Actus anarchistes > Thierry de Lavau (5 novembre 1954 – 26 janvier 2024) in memoriam
Actus anarchistes
par Florence • le 4 février 2024
Thierry de Lavau (5 novembre 1954 – 26 janvier 2024) in memoriam
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– Je déteste le pouvoir, je déteste autant obéir que commander !
– Tu es une anarchiste qui s’ignore !
– Moi ? Mais je ne brûle pas les voitures !
– Moi non plus !
– Mais tu n’es pas anarchiste ?
– Bien sûr que si, pourquoi Armand Gatti, Pierre Clastres, Élysée Reclus, que tu apprécies tant et qui n’ont pas brûlé des voitures, seraient anarchistes, mais pas des gens lambda comme toi et moi ?
– Bah …
– Je suis même à Radio Libertaire depuis sa première année d’existence.
– Euh …
– Tu connais l’émission Traffic, chaque mercredi soir à 22h30 ?
Eh non, je ne connaissais même pas Radio Libertaire. Ni la FA bien entendu !
Il me raconta sa vie militante et radiophonique lors de nombreux déjeuners dans les petits restos du côté de Marx Dormoy. Nous nous découvrîmes des accointances en matière de musique, africaine et jazz expérimental tout particulièrement. Thierry entreprit de combler mon retard musical rock, car, sur ce point, je m’étais arrêtée à Led Zeppelin.
C’est avec lui que j’osai pousser la porte de Publico pour la première fois.
– C’est plein de drapeaux, même noirs je déteste tout les drapeaux et les nationalismes quels qu’ils soient !
– Ils ne vont pas te manger, tu t’intéresses à la Commune de Paris, tu y trouveras ton compte !
En effet, il avait raison.
C’est beaucoup plus tard que j’osai me lancer dans la radio. Grâce à l’assurance qu’il m’avait donnée.
Quand nous avons fait connaissance, Thierry était directeur de la Régie de Quartier et moi plongée sans crier gare dans RESF. Les élèves chinois que je suivais en Réseau d’Aide pour leur apprendre le français étaient presque tous nés à Paris mais avaient des parents que l’école ignorait, « sans papiers ». Au printemps, un parent en France depuis dix ans fut arrêté en catimini près de l’école et mis en garde à vue dans un lieu inconnu. Sa fille disparut de l’école même après avoir cherché en vain sa trace dans le quartier. Un inconnu déboula dans le bureau du directeur d’école pour expliquer la situation des Chinois du quartier. Il essayait de leur apprendre le français sans aucun local. Je lui mis à disposition ma classe le mercredi avec le soutien de l’inspectrice locale de l’Éducation nationale. Mais les parents, qui travaillaient dur, étaient surtout disponibles le soir et le dimanche. Il fallait un local supplémentaire à l’école.
J’emmenais souvent des groupes d’enfants entre 4 et 7 ans à la ludothèque du pôle associatif pour leur apprendre le français en jouant. J’expliquai la situation à la responsable de la ludothèque.
– Va voir Thierry à l’étage au dessus, il résoudra ton problème en un quart d’heure.
Confiant les enfants à la ludothécaire et aux deux stagiaires, je grimpai les marches en vitesse.
J’avais croisé Thierry plusieurs fois bonjour-bonsoir. Sa réputation d’efficacité sans faille alliée à un grand humanisme se révéla exacte. Quinze minutes plus tard, le problème était résolu. Le dimanche qui suivit, l’interprète eut les clefs de la salle informatique et du local d’apprentissage. L’école lança une pétition des parents. Les élèves organisèrent une pétition des enfants sous l’impulsion d’une enfant noire pour sa copine chinoise. Le quartier se mobilisa. À l’époque, menacer la police d’un lâcher d’enfants de la maternelle dans un commissariat assurait la libération fissa d’un parent arrêté ! Le père d’élève fut libéré, sa fille revenue à l’école, mais son dossier lourd d’une grosse pile de papiers fut refusé par la préfecture et il resta « sans papiers ».
Avec l’appui de la Mission locale et de Thierry, pour remplir les paperasseries en bonne et due forme, l’interprète eut une première fiche de paye en novembre. Je fis un planteur pour arroser l’événement en précisant que s’il y avait eu un Antillais dans le groupe je ne m’y serais pas risquée.
Nouvelle découverte concernant Thierry quand il me répondit :
– Ton breuvage est très bon et je m’y connais : ça ne se voit pas mais je suis à demi antillais !
Avec RESF, nous n’avons pas eu que des échecs. Je me souviens d’une enfant d’Afrique de l’Ouest métamorphosée quand sa mère fut régularisée. Elle s’épanouit, devint « élève » et entra dans les apprentissages. Ce que l’inspectrice avait compris, d’où son soutien.
Thierry et l’interprète coorganisèrent des fêtes au Grand Parquet et au pôle associatif. Quels bons souvenirs ! Cependant, épuisée, je finis par changer d’école pour un endroit moins lourd.
Voilà la naissance d’une amitié et un pan de la vie professionnelle de Thierry qui n’est pas dans le Maitron.
Alors qu’il semblait se remettre de sa « longue maladie », l’infection nosocomiale l’a frappé sans crier gare.
L’interprète, toujours en activité, lui a rendu un dernier hommage ému dans la chambre funéraire.
La somme des petites actions font, aussi et d’abord, les grands humains. Merci à toi Thierry.
Une pensée pour sa famille et ses amis, pour Agnès, sa complice de radio.
Florence,
Des cailloux dans l’engrenage sur Radio Libertaire
émission en hommage musical à Thierry le 31 janvier 2024
PAR : Florence
Emission Des cailloux dans l’engrenage sur Radio Libertaire
Emission Des cailloux dans l’engrenage sur Radio Libertaire
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