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par Pierre Sommermeyer le 8 juin 2020

Le doigt et la lune 2e partie

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« Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » Adage chinois

article extrait du Monde libertaire n°1816 d’avril 2020
Du catastrophisme à la collapsologie.




Le passage au terme collapsologie aura lieu en 2015. C’est une réussite médiatique. Dans une interview, P. Servigne avoue avoir pensé à « "effondrementisme", mais c’est moche et le "isme" fait trop politique ». C’est peut-être là que le bât blesse. C’est un refus assumé de ne pas être un courant politique en plus mais de poser la question du devenir environnemental sur le fond. Depuis 2002 les catastrophes se sont succédé, plus terribles les unes que les autres semblant donner pour partie raison aux collapsologues. Parallèlement, rapport après rapport les annonces du GIEC se sont fait de plus en plus alarmantes. Les limites maxima supportables de la température mondiale apparaissant de plus en plus proches, de plus en plus inquiétantes et ayant de moins en moins d’effets sur les dirigeants mondiaux. Les COP se succèdent dans une inutilité confondante. Leur inefficacité ne cacherait-elle pas un autre projet politique, c’est une autre question qu’il faudra se poser. Pablo Servigne, Raphael Stevens et leurs amis seraient-ils des prophètes de malheur ou une nouvelle sorte de militants ayant trouvé un créneau porteur ? Après avoir publié Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie, ils réitèrent le coup avec la collaboration de Gauthier Chapelle en éditant, optimistes, Une autre fin du monde est possible. Puis devant leur succès médiatique, ayant enchaîné interviews, articles, sur nombre de médias, étant intervenu devant des publics plus ou moins divers, répondant à ces succès et à la demande, un appel financier est lancé afin de publier une revue dont le nombre de numéros est déjà prévu. Cet appel fut un autre succès et la revue Yggdrasil advint. Il serait malhonnête de faire l’impasse sur l’autre livre de P. Servigne et G. Chapelle L’entraide, l’autre loi de la jungle [note] qui contient, faisant référence à Kropotkine, l’essentiel de leur conception politique c’est-à-dire essentiellement solidaire et libertaire.

Leur succès vient de l’angoisse qui monte tout doucement mais profondément dans la population. Les annonces alarmantes qui se succèdent en provenance du GIEC sont pain béni pour les médias et les réseaux sociaux. Les peurs s’ajoutent les unes aux autres. Peur des catastrophes naturelles, peur du terrorisme, peur des étrangers, peur des banlieues, peur des islamistes, en viennent à créer une pathologie philo-sécuritaire.

Cela fait des années que nous trions nos déchets, que nous sommes aux aguets dans les endroits publics, cherchant de façon inconsciente des bagages abandonnés. Cela fait des années que nous sommes contrôlés, fouillés, surveillés. A cela s’ajoute l’insécurité sur la voie publique, où manifester s’apparente à une prise de risque inconsidérée, où l’on peut se faire tirer à vue. À tout cela le courant collapsologue annonce une bonne nouvelle, n’ayez plus peur, il y a une autre façon de faire ! Il semble que ce soit la mission que s’est donnée cette revue. Joliment construite, bien composé c’est un bel objet. En regardant de près ces trois premiers numéros il semble bien que la mission est remplie.




La question de l’émotion
Dans leur livre Une autre fin du monde est possible les auteurs abordent dès le début cette question en ces termes « Se préparer à cet avenir concerne donc aussi bien les aspects matériels et politiques que des aspects relatifs aux domaines psychologique, spirituel, métaphysique et artistique. Les questions que posent les catastrophes sont incommensurables. Si l’on veut continuer à penser l’effondrement, à chercher à agir, à donner du sens à nos vies, ou simplement à se lever le matin, il est important de ne pas devenir fou. Fou d’isolement, fou de tristesse, fou de rage, fou de trop y penser, ou fou de continuer son petit train-train en faisant semblant de ne pas voir. Certains considèrent que cette dimension psychologique s’adresse aux femmes ou est un luxe réservé à des citadins fragiles qui n’ont connu que le confort. Il n’en est rien. Elle est primordiale et concerne toutes les classes sociales, tous les peuples, toutes les cultures ».

Cette prise en compte apparaît aussi dès le premier numéro de leur revue. Les titres de certains articles peuvent faire sourire les « révolutionnaires ». Retrouver le lien profond avec le Sauvage ; les collectifs de jardins russes ; être autonome en électricité, rêve ou réalité ; nourrir son cœur avec l’aubépine ; initiation à un futur désirable ; travaux qu’il ne fallait pas faire ; ne pas tuer le lion de Némée ; le millepertuis, l’herbe porteuse de lumière ; un jardin sauvage nourricier et sans effort etc. L’émotion est bien présente dans les discours révolutionnaires, mais elle joue un rôle différent. L’écoute des chants de la guerre d’Espagne par exemple appelle à rejoindre les rangs de la lutte, tout comme les chants anarchistes plus classiques. Il suffit de fredonner la Makhnovtchina pour le ressentir. Le point de vue de Servigne et ses amis serait-il réactionnaire ? Y a-t-il des émotions de droite et des émotions de gauche ? Je ne le pense pas. Avoir peur de ce qui se passe, de ce qui va probablement advenir, est tout à fait normal. Comment pourrait-il en être autrement ? S’il y a aussi la joie pendant de la tristesse, on ne peut oublier la colère, le dégoût, la surprise. À cette liste il est possible d’ajouter la honte, la nostalgie et bien d’autres certainement. Il faut aussi prendre en compte le fait que l’annonce d’un effondrement probable vient contredire la croyance dans le progrès technologique, scientifique, portée par la gauche historique. Que certaines d’entre elles puissent être récupérée par des structures de droite comme de gauche, sans aucun doute. Il est tout à l’honneur des collapsologues de prendre tout cela en compte et de tenter d’y répondre. Je ne saurais pas comment y répondre. Ce qui semble certain, c’est que ne pas prendre en compte ces émotions, ne pas penser comment leur donner un débouché constructif revient à les laisser libre d’accès pour des tentations autoritaires.

La question de la technologie
Nous vivons depuis deux siècles avec le mythe d’un progrès lié au développement de la technologie. Dans Champs, usines et ateliers Kropotkine célébrait « ces millions d’esclaves en fer que nous appelons machines et qui rabotent, scient, tissent et filent pour nous, qui décomposent et recomposent la matière première, et font les merveilles de notre époque […] La solution rationnelle serait une société où les hommes, grâce au travail de leurs mains et de leur intelligence, et avec l’aide des machines déjà inventées et de celles qui le seront demain, créeraient eux-mêmes toutes les richesses imaginables ». Il y chantait de même les louanges de la machine à laver le linge libérant les femmes de cette corvée. Prophète certes, il fallut attendre quand même l’arrivée des machines à laver individuelles qui ainsi ouvrirent la voie aux revendications des libertés sexuelles. Qu’elles soient sociétales comme le suffrage universel, technologiques comme le chemin de fer ou encore la fée électricité, la nouvelle société industrielle rendait tout cela possible et même nécessaire. C’était une condition indispensable à son développement et nombre de révolutionnaires pensaient que cela représentait la base nécessaire à tout changement radical. Cette position fut synthétisée par Lénine quand il affirma en 1920 devant le congrès des soviets que « le communisme c’est les soviets plus l’électricité ».

Ce qui pouvait se justifier alors est devenu un problème en soi. La technologie s’est développée sans qu’elle ne soit liée au progrès, c’est-à-dire au mieux-être de l’humanité. Elle est devenue une fin en soi. L’influence qu’on eut les annonces du GIEC comme le développement des mouvements écologiques, collapsologues compris, doit beaucoup si ce n’est tout à l’existence d’Internet. Depuis le début des années 90, les chercheurs du monde entier se sont échangés, instantanément, leurs résultats de recherche. A partir du début des années 2000 avec l’explosion de l’installation des câbles réseaux et des fournisseurs d’accès le monde entier a été relié. Cerise sur le gâteau, l’arrivée une dizaine d’année plus tard des smartphones. On peut trouver en ligne des représentations du globe terrestre entouré des trajectoires de satellites dont une bonne partie jouent un rôle déterminant dans notre quotidien. C’est tout à la fois étonnant, merveilleux et effrayant. Il en est de même des progrès de la médecine. Qui ne veut vivre plus longtemps, même si sa santé n’est pas celle d’un jeune de 20 ans ?

Ce que les médias appellent "nouvelles technologies" a envahi notre vie. Malgré nous pour une partie et avec notre accord plus ou moins complice pour une autre. Ces nouvelles arrivantes ne se limitent pas aux moyens de communication. Elles influencent bien des techniques et en conséquence influent sur nos manières de vivre. Avant de pouvoir décider s’il faut s’opposer, résister, il faut en faire d’une certaine manière l’inventaire afin de comprendre ce qui se passe. Gérer un monde, où la population croît de façon incontrôlée comme incontrôlable, sans les outils numériques relèverait d’un tour de force. Il y a bien des réflexions, bien des pistes à croiser avant de penser au boulier.

Pierre Sommermeyer


PAR : Pierre Sommermeyer
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