Chroniques du temps réel > Il me souvient…
Chroniques du temps réel
par Jean-Jean de Garrigues le 10 mars 2024

Il me souvient…

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=7733



Quelle drôle d’idée, quel drôle de temps que ce temps-là. Il parait que c’était comme ça !
Nous sommes au mois de mai, le joli mois de mai, le premier. C’était jour de fête, en tous les cas avant que ça pète, maintenant c’est tous les jours la liberté. Liberté d’être, de penser, d’échanger. C’est tous les jours de fête. Perso, je fais le bois, je découpe, je tronçonne le pin ou le frêne qui est tombé. Ou le vieux chêne, c’est plus rare. Francis me cède quelques tomates, une paire de salades, différents légumes pour la semaine en échange d’un stère de bon bois. On fait tout comme ça les échanges, ils sont bien rares les billets, tout au plus encore quelques pièces de monnaie.




Depuis qu’ils ont tout fait péter, on fait dans la simplicité. Par exemple pour décider des travaux urgents, on décide ensemble lesquels sont prioritaires, qui participe, quand et comment. Et tout à l’avenant, ce n’est pas si compliqué. Il parait que du temps d’avant, ils faisaient des sortes de collégiales, mais finalement en fait il n’y en avait qu’un seul là-haut qui décidait de tout, tout seul, tout le temps, tout seul pour tous. Il se trompait souvent.
Il y en avait un pour chaque pays, les uns et les autres ils ne pouvaient pas se blairer, ils ont fini par s’entretuer, ils s’appelaient les dictateurs, m’a dit mon vieux papi, ils sont partis en enfer, ou ailleurs, on ne sait où, ils sont partis les dictateurs, et tous les gens en dessous, c’est-à-dire tout le monde avec. Ou presque.
Quelle drôle de façon de faire ils avaient, quel drôle de temps c’était !
Des comme papi, il y en avait quelques-uns, ils les appelaient les libertaires, les doux rêveurs. Papi s’en souvient, ils n’avaient pas la vie belle parce que c’étaient les opposants aux dictateurs, et comme les dictateurs avaient tous les pouvoirs, ils avaient tous les moyens pour combattre les libertaires. Mais ces gens-là avaient les pieds sur Terre, c’est ça qui manquait le plus aux dictateurs. A force de faire n’importe quoi, les dictateurs, ils ont déréglé le temps, ils ont déréglé l’horloge, les vents, les eaux et les courants, et quand ça a été bien le chaos ils se sont renvoyé la responsabilité et ils ont décidé de se faire la guerre, ce qui n’a rien arrangé.
Les libertaires, ils ne l’ont pas faite, eux la guerre, ils les ont laissé s’entretuer. Si bien qu’ils sont restés seuls sur Terre. Que des libertaires, c’est ce que m’a dit papi…
Il est bien vieux maintenant papi, il ne parle plus beaucoup. C’est dommage, il en disait beaucoup des choses de l’ancien temps, il dit de l’ancien testament, du temps des grands enterrements, du grand chambardement.
- Papi, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les gens de ce temps-là, ils se laissaient faire comme ça, tout le temps ? Le papi me regarde, il semble vouloir me dire, mais ça ne vient pas tout de suite…Son regard est bizarre
- Tu sais mon grand, c’était pareil même avant, il y avait les esclaves…
- Les gens ont peur, ils ont peur de tout, alors ils acceptent…il y en a toujours un qui parle bien, qui harangue la foule, qui promet la sécurité, la protection, alors on lui donne les pouvoirs et c’est le maître
D’un coup, ça lui revient, ça s’enchaine, il retrouve les mots…
On est là, tous les deux, on se regarde, un peu hagards, perdus dans nos pensées. Quand je pense que c’était comme ça avant, que s’en est pas croyable ! Je suis perdu dans ces pensées, il faut que je me remette au travail, assez lambiné, j’ai encore tant de bois à couper, mais ce n’est pas possible c’est le doigt que je me suis coupé !
Et ça m’a fait si mal que je me suis réveillé d’un coup.
Et que je suis revenu à la triste réalité.
Papi est décédé il y a trois jours, aujourd’hui c’est premier mai, on l’enterrera demain.
Et mes rêves avec.

Jean-Jean de Garrigues
PAR : Jean-Jean de Garrigues
SES ARTICLES RÉCENTS :
Melon 2000
LES CHEFS ...
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler