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Littérature
par Sylvain Boulouque le 13 octobre 2024

PAGES D’HISTOIRE N°68

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Le nazisme de l’accession au pouvoir à la chute.

Deux ouvrages viennent utilement compléter l’état des connaissances sur le nazisme et ses suites.

L’ouvrage proposé par Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin est le fruit d’un travail de synthèse des meilleurs historiens francophones du nazisme. Ils proposent une nouvelle mise en perspective des travaux de recherche qui depuis un quart de siècle se sont multipliés et ont particulièrement renouvelé ou tout du moins permis d’approfondir les connaissances sur ce système politique.
Trois grandes parties articulent l’ouvrage : la formation du nazisme jusqu’à son arrivée au pouvoir, la première phase de la dictature jusqu’à la guerre et enfin la guerre.




Le nazisme repose à la fois sur un double mouvement l’antisémitisme de la société allemande et le nationalisme exacerbé, conséquence de la Première Guerre mondiale. Mais, le Parti national socialiste des travailleurs allemands qui se structure entre 1920 et 1928 est initialement marginal, voire totalement insignifiant dans la société allemande. Le Parti nazi est plutôt jeune, interclassiste. Au début des années 1930, il reçoit le renfort des droites dont les électeurs basculent vers le vote en sa faveur et auquel se rallient plusieurs figures conservatrices. Le nazisme s’appuie à la fois sur la rue, sur les urnes et sur un appareil de propagande qui dès le début des années 1930 est particulièrement important et riche, les militants contribuent bien plus que les autres aux finances de leur parti. Si en 1932, il n’est pas majoritaire, Hindenburg désigne le chef du premier parti comme chancelier, ce qui n’est pas une prise du pouvoir, le détail est important, contrairement à la légende qui est crée immédiatement après par le régime. Jouant sur l’incendie du Reichstag et fabriquant un complot, ils utilisent leur position de force pour instaurer la dictature.
La deuxième partie souligne que le pouvoir a bénéficié d’un large consensus, partagé par certains milieux d’affaires, mais reposant sur l’accord et le consentement d’une large partie de la population. Le régime nazi est à la fois polycratie où tous les cadres travaillent en direction et pour le Führer, le NSDAP tentant de prendre le contrôle de chacun des segments de la société allemande, mais il bénéficie aussi du soutien d’une partie de la population qui s’accommode du régime que les auteurs présentent comme une dictature de la participation dans laquelle une partie des Allemands bénéficie d’avantages sonnants et trébuchants. Au demeurant, pour ses opposants, cette dictature s’accompagne d’une mise au pas complète, radicale et sanguinaire. Terrible, son degré de violence reste nettement inférieur à la période de la guerre qui a libéré les pulsions. La dictature est instaurée par strate touchant les adversaires politiques, avec l’ouverture du premier camp à Oranienburg et parallèlement l’ennemi désigné, coupable des maux de l’Allemagne par naissance, les Juifs. Elle s’étend ensuite à toute la population susceptible, quel qu’en soit le motif susceptible de s’opposer ou de gêner l’ordre (marginaux, vagabonds, mendiants). La volonté de purifier la société s’étend et sert d’accélérateur.
Le troisième temps est la Guerre génocidaire. Cette dernière est à la fois le produit d’une logique idéologique et la résultante des circonstances. La société allemande, dans son ensemble, poursuit la logique militaire de la Première Guerre mondiale. Le consentement évoqué précédemment favorise la militarisation. C’est la guerre qui porte à son paroxysme les pulsions meurtrières du nazisme et l’industrialisation forcée qui facilitent les différentes phases de la guerre d’extermination conduite à l’Est : la Shoah par balles puis les camps d’extermination en représentent l’aboutissement.
Après quatre ans de massacre de masses et une guerre d’une violence nouvelle, le régime s’effondre et se décompose à une rapidité provoquant dans le pays une vague de terreur chez ses thuriféraires qui pour beaucoup préfèrent mettre fin à leurs jours plutôt que d’affronter le jugement des contemporains. Le nazisme s’est écroulé, quelques-uns notamment dans les milieux d’affaires ont réussi à survivre et à s’adapter, comme le montre l’ouvrage de David De Jong.




Le nazisme s’est appuyé aussi sur le milieu des entrepreneurs. Ces derniers ont, pour certains, facilité l’accession d’Hitler au pouvoir et surtout par la suite. À travers l’étude de quelques grandes familles d’industriels Quandt, Flick, Von Finck, Porsche, Oetker, le journaliste montre comment ces industriels ont d’abord soutenu l’arrivée des nazis au pouvoir. Les Quandt sont un des exemples. Industriel du textile, l’un des fils de la famille, Gunther a épousé Magda Behrend. S’ils se séparent en 1929, Magda épouse Joseph Goebbels peu après. Gunther Quandt affiche son soutien au Parti nazi en 1931, le finançant abondamment. La firme familiale développe son activité dans l’industrie militaire. En échange de son soutien antérieur, AFA qui fabrique des batteries pour les sous-marins reçoit nombre de commandes, utilisant la main-d’œuvre gratuite fournie par le système concentrationnaire nazi. Gunther Quandt est, pendant quelques mois, inquiété, mais peut très rapidement après la guerre reprendre son activité et transmettre le capital de l’entreprise à ses descendants qui, pendant des décennies, conservent le silence sur les agissements de leur aïeul. Deuxième exemple : la famille Porsche. Le soutien au régime est tout aussi affiché. En 1933, Ferdinand suggère à Hitler de lancer une voiture pour le peuple, la future Coccinelle de Volkswagen. À partir de 1939, le dirigeant planifie la production du matériel militaire et comme Quandt utilise la main-d’œuvre déportée. Arrêté, il réussit à transmettre l’entreprise à son fils sans que ce dernier soit inquiété et que les usines ne soient réquisitionnées.
Troisième exemple parmi d’autres, Rudolf August Oetker, fils d’industriel ayant fait fortune dans l’agroalimentaire, engagé dans la Waffen SS, il est l’un des officiers qui surveillent le camp de Dachau. Jamais inquiété, il réussit à vivre jusqu’à 90 ans à la tête de cette entreprise.
Les exemples utilisés par l’auteur sont riches, ces familles ont pu prospérer sans la moindre remise en cause. L’argent n’a pas d’odeur.


Le monde nazi 1919-1945
Johann Chapoutot, Christian Ingrao, Nicolas Patin
Tallandier 2024 630 p. 27, 50 €

Milliardaires nazis
David De Jong
Nouveau Monde 2024 452 p. 24,90 €


PAR : Sylvain Boulouque
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