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Les articles du ML papier
par Pierre Sommermeyer • le 15 juin 2020
Le doigt et la lune. 4e partie
Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=4901
« Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » Adage Chinois
Article extrait du Monde libertaire n°1818 de juin 2020
Parlons des effondrements, en cours ?
Il est difficile d’écrire sur quelque chose qui est en train de se passer et qu’il n’a pas été possible de voir venir. L’irruption du Covid-19 dans la vie du monde modifie profondément notre façon de voir la suite de notre histoire. Au fond, considérer la possibilité d’un effondrement du seul point de vue environnemental nous donnait le temps de voir venir. Il s’annonçait incontournable, sans aucun doute mais pour demain ! Le considérer comme seulement naturel illustrait notre myopie. C’est là le reproche, la critique la plus importante que l’on peut faire au courant collapsologiste et à ses thuriféraires.
L’effondrement, tout environnemental qu’il soit, pose avant tout un problème politique. Prenons un exemple tout simple, la révolution syrienne. Ces informations proviennent du ministère de la Défense, dont on peut penser que parfois... mais confirmées par une publication scientifique [note] .
• Entre 2006 et 2010 la pire sécheresse jamais enregistrée dans la région frappe le Croissant fertile, vaste zone du Moyen-Orient qui englobe une bonne partie du nord de la Syrie.
• Entre 2007 et 2008, les prix du blé et du riz doublent en Syrie, tandis que le prix de la viande est propulsé à des sommets. Jusqu’à 1,5 million de Syriens quittent la campagne pour trouver refuge dans les villes, où ils s’entassent en périphérie, dans des conditions difficiles
• 2011 Le Printemps arabe, la Révolution syrienne, la répression qui en découle avec la guerre contre Daech qui profite de cette situation. Le résultat est connu. Deux pays en ruines, effondrés. On peut parler à leur propos d’une faillite d’États.
Autour d’eux des pays qui cherchent par tous les moyens de ne pas s’effondrer avec eux. L’ensemble israélo-palestinien, et le Liban qui y glissent. L’Iran qui se débat entre son maintien comme puissance dominante et son échec économico-politique interne aggravé par les effets du virus, sans parler de la Turquie en situation de guerre permanente, interne et externe. Cette partie du monde est la première à s’effondrer.
Dans nos pays, ce réchauffement climatique ne pousse pas encore à la révolution. Avant que le Covid-19 ne vienne bousculer notre petit monde, déjà, chez nous une reconsidération radicale de toute l’économie de montagne était à l’œuvre. Qu’elle soit d’origine touristique (fonte du permafrost = fragilité des rochers – stations de moyenne montagne sans neige) ou agricole, l’absence de ces revenus va probablement entraîner une fuite vers les vallées.
Toute cette façon de voir les choses est passée de mode. Covid-19 a frappé. Le roi est nu ! Quoique certains puissent dire sur la dangerosité relative de ce virus, le monde entier, d’une façon ou d’une autre, court aux abris. La menace n’est plus atomique, les propriétaires des bombes ont bien compris qu’en utiliser une correspondrait à un suicide La menace est naturelle et digne de tous les romans de dystopie qui ont pu fleurir dans le domaine de la science-fiction.Les attaques sur la santé humaine se succèdent avec une régularité étonnante. 1968–1970 : la grippe de Hong-Kong. Le virus H3N2. 1969 : la fièvre de Lassa. 20 mai 1983 : le virus VIH (sida). 16 novembre 2002: apparition du SRAS. 2009–2010 : épidémie H1N1. 2009–2010 : une épidémie de méningite bactérienne. 2012 : le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). 2014 : l’épidémie d’Ebola, et maintenant le Covid-19. Pour les spécialistes « il est certain que les déséquilibres écologiques actuels viennent modifier en profondeur les interactions entre la faune, les pathogènes et l’humanité. L’autorégulation des écosystèmes étant profondément affectée, la survenue de tels virus est favorisée ».
La question environnementale repoussée aux calendes grecques fait son retour en force. Pourtant la crise économique dans laquelle nous sommes entrés va empêcher toute avancée dans ce sens tant que les investisseurs en regarderont la rentabilité immédiate. Le coût du pétrole ayant magistralement chuté, tout investissement dans la transition environnementale devient hors de prix. Cela va aussi toucher l’industrie automobile qui ne pourra plus tabler pendant un certain temps sur les économies que pourraient faire les voitures électriques. L’arrêt brutal des transports aériens a des conséquences qui dépassent de loin juste les vols et les aéroports. Il devient facile de dire que le virus a réussi à faire ce qu’aucune grève générale n’a jamais fait : arrêter le monde ! Il est tout aussi facile de dire que le redémarrage ne sera pas facile. Comment qualifier le monde qui vient ?
Pour ne pas s’effondrer la planète financière a jeté dans la mêlée des montants d’argent qui relevaient auparavant d’une folie irréaliste, celle d’un mathématicien fou qui aurait écrit des suites de 0. Ces bouées jetées à la mer illustrent à quel point l’effondrement est proche. La peur du virus est secondaire. Celle éprouvée par un système moribond est réelle. Ces milliers de milliards d’euros ou de dollars donnent le tournis. Personne ne peut chiffrer le montant exact déversé tant cela change de jour en jour. Le monde du capital a fait sienne la devise du président français, « coûte que coûte ! »
Il ne faut pas être devin pour s’apercevoir de deux choses. D’abord le retour de l’État-providence, celui à qui l’on demande tout. Dans une interview Pablo Servigne, semblant jeter son anarchisme aux buissons déclare « Ce qu’il y a d’intéressant, c’est le grand retour des États souverains. L’idéologie dominante néolibérale a passé 50 ans à démanteler tout ce qui était de l’ordre de l’État et en particulier l’État-providence, l’État qui prend soin. Elle a pillé le public et le commun pour donner au privé et aux marchés. Dans une situation d’urgence, on se rend compte qu’on a besoin de coordination, d’un État qui prenne soin, et à qui on peut faire confiance. C’est une leçon, car une "transition", c’est-à-dire un changement radical et rapide de société, ne peut être que coordonnée. Il faut un État stable pour le faire, et il y a ici une opportunité de retrouver des manettes, des leviers. »
Ensuite la métamorphose d’un certain nombre de dirigeants de démocraties parlementaires tentés par un certain autoritarisme, si ce n’est une individualisation forcenée de leur pouvoir. Ils sont nombreux ceux qui lorgnent du côté des dirigeants chinois capables de tenir leur population en laisse. Ils sont nombreux à vouloir jouer un rôle à la manière de Trump qui n’a que faire de ces palinodies citoyennes. Hormis celui-là, il y a Bolsonaro au Brésil, Modi en Inde, Dutertre aux Philippines, Orban en Hongrie, Johnson en Grande Bretagne et Macron en France, sans oublier le Russe Poutine et le Chinois Xi Jinping et enfin le Coréen Kim Jong Un qui serait risible s’il ne possédait pas un armement nucléaire.
La collapsologie a bien identifié et formalisé les possibilités d’effondrement. Nous les voyons à l’œuvre d’une façon qui, si elle n’était pas réellement annoncée n’en est que plus réelle. Inutile de revenir là-dessus. Tous les tenants du climato-scepticisme sont renvoyés à leurs chères études. Par contre, le problème de l’après se pose en des termes que les collapsologues n’ont pas abordés sur le fond, à la fois parce que cela est tellement énorme et parce qu’ils n’ont probablement pas saisi l’amplitude du problème. S’il est vrai et incontournable que l’entraide est la seule option pour surnager dans un océan de débris tant intellectuels que matériels, cela ne suffit pas pour envisager la suite. Sauf à penser que l’effondrement ressemblera à une fin du monde, apocalyptique !
Si on se réfère aux différents numéros de la revue Yggdrasill, la société qui est prônée à travers les différents articles relève plus de quelque chose qui ressemble à la saga du Seigneur des Anneaux
D’autre part il est à remarquer que l’existence, la circulation des idées et l’organisation du courant collapso sont facilitées par l’utilisation d’Internet. Or l’existence du réseau des réseaux n’est pas questionnée, pas plus là qu’ailleurs dans tous les courants contestataires. Ce silence sur ce filet qui enserre notre monde de façon de plus en plus étroite reste pour moi un mystère. Non pas que j’aie le début d’une solution, mais parce que j’entrevois une machinerie si complexe qu’elle échappe même à ses créateurs et continuateurs. Cette crise du Covid-19 a vu l’expansion exponentielle du capitalisme numérique sous toutes ses formes, tant médicales, économiques que culturelle.
Aujourd’hui toute la sphère politique tant écolo que gauchiste est prise de vitesse par ce qui se passe. Le monde d’après tant espéré par nombre de chroniqueurs, écrivains, intellectuels, ne peut avoir lieu s’il n’a pas été préparé en amont. Les proclamations comme les pétitions ne suffisent pas. Engluées dans le consumérisme, les forces qui pourraient être révolutionnaires sont assommées par les combats précédents, perdus.
Pierre Sommermeyer
Les trois premières parties sont accessibles ici
Il est difficile d’écrire sur quelque chose qui est en train de se passer et qu’il n’a pas été possible de voir venir. L’irruption du Covid-19 dans la vie du monde modifie profondément notre façon de voir la suite de notre histoire. Au fond, considérer la possibilité d’un effondrement du seul point de vue environnemental nous donnait le temps de voir venir. Il s’annonçait incontournable, sans aucun doute mais pour demain ! Le considérer comme seulement naturel illustrait notre myopie. C’est là le reproche, la critique la plus importante que l’on peut faire au courant collapsologiste et à ses thuriféraires.
L’effondrement, tout environnemental qu’il soit, pose avant tout un problème politique. Prenons un exemple tout simple, la révolution syrienne. Ces informations proviennent du ministère de la Défense, dont on peut penser que parfois... mais confirmées par une publication scientifique [note] .
• Entre 2006 et 2010 la pire sécheresse jamais enregistrée dans la région frappe le Croissant fertile, vaste zone du Moyen-Orient qui englobe une bonne partie du nord de la Syrie.
• Entre 2007 et 2008, les prix du blé et du riz doublent en Syrie, tandis que le prix de la viande est propulsé à des sommets. Jusqu’à 1,5 million de Syriens quittent la campagne pour trouver refuge dans les villes, où ils s’entassent en périphérie, dans des conditions difficiles
• 2011 Le Printemps arabe, la Révolution syrienne, la répression qui en découle avec la guerre contre Daech qui profite de cette situation. Le résultat est connu. Deux pays en ruines, effondrés. On peut parler à leur propos d’une faillite d’États.
Autour d’eux des pays qui cherchent par tous les moyens de ne pas s’effondrer avec eux. L’ensemble israélo-palestinien, et le Liban qui y glissent. L’Iran qui se débat entre son maintien comme puissance dominante et son échec économico-politique interne aggravé par les effets du virus, sans parler de la Turquie en situation de guerre permanente, interne et externe. Cette partie du monde est la première à s’effondrer.
Dans nos pays, ce réchauffement climatique ne pousse pas encore à la révolution. Avant que le Covid-19 ne vienne bousculer notre petit monde, déjà, chez nous une reconsidération radicale de toute l’économie de montagne était à l’œuvre. Qu’elle soit d’origine touristique (fonte du permafrost = fragilité des rochers – stations de moyenne montagne sans neige) ou agricole, l’absence de ces revenus va probablement entraîner une fuite vers les vallées.
Toute cette façon de voir les choses est passée de mode. Covid-19 a frappé. Le roi est nu ! Quoique certains puissent dire sur la dangerosité relative de ce virus, le monde entier, d’une façon ou d’une autre, court aux abris. La menace n’est plus atomique, les propriétaires des bombes ont bien compris qu’en utiliser une correspondrait à un suicide La menace est naturelle et digne de tous les romans de dystopie qui ont pu fleurir dans le domaine de la science-fiction.Les attaques sur la santé humaine se succèdent avec une régularité étonnante. 1968–1970 : la grippe de Hong-Kong. Le virus H3N2. 1969 : la fièvre de Lassa. 20 mai 1983 : le virus VIH (sida). 16 novembre 2002: apparition du SRAS. 2009–2010 : épidémie H1N1. 2009–2010 : une épidémie de méningite bactérienne. 2012 : le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). 2014 : l’épidémie d’Ebola, et maintenant le Covid-19. Pour les spécialistes « il est certain que les déséquilibres écologiques actuels viennent modifier en profondeur les interactions entre la faune, les pathogènes et l’humanité. L’autorégulation des écosystèmes étant profondément affectée, la survenue de tels virus est favorisée ».
La question environnementale repoussée aux calendes grecques fait son retour en force. Pourtant la crise économique dans laquelle nous sommes entrés va empêcher toute avancée dans ce sens tant que les investisseurs en regarderont la rentabilité immédiate. Le coût du pétrole ayant magistralement chuté, tout investissement dans la transition environnementale devient hors de prix. Cela va aussi toucher l’industrie automobile qui ne pourra plus tabler pendant un certain temps sur les économies que pourraient faire les voitures électriques. L’arrêt brutal des transports aériens a des conséquences qui dépassent de loin juste les vols et les aéroports. Il devient facile de dire que le virus a réussi à faire ce qu’aucune grève générale n’a jamais fait : arrêter le monde ! Il est tout aussi facile de dire que le redémarrage ne sera pas facile. Comment qualifier le monde qui vient ?
Pour ne pas s’effondrer la planète financière a jeté dans la mêlée des montants d’argent qui relevaient auparavant d’une folie irréaliste, celle d’un mathématicien fou qui aurait écrit des suites de 0. Ces bouées jetées à la mer illustrent à quel point l’effondrement est proche. La peur du virus est secondaire. Celle éprouvée par un système moribond est réelle. Ces milliers de milliards d’euros ou de dollars donnent le tournis. Personne ne peut chiffrer le montant exact déversé tant cela change de jour en jour. Le monde du capital a fait sienne la devise du président français, « coûte que coûte ! »
Il ne faut pas être devin pour s’apercevoir de deux choses. D’abord le retour de l’État-providence, celui à qui l’on demande tout. Dans une interview Pablo Servigne, semblant jeter son anarchisme aux buissons déclare « Ce qu’il y a d’intéressant, c’est le grand retour des États souverains. L’idéologie dominante néolibérale a passé 50 ans à démanteler tout ce qui était de l’ordre de l’État et en particulier l’État-providence, l’État qui prend soin. Elle a pillé le public et le commun pour donner au privé et aux marchés. Dans une situation d’urgence, on se rend compte qu’on a besoin de coordination, d’un État qui prenne soin, et à qui on peut faire confiance. C’est une leçon, car une "transition", c’est-à-dire un changement radical et rapide de société, ne peut être que coordonnée. Il faut un État stable pour le faire, et il y a ici une opportunité de retrouver des manettes, des leviers. »
Ensuite la métamorphose d’un certain nombre de dirigeants de démocraties parlementaires tentés par un certain autoritarisme, si ce n’est une individualisation forcenée de leur pouvoir. Ils sont nombreux ceux qui lorgnent du côté des dirigeants chinois capables de tenir leur population en laisse. Ils sont nombreux à vouloir jouer un rôle à la manière de Trump qui n’a que faire de ces palinodies citoyennes. Hormis celui-là, il y a Bolsonaro au Brésil, Modi en Inde, Dutertre aux Philippines, Orban en Hongrie, Johnson en Grande Bretagne et Macron en France, sans oublier le Russe Poutine et le Chinois Xi Jinping et enfin le Coréen Kim Jong Un qui serait risible s’il ne possédait pas un armement nucléaire.
La collapsologie a bien identifié et formalisé les possibilités d’effondrement. Nous les voyons à l’œuvre d’une façon qui, si elle n’était pas réellement annoncée n’en est que plus réelle. Inutile de revenir là-dessus. Tous les tenants du climato-scepticisme sont renvoyés à leurs chères études. Par contre, le problème de l’après se pose en des termes que les collapsologues n’ont pas abordés sur le fond, à la fois parce que cela est tellement énorme et parce qu’ils n’ont probablement pas saisi l’amplitude du problème. S’il est vrai et incontournable que l’entraide est la seule option pour surnager dans un océan de débris tant intellectuels que matériels, cela ne suffit pas pour envisager la suite. Sauf à penser que l’effondrement ressemblera à une fin du monde, apocalyptique !
Si on se réfère aux différents numéros de la revue Yggdrasill, la société qui est prônée à travers les différents articles relève plus de quelque chose qui ressemble à la saga du Seigneur des Anneaux
D’autre part il est à remarquer que l’existence, la circulation des idées et l’organisation du courant collapso sont facilitées par l’utilisation d’Internet. Or l’existence du réseau des réseaux n’est pas questionnée, pas plus là qu’ailleurs dans tous les courants contestataires. Ce silence sur ce filet qui enserre notre monde de façon de plus en plus étroite reste pour moi un mystère. Non pas que j’aie le début d’une solution, mais parce que j’entrevois une machinerie si complexe qu’elle échappe même à ses créateurs et continuateurs. Cette crise du Covid-19 a vu l’expansion exponentielle du capitalisme numérique sous toutes ses formes, tant médicales, économiques que culturelle.
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