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Théories politiques
par René Berthier le 8 mars 2020

"Eurabia". 3e partie

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Quelle stratégie ?

La question pétrolière
Il apparaît clairement, dans l’analyse de Ye’or, que la politique arabe de la France et de l’Europe est liée à la question pétrolière – et c’est là clairement un reproche. En soi, cela ne devrait tout de même pas être surprenant : en dehors de l’achat par les Européens du pétrole des pays du Golfe – et naturellement de la vente à ces pays de produits manufacturés venant des pays industrialisés – on voit mal quel type de rapport peut s’établir. Il n’en est pas autrement avec les États-Unis.

En 1973, nous sommes en pleine crise, les pays producteurs de pétrole ont augmenté les prix. Ainsi, avant d’établir un dialogue euro-arabe, la Ligue arabe aurait exigé, selon Bat Ye’or, que l’Europe mette en place une politique pro-arabe et anti-américaine dans les domaines politique, économique et culturel. C’est donc la crise pétrolière et la soumission de l’Europe au chantage des pays arabes qui est à l’origine du processus qui a conduit à la domination arabe sur l’Europe. On en est arrivé à une situation où la culture, la politique et la foi islamiques auraient été importées en Europe en même temps qu’une population qui refuse de s’assimiler à la culture européenne. La culture arabe n’a pas changé, tandis que les universités et la politique européennes se sont soumises.
D’une certaine façon, Ye’or pense que l’Europe a vendu son âme contre le pétrole. Il est vrai que l’Europe a mis en place une politique pétrolière radicalement différente de celle des États-Unis. Par politique pétrolière il faut entendre : l’ensemble des moyens mis en œuvre pour assurer un approvisionnement régulier en pétrole. Bat Ye’or évacue le fait que lorsque la première crise pétrolière éclata, le prix du baril n’avait pas évolué depuis des dizaines d’années : le pouvoir d’achat du baril avait donc considérablement diminué alors que le prix des produits manufacturés que les pays arabes achetaient aux nations industrialisées avait subi une constante augmentation ; il y avait donc un grand déséquilibre.
La crise pétrolière de 1973 n’est pas due, contrairement à ce que dit Bat Ye’or, qui ramène tout à son point de vue exclusif, à une «sanction» des pays arabes après de la guerre du Kippour, mais à une simple mesure de rééquilibrage de la part, non pas des pays arabes, mais de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) qui débordait largement le monde arabe, qui inclut des pays musulmans mais pas arabes, mais aussi des pays absolument pas musulmans. Encore un exemple de la méthode consistant à partir d’un point de détail vrai, puis à l’amplifier en le déformant.
Donc l’Europe semble avoir mis en place une politique pétrolière fondée sur un dialogue avec les pays arabes, tandis que la politique pétrolière américaine est fondée sur la violence contre les pays arabes. C’est cela qui choque Bat Ye’or parce que pour elle, les relations occidentales avec les pays arabes ne sauraient être fondées que sur la violence, de la même manière que les relations d’Israël avec les Palestiniens ne sauraient être fondées que sur la violence. Les Arabes ne sont pas des gens avec qui on «dialogue», mais à qui on impose ses volontés. Les Arabes sont des gens avec qui on est en état de guerre permanente, parce que seule la guerre permanente maintient l’existence de l’État d’Israël dans sa forme actuelle.

Démocratiser les pays arabes ?
Le point de vue exclusif de Ye’or se manifeste en particulier sur la question de la démocratisation des pays arabes. Selon elle, il n’y a pas de lien entre la solution du problème palestinien et la démocratisation des pays arabes. Sur ce point, elle n’a pas entièrement tort. Les États arabes prennent prétexte de la non-résolution de la question palestinienne pour retarder indéfiniment toute réforme démocratique. Mais du point de vue américain – soutenu évidemment par les Israéliens et par Ye’or – la «démocratisation» des pays arabes consiste à leur faire accepter les présupposés de la politique américaine. Toute manifestation démocratique, telle que des élections palestiniennes qui mettraient en lumière des orientations opposées à la vision américano-israélienne de la démocratie, ne saurait être reconnue comme étant «démocratique».
Le pivot du raisonnement de Bat Ye’or repose sur l’idée que l’État d’Israël est en permanence menacé de destruction. Mais un État qui se livre a des empiétement permanents sur les territoires des voisins et qui refuse toute négociation et compromis ne doit pas s’étonner que lesdits voisins ne soient pas dans de bonnes dispositions à son égard.
Personne ne peut raisonnablement imaginer que la population israélienne puisse un jour faire ses bagages et quitter le pays, pas plus qu’on ne peut imaginer la population de l’Amérique, qu’elle soit du nord ou du sud, faire massivement ses bagages et laisser le terrain aux Amérindiens. Mais il est tout aussi impossible d’imaginer la population palestinienne quitter le territoire sur lequel elle s’accroche. Toutes les tentatives de déportation faites par les autorités israéliennes ont échoué. A partir de là, soit on négocie, soit on s’installe dans un état de guerre permanent. Le choix fait par les autorités israéliennes de maintenir un état de guerre permanent est un choix politique permettant de justifier toujours plus d’annexions territoriales. Mais ce qu’on voit par-dessus tout, c’est la volonté des Palestiniens de trouver un accord négocié – en dépit de la propagande israélienne qui affirme le contraire – et le refus catégorique des Israéliens de cesser leurs colonisations des territoires occupés.
Aussi, les «notables Eurabiens» – Chirac, de Villepin, Solana, Prodi et autres, sont-ils vilipendés parce qu’ils «soulignent continuellement la question centrale de la cause palestinienne dans la paix mondiale».

Dans les archives numériques de la Chambre des Communes britanniques, on trouve à la date du 18 octobre 1973 le témoignage stupéfiant d’un député conservateur, Sir Robin John Maxwell-Hyslop, qui rappelait la visite qu’il avait faite à la Knesset (le parlement israélien) peu après la guerre de 1967. Voici son récit :

«Il y eut un moment horrible pour moi. Nous étions tous présents comme invités au déjeuner du Comité des Affaires étrangères de la Knesset à Jérusalem. Après le déjeuner, le président de la commission des Affaires étrangères de la Knesset nous parla avec une grande véhémence, et longuement, des Arabes. Quand il reprit son souffle je fus forcé de dire : “Docteur Hacohen, je suis profondément choqué que vous parliez d’autres êtres humains dans des mêmes termes que ceux utilisés par Julius Streicher lorsqu’il parlait des Juifs. N’avez-vous rien appris ?”
«Je me souviendrai de sa réponse jusqu’à mon dernier jour. Il frappa la table avec ses deux mains et dit : “Mais ce ne sont pas des êtres humains, ce ne sont pas des gens, ce sont des Arabes.”
«Il parlait des réfugiés arabes .»

L’opinion de ce Hacohen était, elle est encore aujourd’hui, loin d’être isolée. Il est évident que ceux qui traînent de telles âneries dans leur tête ne sont pas en mesure d’envisager la moindre solution aux problèmes auxquels ils sont confrontés.

Système transnational de gouvernance
Selon Bat Ye’or, un «système transnational de gouvernance» a été mis en place par l’Union européenne, qui s’est beaucoup développé depuis 2004. Ce sont des « organisations monstrueuses qui formatent la pensée des Occidentaux, de la naissance à la mort et dans tous les secteurs ». Elles ont un point commun avec le régime communiste en ce qu’elles invoquent des objectifs humanitaires et pacifiques, mais c’est pour «confisquer la liberté des peuples». On a affaire à des «systèmes de gouvernance trans-méditerranéenne et transnationale» qui affichent «des buts d’une haute tenue morale et d’une éthique politique irréprochable : état de droit, démocratie, droits de l’homme, établir la paix, l’amour et la compréhension entre les peuples, notamment entre Occidentaux et musulmans.» (Ibid.)
L’une de ces organisations est la Fondation Anna Lindh qui développerait

«une stratégie visant à culpabiliser les Européens, à modifier leurs perceptions jugées racistes et intolérantes à l’égard de l’islam afin de préserver la paix et la sécurité en Méditerranée par le maintien des flux migratoires, le métissage des populations, le multiculturalisme et le gommage des identités culturelles et nationales.» (Ibid)

Cette fondation se situe «au cœur du système d’Eurabia» car elle «regroupe quarante États euro-méditerranéens», elle «fédère des centaines d’organisations civiles et institutionnelles».
Les activités de la Fondation embrassent les secteurs culturels, artistiques, éducatifs, les programmes d’enseignement et les médias : pour Bat Ye’or son rôle est donc de «conditionner, uniformiser et formater la pensée des Européens» et de les soumettre à la «pensée unique» et au «politiquement correct qui emprisonnent la pensée et étouffent la critique dans ses myriades de réseaux». La fondation fournit également «la nourriture intellectuelle qui alimente les peuples de l’Union européenne. Tout ce qui s’oppose à sa vision est éliminé par le boycott et le silence» .
La haine de Bat Ye’or envers Anna Lindh vient de ce qu’elle fut ministre des Affaires étrangères de la Suède et qu’elle s’opposa à la politique israélienne concernant la question palestinienne. Elle est donc à ce titre complice de tous les actes terroristes accomplis par les Palestiniens et de «toutes les formes de terrorisme aujourd’hui perpétrées en Occident et dans les pays musulmans».
La lecture de tels propos laisse le lecteur perplexe. En effet, si les pays occidentaux sont si laxistes envers les musulmans, si tant d’institutions sont mises en place pour encourager l’implantation de l’islam en Europe, on se demande bien pourquoi les musulmans font tant d’efforts pour y organiser des attentats qui iraient à l’encontre de cet objectif en provoquant l’opposition de l’opinion publique :

«Pour accepter la thèse ridicule de Ye’or, il est nécessaire de croire non seulement dans l’existence d’un complot islamique concerté pour subjuguer l’Europe, impliquant tous les gouvernements arabes, qu’ils soient “islamiques” ou non, mais aussi d’affirmer l’existence d’un organe parlementaire secret et non élu ayant la capacité étonnante de transformer les principales institutions politiques, économiques et culturelles de toute l’Europe en instruments serviles du “djihad” sans qu’aucun des organes de presse ou des institutions élues du continent ne s’en rendent compte.» (Matt Carr, «You are now entering Eurabia» Race & Class, Juillet 2006.)

Bat Ye’or répondrait à cette objection que les organes de presse et les institutions élues du continent européen sont tout simplement complices des musulmans.


Inégalités en Israël

Les délires de Bat Ye’or sont un moyen efficace d’évacuer toute réflexion sur la situation des populations non juives d’Israël, en particulier les Palestiniens, qui sont victimes d’inégalités de traitement importantes. Un rapport de l’Union européenne publié en 2011 souligne les inégalités, notamment économiques, dont est victime la population arabe d’Israël.

«Le rapport souligne que les Arabes israéliens, qui représentent aujourd’hui 20 % de la population israélienne, sont victimes d’inégalités, notamment dans le domaine économique. “La situation de la population arabe d’Israël est de façon quantifiable plus mauvaise que celle de sa majorité non arabe en termes de revenus, d’éducation, d’accès au logement et à la propriété”, peut-on lire dans le rapport .»

Le document, qui reprend les chiffres du Bureau central israélien des statistiques, révèle que «les revenus moyens dans la communauté arabe israélienne en 2008 ne représentaient que 61 % de ceux des foyers juifs, contre 69 % en 2003». Le document s’inquiète de possibles discriminations politiques, via la multiplication de projets de lois, soutenus par le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou, visant à affaiblir le statut de la minorité arabe. On ne peut donc pas s’étonner qu’un tel constat incite les plus radicaux parmi les Arabes israéliens à profiter de la situation pour afficher leur hostilité à l’égard d’Israël : l’article du Point précise d’ailleurs que «les ambassadeurs européens soulignent qu’il est de l’intérêt même d’Israël, afin de lutter contre ceux qui tentent de le “délégitimer”, d’honorer la mission assignée par ses fondateurs d’“un État pluraliste, tolérant et d’une démocratie ouverte, d’un État juif dans lequel les droits des non-Juifs sont respectés”.»
Pour confirmer les craintes de l’Union européenne, cette même année deux lois furent votées par la Knesset (le 23 mars 2011) :

– La première autorise 300 communautés à majorité juive à rejeter les candidatures à la résidence de personnes qui ne rempliraient pas de vagues critères d’«aptitude sociale» mesure appelée évidemment à s’appliquer aux musulmans, mais aussi aux juifs d’origine non européenne et aux familles monoparentales.
– La seconde loi impose de lourdes amendes aux institutions subventionnées par le gouvernement (qui fournissent des soins de santé et des services éducatifs), qui commémoreraient la Nakba (terme arabe signifiant «catastrophe», c’est-à-dire la destruction de villages palestiniens et l’expulsion de leurs habitants après la déclaration d’indépendance d’Israël en 1948). Les mêmes pénalités s’appliqueraient aux institutions qui cautionneraient des propos considérés comme une «négation de l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique» .

La contradiction dans l’existence d’un État confessionnel qui serait «démocratique» ne semble pas avoir surpris les législateurs israéliens.
Le fait que l’Union européenne s’inquiète, dans l’intérêt même de l’État hébreu, des discriminations dont sont victimes en Israël les citoyens arabes, est, selon un «haut responsable, parlant sous le couvert de l’anonymat» cité par Le Point, qualifié d’»ingérence européenne» et serait, sans nul doute, qualifié par Bat Ye’or de preuve de la soumission de l’Europe aux diktats des pays arabes.

PAR : René Berthier
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