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par Frédéric Pussé le 14 août 2023

La collaboration des industriels avec le régime nazi (3e partie)

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Les constructeurs automobiles qui roulent pour Hitler aux États-Unis et en France

Article paru dans le Monde libertaire n° 1849 d’avril 2023
Elles sont nombreuses, ces grandes entreprises, à vouloir poser un voile sur leur passé trouble et pas très glorieux, et grâce auquel elles ont pu prospérer. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), la plupart d’entre elles ont poursuivi leurs activités, et certaines sont même devenues aujourd’hui des multinationales.
Intéressons-nous à ces grands groupes industriels et à leurs dirigeants ayant sévi aux côtés des nazis, avant et pendant le conflit, que ce soit par idéologie ou par intérêt économique.

Le troisième et dernier volet de cette série d’articles est consacré aux constructeurs automobiles qui roulèrent pour Hitler aux États-Unis et en France.
Bien que l’industrie automobile allemande fût plus que largement dévouée au Troisième Reich comme nous l’avons vu dans le premier volet, c’est au-delà de ses frontières qu’il trouva de quoi alimenter encore davantage son arsenal guerrier, et aux États-Unis particulièrement, berceau du capitalisme.

General Motors, un constructeur américain opportuniste et sans scrupules



Alfred Pritchard Sloan (1937), président de General Motors de 1923 à 1956

Le premier constructeur automobile des États-Unis, General Motors (GM), possède, comme on l’a vu précédemment dans cette série d’articles, la firme Opel et ses vastes usines implantées sur le sol allemand.
Sous le régime hitlérien, la production se tourne vers le secteur militaire.
Ainsi, GM va, par l’intermédiaire de sa filiale allemande Opel, fabriquer le principal véhicule de transport de la Wehrmacht, le camion Opel Blitz. Entre 1937 et 1944, c’est environ 80 000 exemplaires qui sont construits dans différentes versions : transport de troupes et de ravitaillement, PC mobile, ambulance, camion-citerne et atelier, quatre roues motrices, etc. L’Opel Blitz sert aussi de base pour la construction de camions semi-chenillés, pouvant être blindés et équipés de canons et de lance-fusées.
Mais GM ne se contente pas de fournir seulement des camions à la machine de guerre nazie. Elle assemble aussi des avions, tels que le bombardier Junkers Ju 88 qui est l’appareil le plus polyvalent de la Luftwaffe. Et conjointement avec l’américain Standard Oil of New Jersey, futur Exxon, et l’allemand IG Farben, le consortium chimique allemand, elle livre au Troisième Reich des composants synthétiques pour carburants d’avion.
Les coûts salariaux sont réduits en Allemagne par l’exploitation d’une main d’œuvre bon marché, incorporant prisonnier·ères de guerres et déporté·es, astreint·es à se tuer à la tâche dans des conditions inhumaines. Opel, la filiale allemande de GM, engrange ainsi des bénéfices records. À la fin 1939, sa valeur a plus que doublé par rapport à l’investissement initial.
Parallèlement, à partir de février 1942, juste après Pearl Harbor qui provoque l’entrée en guerre des États-Unis, GM participe à l’effort de guerre américain et devient l’un des plus importants fabricants de fournitures de guerre de l’armée des États-Unis. Reconvertissant ses usines implantées sur son sol national, l’entreprise produit divers types de véhicules militaires, des moteurs d’avions, des chars, des munitions, etc.
De ce fait, les commandes du ministère de la Guerre des États-Unis enrichissent encore davantage le constructeur américain opportuniste et sans scrupules, qui reste, en Allemagne avec sa filiale Opel, au service des nazis. Opel étant même jugée « exemplaire » par Berlin.
Après 1945, ni les dirigeants de GM et ni ceux d’Opel n’auront de comptes à rendre devant la justice, et les deux sociétés poursuivront leurs fructueuses activités dans l’automobile.
En 2017, GM Europe sera racheté par le groupe PSA (Peugeot Société Anonyme).

Henry Ford, un entrepreneur américain habile, antisémite et pronazi
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’autre constructeur américain, qui est avec General Motors l’un des deux principaux fournisseurs de la Wehrmacht en véhicules de transport de troupes, est la société Ford Motor Company.
L’usine Ford-Werke, située à Cologne en Allemagne, et le site de Ford situé à Poissy, en région parisienne, et donc en France occupée, produisent pour le Troisième Reich un grand nombre de véhicules militaires.
La firme américaine engrange aussi, comme son compatriote GM, les profits tirés du travail forcé des prisonniers de guerre et des déporté·es employé·es dans son usine de Cologne, et subsistant dans des conditions effroyables.
Simultanément, le géant américain de l’automobile participe également, comme GM, à l’effort de guerre allié en construisant des jeeps, des chars, des bombardiers… pour l’armée des États-Unis. Ford possède même des usines en URSS, qui elles, produisent camions et autres véhicules militaires pour l’armée rouge.
Mais, afin de mieux comprendre le cas Ford, revenons un peu en arrière dans le temps.

C’est en 1903 qu’Henry Ford crée la Ford Motor Company, qu’il va diriger de 1906 à 1945.
Ingénieur, inventeur et homme politique, il est foncièrement anticommuniste et antisémite, et exprime son idéologie à travers de nombreux articles qu’il publie à partir des années 1920. Il inspire ainsi les écrits du futur chancelier du Reich, Adolf Hitler, lequel l’admire également pour ses thèses sur l’organisation du travail, directement inspirées du taylorisme et qui deviendront le fordisme.
Dès les années 1930, Henry Ford soutient financièrement le parti nazi. En 1938, il reçoit la Grande-Croix de l’ordre de l’Aigle allemand, plus haute décoration nazie pour les étrangers.



A l’occasion de son 75e anniversaire, Henry Ford recevant la Grande Croix de l’Aigle allemand, la plus haute distinction nazie décernée à un étranger, des mains de Karl Kapp, consul allemand à Cleveland.

Malgré les évidences, Henry Ford n’avouera jamais clairement ses sympathies pour le nazisme. Après la guerre, il niera avoir exploité des travailleur·ses des camps de concentration en Allemagne et prétendra n’avoir eu aucun contrôle sur sa filiale allemande à l’époque. Il ne sera jamais inquiété par la justice et mourra, en 1947, à l’âge de 83 ans, à la tête d’une fortune personnelle colossale.
Ses héritiers prendront sa suite, et la marque Ford reste aujourd’hui un géant mondial de la construction automobile.

Louis Renault, un constructeur français controversé
Le cas de Louis Renault est assez représentatif de celui de nombre d’entrepreneurs des pays occupés par les Allemands. Il semble jouer sur les deux tableaux, roulant indifféremment pour celui qui fera tourner ses usines.
Le constructeur automobile français avait déjà merveilleusement su se positionner afin de considérablement augmenter ses bénéfices lors de la première grande boucherie[note] .



Rencontre Louis Renault et Adolf Hitler en février 1935

Ne cachant pas sa proximité avec l’extrême-droite, Louis Renault figure dès 1939 parmi les premiers fournisseurs de matériel de guerre de l’armée française. Lorsque l’année suivante arrive l’Occupation, les usines Renault de Boulogne-Billancourt, proches de Paris, paraissent réquisitionnées par la Wehrmacht, puis sous le joug du régime de Vichy. En 1942, elles sont bombardées par les Alliés. Louis Renault décide alors de reconstruire et, de fait, de maintenir de la production sur le site pour les Allemands.
Après la Libération de Paris, il est accusé de collaboration économique avec l’ennemi. Malade, il est incarcéré en septembre 1944, et meurt en détention le mois suivant, à l’âge de 67 ans, sans que son procès puisse avoir lieu. Trois mois plus tard, en janvier 1945, son entreprise est nationalisée sous le nom de Régie nationale des usines Renault. Elle sera de nouveau privatisée en 1996.
Encore aujourd’hui, les historiens restent divisés s’agissant du cas de Louis Renault. Son degré d’implication dans la collaboration avec l’occupant nazi et le régime de Vichy donne lieu à des débats contradictoires et à des thèses très différentes.

Au-delà de l’industrie, ce sont tous les secteurs d’activité qui ont participé de près ou de loin, en Allemagne et ailleurs, à la bonne marche du régime nazi. À l’évocation déjà non exhaustive de ces grands industriels, l’on pourrait par conséquent ajouter leurs nombreux confrères des banques, de l’électronique, de la confection, du luxe, de l’alimentation, du bâtiment et j’en passe.
Certaines de ces entreprises ou familles, parmi lesquelles des multinationales ou des dynasties richissimes, ont exprimé depuis de profonds regrets et tentent de racheter leur conscience en excuses, réparations ou indemnisations.
N’oublions pas cependant, que nombre d’entre elles seraient prêtes à recommencer, et que d’ailleurs, de multiples sociétés et grands groupes continuent de nos jours à prospérer sur les guerres et les génocides.

Frédéric Pussé

PAR : Frédéric Pussé
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1

le 16 août 2023 14:23:26 par djedje

j’ai travaillé pour Renault en tant que prestataire, et justement j’avais fait quelques temps à Boullogne Billancourt. Cet article est très informatif, merci.