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Actus anarchistes
par Sylvain Boulouque le 7 août 2024

Claire Auzias, la voyageuse de l’histoire

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Rebelle, Claire, libre et libertaire

La camarde a emporté notre amie Claire Auzias, ce 6 août. Elle a lâché la rampe abattue par un crabe fulgurant. À la lecture ou à la relecture de quelques-uns de ses ouvrages, beaucoup comprendront la perte que représente sa disparition. Avec tristesse, ses amis n’entendront plus ses remarques souvent pertinentes, parfois un peu rugueuses, car Claire n’avait pas la langue dans sa poche, elle pouvait même parfois avoir la dent dure, mais ses réflexions ont toujours été marquées par une connaissance approfondie des sujets auxquels elle s’intéressait. Claire avait un caractère entier, parfois un peu sectaire, quand on passait outre, il y avait une personnalité vive, passionnée, pétrie de connaissances aussi diverses et variées qu’approfondies. Elle débattait toujours pour faire progresser la réflexion et prolonger une idée, répondant aussi à sa conception et à son exigence de liberté individuelle comme intellectuelle.




Enfant de mai 1968, Claire a incarné ses révoltes, parfois ses excès. Née le 28 avril 1951 à Lyon, elle a grandi dans le quartier de la Croix-Rousse puis à Bron dans la banlieue lyonnaise dans une famille d’enseignants communistes. Un milieu familial autoritaire, s’estimant à l’avant-garde culturelle ouverte sur le monde mais particulièrement rigide. Tout en multipliant les interdits, ses parents la laissent partir fréquemment à l’étranger où elle découvre la liberté de tomber amoureuse, avorte à l’hiver 1968. Comme, Claire l’expliquait dans son ouvrage d’entretiens avec Mimmo Pucciarelli, Claire l’Enragée (ACL, 2006 consultable en ligne http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Claire-l-enragee,1061.html) Mai 1968 l’a sauvé. Quelques jours auparavant, son père, violent, battant régulièrement les trois sœurs, la viole. Claire quitte le foyer familial pour participer aux événements. Le 3 mai 1968, elle vit ses premières manifs avec ces copains de lycée tous militants au groupe Bakounine. À cette date, elle ne connaît pas le mot même. Très vite, elle est intégrée au groupe. Ils fondent un Comité d’action lycéen, occupent la fac, participent au mouvement. Ils créent avec des militants des jeunesses communistes révolutionnaires, dissidents par rapport à la direction nationale, un mouvement du 22 mars, comme une copie de celui de Nanterre. Piquet de grève, aide à l’occupation, barricades et surtout rencontre avec les trimardeurs lyonnais – ces mauvais garçons considérés par l’extrême gauche comme le lumpenprolétariat – avec qui les libertaires lyonnais vont faire un bout de chemin et quelques barricades dont une restée célèbre. Dans la nuit du 24 mai, des émeutiers envoient un camion sur les forces de l’ordre. Un policier meurt d’un accident cardiaque, mais pour certains les responsables sont désignés, ce sont les trimardeurs, alors que tous les étudiants et lycéens ont participé à l’émeute. Mais seuls 3 d’entre eux sont inquiétés et arrêtés, ceux qui sont à la marge de la société, pour être acquittés un an après, suite à presque deux ans de préventive. Claire a mis longuement en perspective cette histoire dans son livre Trimards (ACL, 2017 et dans IRL, n°77/78 consultable en ligne http://www.atelierdecreationlibertaire.com/IMG/pdf/Mai_mineur.pdf ) mettant un coup de pied dans la fourmilière des commémorations soporifiques de 68.




Après les événements, elle passe quelques jours dans un camping libertaire où elle s’ennuie jusqu’à le déserter pour partir en vacances… Bien qu’en rupture ses parents, ils l’obligent à passer le bac. Ses études supérieures initialement ne se sont pas caractérisées par son assiduité, Claire choisit alors la dope, voyage beaucoup d’Afrique en Asie et aussi soutient aussi l’action de militants aux marges : ports d’arme, braquages, vol… Ils se font vite arrêter suite à une histoire rocambolesque où l’utilisation de psychotrope leur a été néfaste. En 1971, Claire passe huit mois en prison puis est condamnée comme ses copains. Elle est libérée, reste quelques mois en France avant d’aller en Inde, où elle replonge dans des substances plus dures. Elle finit par être rapatriée, se désintoxique et commence une nouvelle vie. Vers 1977, elle était rentrée dans le rang, comme elle l’a expliqué dans Claire l’enragée.

Féministe et libertaire
Claire reprend le militantisme dans des groupes féministes d’une part et dans le mouvement libertaire d’autre part. Pendant ses années de militantisme, elle publie avec plusieurs militantes un recueil important de textes d’Emma Goldman, une tragédie de l’émancipation féministe (publié chez Syros en 1978). Elle met aussi en lumière grâce à sa réflexion la place des femmes dans les grèves. Son livre co-écrit avec Annick Houel La grève des ovalistes (Payot, 1982) dans laquelle elles montrent l’un des premiers conflits sociaux des ouvrières du textile lyonnais, dans lequel l’Association internationale des travailleurs joue un rôle de soutien important. La grève se solde par un échec. Le livre lui est un succès par les matériaux utilisés et les questionnements évoqués.
Mais, surtout elle entame un travail universitaire qui demeure pionnier : rendre à Lyon sa mémoire libertaire. Le travail était alors particulièrement original puisqu’il propose l’un des premiers essais d’histoire orale. Elle soutient sa thèse en 1980 qu’elle a publiée en 1993 à L’Harmattan et que l’ACL doit rééditer prochainement. À partir de 18 entretiens, Claire y analyse la microsociété libertaire lyonnaise, montre comme les libertaires se sont à partir des années 1920 recroqueviller sur un microcosme tout en refusant la fin de l’idée libertaire et en développant des modalités de militantisme originales. Elle rappelle que loin de l’imaginaire ses militants étaient majoritairement ouvriers, donnaient une place prépondérante à l’éducation, s’investissaient pour certains dans le mouvement syndical, pourtant mal en point, tentaient de créer les conditions d’un changement social profond par la parole, le verbe ou la contre-culture.
Pendant une quinzaine d’années, Claire a enseigné le plus souvent dans des conditions précaires, mais elle s’en moquait, comme elle le disait « je n’ai pas besoin de grand-chose ».




Le hasard de la vie et de la recherche l’ont conduit vers un nouveau champ d’études : les Tsiganes, comme un retour inattendu à Bron. En 1991, elle commence à travailler pour l’Institut de l’Enfance et de la Famille sur les familles Roms en Europe de l’Est. Rapidement, elle publie une étude sur les familles Roms de l’Europe de l’Est, analyse le poids du génocide et la domination du communisme. Très vite, elle multiplie les travaux soit d’enquête soit de synthèse. Claire considérait que ce peuple nomade symbolise à la fois la liberté de déplacement, un peu comme un miroir de son itinéraire, mais aussi différentes formes d’oppression, étatique mais aussi clanique, voire familiale. Elle a multiplié les travaux et les publications sur le sujet tout en restant en marge, la « tsiganologie » et surtout les « tsiganologues » lui cassaient les pieds. Normal, Claire était un peu hors norme dans le monde universitaire. Elle a parfaitement restitué les grands moments de la culture tsigane dans La Compagnie des roms (ACL 1994), mis en perspective les mécanismes d’oppression mis en place en Europe dès le Moyen-Âge dans les Funambules de l’histoire (La Digitale 2002) et remarquablement expliqué Samudrapien ou Pomajmos, l’extermination des Tsiganes par les nazis (L’esprit frappeur, 2000 et 2022). Toujours hors des sentiers battus, elle s’est aussi intéressée aux Tsiganes en terre d’Israël (Égrégores/ Indigènes, 2013), qui doit se lire comme un véritable plaidoyer internationaliste et cosmopolite.
Claire s’est également faite éditrice. Lors de son séjour marseillais, outre sa participation aux activités du Centre international de recherches sur l’anarchisme, elle est des fondateurs des éditions Égrégores dans laquelle ont été publiés plusieurs livres importants comme celui de Lou Marin sur Camus et les libertaires, les mémoires du bagnard anarchiste yiddishophone Jacob Law, dont elle réalise la présentation ainsi qu’un livre qu’elle cosigne avec le photographe Éric Roset consacré aux Femmes tsiganes.
Elle a aussi multiplié les textes et réflexions utilisant des angles d’approche souvent originaux comme son Paris révolutionnaire qu’elle avait publié une première fois en 2001 (éditions libertaires, 2019). Elle a aussi rédigé une petite biographie très personnelle de Louise Michel comme un autre écho de son engagement féministe (éditions libertaires 1999) ou un essai sur l’illégalisme, Les aventures extraordinaires de Laplume et Goudron aux mêmes éditions.

Tout au long de sa vie, Claire a écrit de nombreux articles pour la presse anarchiste d’Informations rassemblées à Lyon (devenu informations et réflexions libertaires), le Monde libertaire et Chroniques Noir et rouge pour ne retenir que quelques titres. Rentrée dans le rang avait quand même des limites…
Rebelle, Claire aimait vadrouiller hors des sentiers battus, libre et libertaire. Salut Claire.

Sylvain Boulouque

PAR : Sylvain Boulouque
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1

le 9 août 2024 09:58:09 par Felip Equy

Très bel hommage
Deux noms propres à corriger : Annik Houel et Éric Roset.
Amicalement
F