la haine ? Encore de nombreux exemples historiques. L’auteur passe ensuite en revue les Princes qui pour « tenir leur État ont désarmés leurs sujets, les ont divisés ou les ont conduits à se faire détester par eux ». Quels « petits trucs » furent utiles aux Princes pour se faire estimer de leurs sujets ? Comment choisir ses ministres et fuir les flatteurs ? Machiavel se penche ensuite sur « ces Princes d’Italie qui ont perdu leurs états » : le roi de Naples, le duc de Milan, etc. Dans les deux derniers chapitres, l’auteur s’exprime sur ce qui à son sens, a perdu l’Italie contemporaine : « un pays sans aucune "digue", sans ordre, sans chef, dépouillé et déchiré ». Aussi, Machiavel exhorte le nouveau Prince auquel il destine son Traité de « ne pas laisser l’occasion que l’Italie voit en lui, un "rédempteur" et un "unificateur" de la Péninsule ».

La dernière page tournée, on en arrive à se demander si un siècle plus tard, Fénelon dans son Télémaque ne s’est pas inspiré du Prince de Machiavel ? Selon l’historien Olivier Leplatre : « Sans doute Fénelon serait-il à même de souscrire, hors de son contexte, à ce constat aigu, lucidement amer, de Machiavel, à cet arrière-fond de pessimisme anthropologique que, personnellement, il emprunte au courant dominant de l’augustinisme, avec des accents parfois d’une radicale sévérité : "Le monde est un Enfer déjà commencé." »
Quoi qu’il en soit, durant notre lecture, n’oublions pas de replacer le discours de Machiavel dans son contexte historique « bien de son temps » : classiste (un passage sur les « pauvres » nous le confirme dans les premiers chapitres), colonialiste et bien évidemment, sexiste. Ainsi peut-on lire, entre autres : « La fortune est femme et il est nécessaire à qui veut la soumettre, de la battre », charmant !!!!


Roland Barthes : Fragments d’un discours amoureux



Roland Barthes est né à Cherbourg en 1915. Critique littéraire et sémiologue, il a été directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études jusqu’en 1975, puis des Hautes études en sciences sociales et enfin, professeur au Collège de France. Il est l’un des principaux animateurs du poststructuralisme et de la sémiologie linguistique en France.



On ne peut être plus clair que Roland Barthes sur l’objet de ses Fragments d’un discours amoureux (éd. Points) : « Le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude […], soutenu par personne, abandonné, déprécié, moqué, coupé […] Il ne lui reste plus qu’à être le lieu d’une affirmation. Cette affirmation est en somme le sujet du livre qui commence. C’est donc un amoureux qui parle et dit ». Nous vous proposons ci-dessous de pitcher à travers les différents topiques (terme adulé de Barthes), qu’il décline par ordre alphabétique tout au long de son discours passionné et passionnant !

C’est la notion d’absence qui amorce ces reflets d’un discours amoureux, ou plus précisément, « l’image des bras levés du Désir et des bras tendus du Besoin ». Et Roland Barthes de développer « le sens phallique des bras levés et l’image pouponnière des bras tendus ». A noter au passage, le recours récurrent de Barthes aux références maternelles (en ceci, similaires à un Marcel Proust). Suivent quelques variations sur le terme « un peu bête d’adorable, évoqué trop souvent par le sujet amoureux vis-à-vis de l’être aimé ». L’être aimé justement, un mot vide ? Mot fétiche, ou mot donnant l’impression d’un disque rayé ? Suit « l’altération du sentiment amoureux », (ou le doute, point de corruption) : « Il suffit d’un mot, d’un geste de l’être aimé qui devient "un autre" et du coup je suis provisoirement "dé-fasciné" » ! Mais au fait, qu’est-ce au juste que l’amour ? Aimer l’autre ou « aimer l’amour » ? Enchantement inexprimable ? Folie ? Drame ? Dépendance, longue plainte ou encore, torture insupportable ? Goethe : « Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis » !

Passage délicieux : Les lunettes noires ou comment cacher ses troubles à l’être aimé ! Deux sortes de désespoir amoureux : le « doute doux » et la « résignation active », ou le « désespoir violent ». Le corps de l’autre : le cœur, organe du désir comme le sexe ? Quels messages délivrent les contacts furtifs avec l’être aimé, ou le « décryptage des signes ». Langage amoureux ou baratin ? La torture du choix d’un cadeau ! Du deuil amoureux : déclin ou « tourbe mal éteinte » ? Quelles solutions au « mal d’amour » ? Suivent, les quatre souffrances de jalousie ! Connait-on vraiment l’être aimé et doit-on se méfier des dits des informateurs externes ? Que se cache-t-il derrière l’affirmation « Je t’aime » ? Le sujet amoureux, ses « rites secrets », sa lecture des « signes » et son fétichisme. Le discours amoureux, « souvent obscène », peut-il étouffer l’autre ?

Et le parcours continue : Quid du chantage implicite au suicide du sujet amoureux et du « sentiment d’avoir perdu ou de ne plus saisir l’autre » ? Le sens des pleurs : est-ce l’amoureux ou le romantique qui pleure (Werther) ? L’amour serait-il comme la guerre, un terrain de conquête, de ravissement et de capture ? La scène amoureuse : est-elle pratique, dialectique ou seulement luxueuse et oisive ? Comme une lutte pour « avoir le dernier mot » ? L’amoureux : un être seul « dans, et contre le monde » ? Alors, la recherche de « l’Union totale » : un rêve ? Vérité ou simplement leurre ? Conclusion optimiste : et si l’amour appartenait tout simplement à « l’ordre dionysiaque du coup de dé » ?!!!...

Tout ceci n’excluant pas quelques références aux lectures préférées et éclectiques de Roland Barthes. A commencer par de nombreux coups d’œil aux Souffrances du Jeune Werther de Goethe, aux œuvres de Honoré de Balzac, de Marcel Proust, Gustave Flaubert, Lautréamont, Thomas Mann, Georges Bataille, Musil, Berthold Brecht, etc... Pour les philosophes et psychanalystes, Nietzche, Deleuze, Lacan et Freud. Et enfin, nombreuses situations relevant de sa propre expérience et de celles de ses amis proches. Bref : un livre jouissif !

Denis Langlois : La Cavale du Babouin



Denis Langlois, avocat et écrivain, est né dans l’Essonne en 1940. Etudiant, il participe aux manifestations contre les guerres d’Algérie, du Vietnam et écrit pour le journal de l’anarchiste-pacifiste, Louis Lecoin. Objecteur de conscience, il est emprisonné pour insoumission et écrit son premier livre. Libéré, il participe aux événements de mai 68. Devenu avocat spécialisé dans les affaires pénales et des Droits de l’homme, il écrira trois livres sur ce sujet et continuera son militantisme en tant qu’avocat. Son essai Les dossiers noirs de la police française lui vaudra la haine de celle-ci. En Grèce, il suit le procès d’Alekos Panagoulis condamné à mort pour son attentat contre le colonel Papadopoulos (encore un livre), puis s’engagera contre la guerre du Golfe et témoignera sur les conséquences dramatiques des guerres en Yougoslavie, Irak, Liban et Djibouti. Son livre Récit édifiant d’un nommé Jésus, lui valut à parution les foudres des catholiques choqués entre autres par cette affirmation : « Jésus n’était qu’un homme ordinaire comme le sont tous les êtres humains. Il a mené une vie banale qui s’est terminée de façon tristement banale et certes pas par une résurrection divine ».



Notre ami Denis Langlois a envoyé La cavale du babouin (éd. La déviation) au Rat noir avec cette dédicace « Nous sommes tous des babouins en cavale » ! Nos lecteurs fidèles ont déjà croisé l’auteur en aout 2021, avec Panagoulis : le sang de la Grèce puis en octobre de la même année, avec Le voyage de Nerval. Arrivé à 80 ans, Denis nous explique qu’il a changé de cap et nous entraine cette fois-ci, dans la folle équipée d’un babouin échappé en aout 1995 …

Echappé d’un zoo ? Abandonné par son propriétaire pour les vacances ? Gardons le mystère. En guise d’avertissement, Denis Langlois nous confie « Cette histoire de babouin, j’ai toujours pensé qu’elle ferait un excellent sujet de livre, mais lorsque je l’évoquais on me répondait : la vie d’un singe n’intéresse personne ». Après bien des années, il décide de se lancer dans le récit des aventures de ce gentil singe qui, « contrairement à Jésus Christ, était moins bavard et moins frimeur ». Aussi, dès le deuxième chapitre, Denis Langlois décide de le tutoyer et de tenir la plume avec son assentiment posthume « car il est bien connu que les singes ne savent pas écrire » !

L’histoire commence un 31 juillet 1995 à Lardy (dans une Essonne que l’auteur puisqu’il en est originaire). Une femme découvre un matin de canicule, un babouin dans son jardin ! Les voisins affolés de ce petit village, prévenus par le bouche-à-oreille, se mettent d’accord et finissement par appeler les gendarmes. Mais rusé, le babouin réussit à leur échapper. Nous allons alors suivre son incroyable périple au jour le jour, à l’appui des procès-verbaux des gendarmes et autres documents officiels et articles de la presse, dont le babouin est alors devenu la coqueluche. Dans la dernière partie de l’ouvrage, en bon avocat, l’auteur prend la défense du Papio cynamolgus et nous invite à revisiter les circonstances « ayant porté à confusion » lors des derniers instants du gentil babouin dans ce petit village de Monnerville.

N’en disons pas plus sur ce cocktail explosif pour un récit époustouflant, raconté avec une fougue et un humour jouissif. Dans lequel nous allons croiser tout-à-tour, notre héros, un certain Jésus « l’homme normal transformé, lui, en héros » et revivre des scènes réjouissantes de l’enfance et de l’adolescence de Denis Langlois, entrecoupées de références aux westerns de Clint Eastwood et bien d’autres. Merci pour ce magnifique récit gonflé d’humanité. Avec un petit clin d’œil au passage au Gorille de Georges Brassens :


Jacques Rancière : Essai sur Tchékhov



Dans son essai Au loin la liberté (éd. La Fabrique), le philosophe Jacques Rancière nous invite à une promenade parmi une bonne quarantaine de nouvelles d’Anton Tchékhov. Afin d’en mieux en saisir le canevas, l’auteur commence par décrypter ce qui se cache sous la première d’entre elles (qui ont toutes soit dit en passant, pour trait commun : la servitude). Elle met en scène un vagabond, promis à la déportation en Sibérie et encadré par deux gendarmes. Durant leur long voyage, ces deux derniers en arriveront à se questionner sur le sens de la liberté « cette déchirure lointaine dans le temps » ! Toujours au sujet de la servitude, mais « subie » dans Au Tribunal. Puis, « habituelle », comme dans Le professeur de lettres ou encore, « soumise à la répétition », dans Trois années. Autre thème évoqué : l’indifférence au temps qui passe, dans Lueurs. Celui des vies perdues est développé dans nombre d’autres nouvelles (comme Ionytch, En voyage, etc.) : « L’appel d’une autre vie libre, mais souvent remise à plus tard devant l’incapacité à prolonger la puissance de l’instant ».

Passons à la passionnante partie analytique répartie dans tous les chapitres, où Jacques Rancière se demande, entre autres, si l’on peut assimiler la vision du monde par Tchékhov au nihilisme ou à l’existentialisme ? Réponses à découvrir … Ses nouvelles sont-elles dotées d’une morale ? Ont-elles un et d’ailleurs, ont-elles même seulement un commencement qui aurait de quelconques conséquences sur la fin - quand celle-ci existe ? Passage intéressant sur la musique du récit « qui ne se trouve pas dans le roman, mais qui arrive dans la vie ou la nostalgie ou les rêves ». Autre question : pourquoi Tchékhov, l’incroyant, n’évoque-t-il Dieu que pour uniquement « marquer les limites de ce que ses personnages sont capables d’identifier et de comprendre » ? Concernant la médecine ou la science : « A quoi bon soigner ? », se demande Tchékhov « puisque c’est la société qui est malade » ! Au fait, Tchékhov était-il un révolutionnaire ? Grande question que l’on retrouve à plusieurs reprises. Quelle que soit la réponse, quel était son sentiment vis-à-vis de ces derniers ? Autre interrogation : a-t-on affaire à des actions violentes dans les nouvelles de Tchékhov, ou bien ses personnages sont-ils les artisans de leurs propres malheurs ?

Enfin, rapprochement intéressant avec les œuvres de ses contemporains, Gustave Flaubert ou Joseph Conrad, « comme le reflet d’une époque » … Au final : essai très réussi de Jacques Rancière invitant à se replonger dans l’univers magnétique d’Anton Tchékhov !

Luis Seulveda : Le vieux qui lisait des romans d’amour



Luis Sepúlveda Calfucura est né le 4 octobre 1949 à Ovalle, Chili. Son premier roman, Le Vieux qui lisait des romans d’amour a été traduit en trente-cinq langues et lui a apporté une renommée internationale. Son œuvre a été fortement marquée par l’engagement politique et écologiste. La répression des dictatures des années 1970, le goût des voyages et un intérêt marqué pour les peuples premiers en sont les autres vecteurs.



Dans la préface du Vieux qui lisait des romans d’amour (éd. Métailié, traduit du Chilien par François Maspéro), Pierre Lepape nous confie que pour lui, « un livre à succès peut très bien livrer des trésors inattendus ». Nous pourrons le constater dès la première scène hilarante du récit qui se déroule en Equateur, dans un petit poste à la lisière de la jungle d’Amazonie.
Là, un dentiste autoritaire qui ne mâche pas ses mots, opère brutalement les habitants des environs, sous le rire sardonique des indigènes Jivaros. Or, la scène est brusquement interrompue par l’arrivée impromptue d’une pirogue transportant le cadavre d’un « Gringo ».
Antonio José Bolivar Proano, notre héros est un vieil homme qui affirme contre l’avis du maire adipeux appelé La limace, que la malheureuse victime s’est fait agresser par une femelle jaguar à laquelle on avait tué les quatre petits ainsi que leur père. Et il s’avère que Bolivar, originaire des montagnes de la cordillère des Andes, sait de quoi il parle. Nous allons alors découvrir son parcours donquichottesque, imprévu et impitoyable dans une forêt amazonienne « ne faisant aucune concession aux humains ». Sinon aux indigènes Shuars qui ont sauvé Bolivar d’une mort certaine avant de lui convier quelques secrets. Arrivé à l’âge de soixante-dix ans que reste-t-il à Bolivar de toutes ces aventures, sinon une dernière passion : « dévorer des romans d’amour désespérés mais aux fins heureuses ». Pourtant, la petite communauté du poste frontière ne va pas tarder à recourir à ses talents. C’est alors que la véritable aventure démarre.

Le vieux qui lisait des romans d’amour
, un petit livre fascinant, bourré d’humanité et plus que souvent, burlesque. Mais en arrière-fonds, on pénètre la triste réalité d’une nature « de plus en plus convoitée par les sociétés pétrolières, après avoir été envahie par des colons et des chercheurs d’or, sans foi ni loi et sans aucun respect pour la faune et la flore amazonienne ».

Jérôme Magnier-Moréno : Highlands



Jérôme Magnier-Moreno est né en 1976, à Paris. Après des études d’architecte-paysagiste, il devient peintre en 2001, réalisant des paysages à la fois figuratifs et abstraits qu’il signe du pseudonyme Rorcha, en référence au test projectif du psychiatre suisse Hermann Rorschach.



24 mai 2013 dans les Highlands (éd. Le sentiment géographique, Gallimard) : Jérôme, un jeune peintre qui ressemble fort à l’auteur, quitte son foyer sur un coup de tête, après une scène de ménage. Il décide alors d’embarquer à 21 heures, à bord du Calenonian Sleeper qui doit l’emporter de nuit, à Inverness dans l’extrême nord de l’Ecosse. Il remarque que curieusement, les horaires de ce train n’ont pas changé depuis son dernier voyage de vacances, alors qu’il était encore un adolescent. Il est également surpris de croiser une femme qui ressemble tout aussi étrangement à sa mère morte encore jeune et qui elle ressemblait à La Jeune fille à la perle, le fameux tableau de Vermeer.
Incapable de trouver le sommeil, il ressasse alors ses souvenirs d’enfance et sa scène de ménage matinale. De fait, son « voyage dans le train de rêve », se transforme en cauchemar. Courte nuit, ivresse, fantasmes avortés et réveil brutal. Mais au petit matin, au détour d’un bosquet, nous pénétrons dans une tout autre dimension : « Elle surgit dans un déferlement d’océan : la Lande. Vagues de terre mauve jetant contre le train son ressac de bruyères. C’est pour elle que je suis revenu, pour sa sauvagerie et pour ses innombrables Lochs, noirs, azur et ses centaines de lacs, dont le plus mystérieux et gardien de mes souvenirs est le "Lac sans nom" donnant l’impression trompeuse d’être épargné par le chaos écologique planétaire, et pourtant ! » …

Ce troublant petit ouvrage tout en couleurs, grâce aux tableaux de l’auteur insérés devient alors un beau rêve éveillé. La nature n’a-t-elle pas, seule, cette capacité à faire oublier un temps, notre pauvre et fatale condition humaine ? Cependant, il convient de garder à l’esprit que la nature sait tout autant se montrer capricieuse, violente et inhospitalière. Ce qui nous vaudra une scène finale palpitante !

Patrick Schindler individuel FA Athènes

Un passager clandestin pour rappeler que l’hiver est là :












PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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