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par Francis PIAN • le 28 janvier 2024

DES IDEES ET DES LUTTES: Les Poèmes indésirables

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Curieux personnage, cet Armand Robin

Dans les allées du salon L’Autre livre, je retrouve les éditions Ressouvenances dont j’ai déjà présenté quelques ouvrages notamment André Léo, une femme entre deux luttes, socialisme et féminisme de Françoise Tarrade. Un livre retient mon attention, à la couverture forte : Armand Robin, Les Poèmes indésirables, suivis des articles pour le Libertaire. Qui est Armand Robin ? Je me souviens avoir lu son nom dans le livre intitulé Brassens anarchiste et publié chez Atlande (Chronique Des Idées et des luttes du 17 septembre 2023). Brassens fréquenta le groupe du 15e arrondissement de Paris. Il se réunissait chez Robin. Dans la biographie de ce dernier publiée dans le Maitron des anarchistes, Brassens devait se souvenir de Robin en ces termes : « Je l’ai connu en 1945 au groupe du quinzième, affilié à la Fédération anarchiste du quai de Valmy. Il était, disons, président de ce groupe. On se réunissait une fois par semaine. On traitait des problèmes sociaux, mais souvent aussi de livres, de peinture. Comme il avait des accointances avec le milieu littéraire, il invitait des auteurs. Je me rappelle qu’André Breton vint nous faire une causerie… »

En 1933, il revient assez dérouté et choqué d’un voyage en URSS découvrant la réalité de la vie quotidienne dans le pseudo-pays du socialisme. Polyglotte, la maîtrise de près de 30 langues à son actif, il établit des comptes-rendus d’écoute dans les services radiophoniques du ministère de l’intérieur en 1941. Il en transmet à la Résistance, il travaille pour les services gouvernementaux. De là naîtra sa légende noire (les débats ne sont toujours pas clos) et, à la Libération, le Comité national de écrivains aux mains du PC le met à l’index avec les auteurs ex-collabos mais aussi les critiques de l’URSS, limitant les publications accueillant ces personnes. Armand Robin gardera une haine tenace à l’égard de ce CNE qu’il qualifiait de « Comité d’épuration pour les lettres ».

Pas de demi-mesure dans l’expression
Le ton est rude, vif dans ces poèmes indésirables. En introduction, Robin estime que « La pensée et la poésie sont par nature indésirables. Les mauvais penseurs et les mauvais poètes les ont toujours jugées telles, mais jusqu’à ces temps, ils n’avaient pas été si sots que d’aller formuler officiellement ce sentiment ». Vous les voyez certainement se dessiner ces penseurs et ces poètes. Soyons dans le contexte, 1945, le poids de l’URSS et du PCF est considérable, l’influence d’Aragon et d’Eluard l’est tout autant, une chappe de plomb sur le monde de l’édition qui n’a pas toujours été très net pendant l’Occupation. Certains résistants de la 25è heure aux manœuvres. Et Robin qui veut s’affirmer libre, refuse par avance ses droits d’auteurs quant à ce livre, demandant que l’argent soit versé aux « anarchistes espagnols : des hommes qui ne travaillent pas pour la haine […] ils ne cèderont devant aucune forme d’oppression ».
Dans ses Poèmes indésirables, notamment Le poète indésirable, il crie sa rage :
« J’eus tous les torts, tous partout l’ont dit ;
Les poètereaux bourgeois, tous communistes, m’ont maudit […] »
Le ton est donné, il dénonce les communistes, Aragon, Eluard. Il n’y va pas dans la dentelle, Robin. Il s’affirme du peuple, une famille paysanne illettrée, un père cultivateur, une mère ménagère et c’est sa fierté.
« Pour confesser : les ouvriers, les paysans m’ont tout donné.
L’AME PROLETARIENNE est ce que RIEN ne peut dompter ;»

Un côté Orwell dans le texte
Il dénonce ! Il dénonce les atteintes aux vrais poètes, il dénonce les staliniens, les dictateurs.
« Devant l’estrade des grands messieurs décorés
Chaque dimanche les pauvres défilaient
Trois par trois en criant : « Nous voilà bien matés,
« C’est afin de mieux prouver que nous sommes libérés ;
« Il n’y a plus de pauvreté, il n’y a que du progrès !
« Gloire à Staline le bien-aimé, l’unique, l’ensoleillé !
« Il nous a dit : « Vous êtes pauvres ? Pour supprimer la pauvreté
« Il suffit d’afficher : « La pauvreté est supprimée »
Comme un ton d’actualité !
Il dénonce les bureaux politiques, l’incitation plus que pressante d’aller voter, le citoyen robotisé…
Un côté Orwell dans le texte.
Ces Poèmes indésirables seront publiés en 1945 aux Editions anarchistes.
La seconde partie de l’ouvrage regroupe les articles de Robin pour Le Libertaire d’août 1945 à mai 1955. Le ton est identique aux poèmes, il se justifie, dénonce encore et toujours, règle ses comptes avec le CNE, Les Lettres françaises sous l’autorité d’Aragon, odieuses dans l’Affaire Kravchenko, les poètes institutionnels, le stalinisme et la mise au pas des intellectuels (Eisenstein, Essenine, Pasternak). Viendra-t-elle cette révolution « véritable, celle qui concrètement établira la prééminence des travailleurs, celle qui sera faite du refus de toute domination sur d’autres hommes » (Le Libertaire, 6 février 1947) ?
Il décèdera dans des circonstances jamais élucidées à l’Infirmerie spéciale du Dépôt, à Paris, le 29 mars 1961.

• Armand Robin
Les Poèmes indésirables, suivis des articles pour le Libertaire
Ed. Ressouvenances, 2023

PAR : Francis PIAN
Groupe Commune de Paris
Emission Au fil des pages sur Radio libertaire

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