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par Francis PIAN • le 17 août 2024

Des idées et des luttes: Souvenirs de la Révolution russe 1917-1925

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Une passion d’esthète, préserver les œuvres d’art

Les évènements politiques et sociaux contiennent malgré leur notoriété des aspects peu connus, pour une part, étonnants. Claire Paulhan nous a déjà proposé des ouvrages écrits par des personnages forts. Il en est ainsi d’une de ses récentes publications, Souvenirs de la Révolution russe, 1917-1925 de Valentin Zoubov. Celui-ci d’une famille aristocratique russe devient le directeur de l’Institut d’histoire de l’art à Saint-Pétersbourg, de 1917 jusqu’à son départ de Russie en 1925. Ces fonctions lui parurent impossibles à assumer en raison des contraintes et des exigences de la bureaucratie soviétique. « Ma présence en Russie n’avait plus de sens. »

Comment un aristocrate russe a-t-il pu supporter ces premières années de la Révolution ? Contrairement aux idées reçues, les Russes blancs n’ont pas tous fui en octobre-novembre 1917. Il est difficile de quitter sa terre, sa culture, son patrimoine, surtout lorsqu’il est chargé d’histoire comme les palais sous la direction de Valentin Zoubov. « La jeunesse et la vie de Valentin Zoubov ont été dominées par sa passion pour l’art, qui met en tension l’ensemble du récit » pour reprendre les propos introductifs de sa petite-fille, Tania Becker, et Annette Carayon. Cet homme d’une immense culture tente de garder une certaine bonne humeur face aux évènements, même en prison. Il se méfie du pouvoir des bolcheviks. Certains espèrent que le régime va s’effondrer, les révolutionnaires doutent de sa longévité, y compris Lénine. Valentin Zoubov écrit peu sur la guerre considérant que son déroulement est connu. Il a vécu l’Age d’argent en Russie de 1900 à 1922 empreint d’un renouvellement éblouissant dans les arts, un foisonnement de mouvements intellectuels, non dépourvu de tout lien avec les années parisiennes de la Belle époque. Une passion d’esthète, préserver les œuvres d’art, il en fait un enjeu vital.

« La mort de notre vieille civilisation »
Le livre débute par une scène au café de Rohan face à la Comédie française, un côté proustien. Une élégance de style qui révèle une époque, une classe sociale qui se vit dans l’éternité et puis Sarajevo survient, le monde d’hier bascule. « L’attentat de Sarajevo annonçait la mort de notre vieille civilisation. » Je songe souvent à Stephan Zweig.
Octobre 1917. Valentin Zoubov entend protéger les œuvres d’art souvent vandalisées par leurs propriétaires de cet ancien régime tsariste dont il dénonce l’indigence culturelle des dirigeants. Les bolcheviks vont-ils tenir ? Un de ses amis l’accompagnant le long de la Neva lui dit avec intuition : « Les Bolcheviks réussiront, et ils garderont le pouvoir longtemps. Et ce sera avec d’immenses malheurs ! » Les scènes de la prise du pouvoir sont passionnantes car décrites par un personnage lucide. L’effondrement et la fuite de Kerenski se déroulent dans une précipitation inéluctable. La propagande des bolcheviks est redoutable. Valentin Zoubov entend cacher ses opinions politiques. « Pour défendre des valeurs spirituelles bien plus difficiles à remplacer que des vies humaines, j’étais prêt à dissimuler la couleur de mes opinions politiques. Pendant les huit ans où j’ai encore pu vivre en Russie, mon attitude n’a pas changé. »

Arrestations, interrogatoires à la Loubianka
Pourtant les accommodements ne trompent guère et les séides de la Tchéka dirigée par Ouritski, puis ceux de la Guépéou mènent enquêtes, études de lettres de dénonciation, arrestations, interrogatoires à la Loubianka. Valentin Zoubov décrit ce vécu, toujours avec sa lucidité. Il côtoie le Grand-Duc Michel qui sera assassiné dans un bois.
A noter qu’il consacre plusieurs pages à l’élimination des anarchistes, ce qu’il considère comme un évènement important de la vie politique du moment. « Ils ne voulaient pas recevoir d’ordre venus d’en haut : les difficultés d’une situation pouvaient se résoudre, selon eux, par la collaboration intelligente de personnes directement concernées, en particulier quand il s’agissait de la propriété. » Une analyse assez juste et nous connaissons la suite.
Protéger des œuvres d’art est fort louable mais usant face à la bureaucratie tatillonne et obtus du régime soviétique. Et puis un jour : « Ma présence en Russie n’avait plus de sens. J’y étais resté pour sauver mon pays, malgré le communisme, pour sauver le patrimoine culturel et spirituel. J’avais en grande partie réussi, mais je n’avais plus les moyens d’aller plus loin. » Le 16 juillet 1925, il quitte son pays et finit ses jours à Paris.

• Valentin Zoubov
Souvenirs de la Révolution russe
1917-1925
Ed. Claire Paulhan, 2024

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
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