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Luttes syndicales
par Urbain Bizot le 26 avril 2023

Au-delà de la retraite

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« Après l’insurrection du 17 juin, le secrétaire de l’Union des écrivains fit distribuer des tracts dans l’allée Staline.Par sa faute, y lisait-on, le peuple a perdu la confiance du gouvernement, et ce n’est qu’en redoublant d’efforts qu’il peut la regagner. Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
Bertolt Brecht, La solution (dans Élégies de Buckow, 1953)

A force d’ignorer les manifestations massives qui recouvrent l’ensemble du territoire français, le faussement jeune Macron finit par révéler l’archaïsme absolu de sa position. En mettant systématiquement en œuvre les dispositifs les plus anti-démocratiques de la Constitution de la Cinquième République, et en assénant de façon ininterrompue les dénégations du réel les plus éhontées, le roitelet-banquier révèle le secret le mieux gardé du système parlementaire : que celui-ci n’est par principe même qu’une inversion systématisée de la réalité.





Quand l’image avale le réel


En effet, le peuple, supposé souverain, pourrait tout entier descendre dans la rue que le pouvoir le traiterait encore de simple foule, ou de bande de factieux. Le peuple, selon le pouvoir, c’est au contraire la petite bande d’histrions qui fait de la figuration au Palais-Bourbon. Le peuple n’est plus lui-même, ses représentants le remplacent, et c’est là leur fonction. Dans cette opération de représentation, où la copie prend la place de l’original (ou la partie celle du tout), le peuple se trouve tout simplement dissous. Par ce véritable acte de prestidigitation, le peuple disparaît comme le lapin dans le chapeau. De façon tout à fait orwellienne, ce qu’on appelle frauduleusement la démocratie n’est que la dépossession du peuple, celle qui fait qu’il n’a tout simplement pas voix au chapitre puisqu’il n’existe plus. Quand le peuple est privé de réalité, ses représentants n’ont plus à le représenter mais ils tiennent lieu de lui, ils se représentent eux-mêmes.

Le mensonge de la représentation s’alimente par l’idée que les élus demeurent au service du peuple, continuent à le sonder et à l’écouter, et qu’ils conforment leurs agissements à la volonté générale. Seulement, visiblement, il n’en est rien. Mais cela ne se voit clairement que lorsque le divorce entre les deux est consommé, et que les élus ne peuvent plus sauver leur fonction qu’en niant explicitement la volonté du peuple. Leur existence est strictement conditionnée par le fait de faire taire ce qui reste du peuple, de ne jamais le laisser s’exprimer. La sphère de l’expression leur appartient de façon monopolistique, et ce qui ne s’exprime pas, le peuple, est censé ne pas avoir de réalité. Et ce qui, ainsi, est vrai des députés l’est de façon encore plus concentrée et pathologique en ce qui concerne le « chef suprême », la fonction présidentielle. La folie dangereuse de cette position reste cachée tant que celui qui l’occupe lui apporte des accommodements, et l’agrémente de quelque nuance. Cette longue période vient de prendre fin, la monarchie présidentielle a éclaté au grand jour.

Le management met fin à l’illusion du politique


Nous en sommes là, très exactement. Et toute considération critique qui s’arrêterait en cours de route, et qui ignorerait ce constat essentiel, se condamne à l’inanité. Il est constatable qu’un nombre grandissant de Français l’a compris, se réveillant d’un long sommeil grâce aux outrances de l’actuel figurant. Malheur au mouvement social qui s’arrêterait avant la prise en compte de ce constat, et qui se condamnerait à retomber dans une continuation, nécessairement aggravée, de l’ancien rapport de forces.

La Cinquième République n’est plus qu’une forme vide, qui persiste alors qu’elle est réfutée. Elle organise la répression et le mensonge de la façon la plus violente pour ne pas avouer qu’elle n’a plus qu’à disparaître. Sa prétention à présenter un équilibre, au moins ponctuel, entre le peuple et les institutions ne fonctionne plus. Finalement, le mensonge s’est usé.
C’est ainsi qu’un sujet particulier, comme l’âge légal de la retraite, accélère considérablement la perception populaire de la perdition de tout un régime. Comme le jeune PDG de l’entreprise France avait promis aux actionnaires d’imposer une telle mesure, comme il s’est trouvé empêché de le faire au cours d’un premier quinquennat et qu’il ne lui en reste qu’un second pour y parvenir, il ne peut plus se permettre d’agir en diplomate, comme l’ont fait souvent ses prédécesseurs. Du reste, il n’a rien d’un homme politique, encore bien moins du chef d’un État « démocratique ». Éduqué par l’idéologie managériale, habitué au caractère foncièrement anti-démocratique de l’entreprise, il veut faire plier les Français, épreuve de force qui, de surcroît, lui apporte visiblement la jouissance de celui qui se trouve enfin du côté du manche, de celui qui provoque la colère en face de lui et qui l’imagine impuissante. Et si quelque chose lui fait défaut, c’est simplement de ne pouvoir licencier cette population indisciplinée, et qui malgré tant d’efforts investis, ne s’habitue toujours pas au masochisme que le système d’aliénation attend d’elle à chaque instant.

Le malheur de l’homme politique, c’est qu’il ne peut suivre le conseil donné par Brecht ! Cette malédiction est inhérente à sa profession !

Mais pour que l’obsolescence achevée de la simulation parlementaire éclate au grand jour, il faut encore qu’elle se retrouve face à son contraire. Quelle forme peut revêtir ce contraire ? Pour quitter un tel asile d’aliénés, il ne manque à la population que d’adopter des formes de contre-pouvoir capables de mettre hors-circuit les pouvoirs établis et de reprendre en main l’organisation de la vie sociale. C’est évidemment ce qui est le plus difficile, une fois disparus le prolétariat industriel et ses gros bataillons. Comment réunir désormais un terrain social qui fut si efficacement émietté par la modernisation néolibérale ?

Syndicats, pas syndicats… construire une unité en progression


Qu’il s’agisse des syndicats ou de l’extrême-gauche, les revendications officielles sont vite résumées : les plus mous demandent qu’on ne change pas l’âge de la retraite (62 ans), les moins timorés demandent le retour aux 60 ans, et les extrémistes demandent qu’on élargisse le débat à des augmentations de salaire. Ce dernier objectif est paradoxalement présenté comme une « politisation » de la lutte. À aucun moment le fonctionnement politique n’est lui-même mis en cause (même pas le RIC comme chez les gilets jaunes). En d’autres termes, toutes ces revendications entérinent silencieusement le fait que les mécanismes politiques, en demeurant inchangés, garantiront la répétition prochaine des mêmes fiascos socio-économiques.

Les syndicats sont désormais traités par le pouvoir de la façon la plus hostile, les poussant à aller au-delà des limites habituelles. La formation d’une Intersyndicale regroupant toutes les organisations et son maintien pendant trois mois indique que quelque chose a changé, et fait utilement pièce au spectacle dérisoire des partis politiques. Moins éloignés de la base que ces partis, les syndicats montrent par leur union (même si provisoire, et fragile) que les partis n’ont plus aucun rôle à jouer. Si les bureaucraties syndicales risquent de ne maintenir cette unité de façade que tant qu’elle ne vise que la question des retraites, il n’empêche que leur base pousse à une remise en cause plus ambitieuse, et entreprend de se rapprocher des autres mouvements sociaux qui constituent de fait l’opposition à la domination capitaliste, à l’instar des associations que rêve d’éradiquer l’ignoble ministre de la police. Lorsque la base syndicale semble s’opposer au mode de clôture dont ses états-majors avaient l’habitude de se résoudre, difficile de prévoir ce qu’il adviendra. C’est de cela que tout dépend, dans la phase actuelle du conflit. La solidarité avec tout ce que le gouvernement veut liquider, et l’établissement d’un réseau horizontal entre la base syndicale et les autres mouvements sociaux est ce qui peut faire chavirer la situation actuelle en direction d’un contre-pouvoir dont tout mouvement révolutionnaire a besoin pour
prendre forme. Ce qui pourrait alors passer à l’ordre du jour, c’est bien la reconstruction de l’activité sociale sur d’autres critères que la recherche de profit, au-delà de la marchandise, du travail et du règne de la valeur.

Le 18/04/2023
Urbain Bizot

PAR : Urbain Bizot
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1

le 24 mai 2023 13:01:10 par Pitou

Bel article merci