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par Nader TEYF le 31 octobre 2022

Iran : Révolte ou Révolution ?

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Quand vous commencez à lire ces lignes un nom et un slogan vous sont déjà familiers : Mahsa Amini et « Femme, Vie, Liberté ». Mais qui était Mahsa ? Pourquoi ce slogan ? Est-ce une révolte ou une révolution qui se passe sous vos yeux en Iran ?





Quand les femmes sont victimes d’une révolution

L’échec de la révolution de 1979 suivie par l’instauration d’un régime théocratique n’est plus à démontrer. Ce régime est la résultante d’une anicroche historique dont la dénomination même est un oxymore, République islamique : une république pourrait être théocratique ? Une théocratie pourrait être démocratique ?
Ce régime n’a jamais pu, ni voulu, modérer ou répondre aux antagonismes de la société iranienne. Il les a aggravés et empirés. Il a toujours essayé de créer une crise pour cacher la précédente. Il a englouti la société dans une réaction plus que moyenâgeuse. Il a installé un véritable apartheid sexiste contre la moitié de la société : les femmes.
La lutte des femmes pour leur émancipation ne date pas d’hier : Bibbi Maryam Bakhtiari est une figure importante de la Révolution constitutionnaliste de 1905-1906 d’Iran. Elle a pris fait et cause pour les droits des femmes. Elle s’opposa à un mollah réactionnaire qui s’appelait cheikh Fazlollah Nouri.
Mais l’émancipation des femmes rencontra aussi des accrocs quand elles-mêmes ne furent pas de véritables actrices et que les évolutions sociétales ne furent pas prises en considération. Reza Pahlavi le fondateur de la dynastie des Pahlavi, dont le fils a été renversé en 1979, voulut imposer l’interdiction du port du voile islamique. Il décréta le 8 janvier 1936 l’interdiction du hijab dans les écoles, universités et administrations. Des millions de femmes ont alors décidé ou ont été obligées par leurs pères, frères ou maris de rester cloîtrées dans les maisons. Six ans plus tard, le ministère de la « culture » de la même monarchie ordonna que les femmes n’aient plus le droit d’entrer dans les écoles, universités et administrations de l’État sans hijab islamique !

L’ayatollah Khomeiny s’est emparé du leadership de la révolution de 1979. Il avait l’appui financier des commerçants du Bazar (la bourgeoisie commerçante), très importante à l’époque. Il avait aussi le réseau organisationnel des mosquées que le Chah (le roi) avait laissé libre, contrairement à toutes les autres oppositions de gauche, marxistes ou même nationalistes qu’il avait réprimées. Khomeiny a toutefois bien compris que, malgré les appuis financier et organisationnel, il n’arriverait pas à renverser le régime. Il a alors promis monts et merveilles à tout le monde y compris aux femmes, en disant par exemple que le hijab ne serait pas obligatoire. Cette promesse n’a pas duré longtemps. Le 11 février 1979, le régime du Chah fut renversé et le 8 mars 1979 Khomeiny déclara : « Les femmes doivent sortir avec le hijab islamique… On m’a dit que les femmes circulent nues dans les administrations. » La résistance féminine n’a pas tardé. Les femmes étaient dans la rue le même jour, à l’occasion du 8 mars, et cinq jours plus tard contre le hijab islamique obligatoire. Elles disaient entre autre : « La liberté est universelle » et « Nous n’avons pas fait la révolution pour régresser ».




Au cours de ces quatre décennies de vie néfaste, le régime des mollahs a sans cesse renforcé son arsenal législatif misogyne. Il a aussi mis en place des moyens de répression énormes, dont une partie spécialement contre les femmes. La patrouille Ershad (Guidance) ou police des mœurs est un moyen de répression principalement anti-femme, sous forme de vans blancs et verts avec quatre policiers dont deux femmes à bord. Le budget dédié à cette patrouille pour l’année en cours est deux fois et demi supérieur au budget des urgences médicales du pays. L’opacité statistique ne permet pas d’avoir un bilan des persécutions de la police des mœurs mais des féministes avaient donné des chiffres il y a huit ans pour une année : 2 910 798 rappels à l’ordre, 225 134 engagements écrits dans les vans de respecter le hijab et 18 171 poursuites judiciaires. Les femmes d’Iran désobéissent majoritairement à la loi du hijab islamique obligatoire.




Quand une mèche de cheveux allume une explosion
Mahsa Amini était une jeune femme kurde iranienne de 22 ans, en voyage à Téhéran avec sa famille le 13 septembre. Un van de la police des mœurs l’arrête devant une station de métro, non pour absence de hijab mais pour un foulard mal mis laissant apparaître une mèche de cheveux, une forme de résistance depuis des décennies pour des jeunes comme elle. Le frère de Mahsa leur dit : « N’arrêtez pas ma sœur, nous sommes étrangers ici. » Chaque mot de cette phrase a un sens important. Voilà un frère qui défend sa sœur, alors que le régime demande aux hommes d’imposer aux membres féminins de leur famille le respect des règles archaïques religieuses. Il leur dit aussi : « Nous sommes étrangers. » Le régime a toujours considéré les Kurdes comme des étrangers dangereux. Un Kurde n’a, par exemple, pas le droit de se présenter comme candidat aux élections présidentielles, car légalement un candidat ne peut être que chiite et la plupart des Kurdes sont sunnites. Les Kurdes comme les Baloutches, les Azéris, les Arabes et toutes les autres nationalités vivant en Iran n’ont même pas le droit de pratiquer leur langue dans les écoles, administrations etc. Le persan est la seule langue officielle. Et il est fort probable qu’une fois Mahsa embarquée, les policiers l’aient battue plus fort s’apercevant de son accent. Mahsa est décédée à l’hôpital trois jours plus tard d’après les autorités, ou peut-être avant car elle avait reçu des coups mortels à la tête avant son transfert à l’hôpital.
Le choc de la mort de Mahsa a été tel que les protestations ont commencé devant l’hôpital le 16 septembre. Les réseaux sociaux explosent avec l’hashtag #Mahsa_Amini (en persan) de telle sorte que le record de tous les temps de Twitter est battu.
Le régime, effrayé par une telle ampleur de protestations, fait tout ses efforts pour que les obsèques de Mahsa dans sa ville kurde de Saghez soient très calmes, mais il échoue totalement. Plusieurs centaines de personnes se rassemblent. Deux événements majeurs se passent au cimetière : les femmes retirent leur hijab et tournent en l’air les foulards, un petit groupe de participants crie : « Femme, Vie, Liberté » en kurde (mots venus du Rojava où les femmes du YPJ ont vaincu Daech). Les protestations continuent encore plus d’un mois après la mort de Mahsa. Des centaines de milliers de femmes participant aux protestations retirent leur hijab pendant les manifestations ou brûlent leur foulard. « Femme, Vie, Liberté », scandé pendant les obsèques de Mahsa, se répand d’abord dans d’autres villes du Kurdistan d’Iran puis, comme une traînée de poudre, dans plus de 131 villes où les protestations sont en cours. De plus, chaque nationalité a traduit ces trois mots dans sa langue : arabe, azéri, turkmène, baloutche, lur, etc. La République islamique n’aurait jamais cru que la mort d’une jeune femme kurde pourrait créer une telle solidarité entre les gens de différentes cultures et nationalités qu’elle a toujours essayé de diviser.

Quand la répression est impuissante
Le régime des mollahs crée toujours une crise pour couvrir la précédente, là aussi il a perdu. Il nie la mort de Mahsa par coups mortels à la tête en déclarant qu’elle avait des maladies chroniques. Les protestations se développent et les Pasdaran (Gardiens de la révolution) vont bombarder les bases des groupes et partis kurdes d’Iran au Kurdistan d’Irak. Les Baloutches, à l’autre extrémité du pays, manifestant en signe de solidarité avec les Kurdes, sont massacrés massivement, au moins 91 morts pour la seule journée du 30 septembre. Les étudiants se solidarisent et protestent avec les Kurdes et les Baloutches à Téhéran, on les embastille dans les universités. Pour faire encore plus diversion, on provoque un grand incendie dans la prison d’Evin, l’une des plus sécuritaires du monde où des centaines de prisonniers politiques sont détenus, et on dit que les prisonniers de droit commun en sont responsables.

Les révoltes précédentes, en particulier celles de 2018 et 2020, avaient des causes telle l’augmentation du prix des produits de première nécessité et des carburants. Elles se sont déroulées sur quelques jours et ont été durement réprimées. Pour la révolte de 2020, Amnesty International parle de plus de 350 morts et Reuters de plus de 1 500. Les protestations actuelles sont entrées dans leur deuxième mois et continuent. Le mouvement actuel paraît s’adapter à la coupure totale ou restriction d’Internet en choisissant d’autres modes d’organisation, ce qui n’a pas été le cas précédemment. Les gens faisaient des manifestations sporadiques sans les annoncer auparavant, alors que, dans le mouvement actuel, les protestataires annoncent des dates pour une ville ou une autre et les événements ont bel et bien lieu. Des manifestants utilisent aussi d’autres tactiques. Une date était donnée pour la très importante ville d’Ahvaz pour vendredi mais toute la ville était en mouvement la veille. Si, pendant les révoltes précédentes, les populations les plus pauvres urbaines et périurbaines étaient les principales participantes, maintenant l’on constate l’engagement d’autres couches et classes sociales.



Rien qu’à Téhéran, les manifestations sont aussi nombreuses dans les quartiers extrêmement pauvres du sud de la mégapole que ceux plus huppés du nord. Jamais un mouvement n’avait entraîné un soutien artistique aussi large que maintenant : le nombre de chansons révolutionnaires, de dessins, de réalisations vidéo du mouvement actuel, en seulement un mois, n’a jamais eu d’égal. Les très jeunes écoliers et surtout les lycéennes n’avaient jamais pris une part aussi importante qu’actuellement. Iels manifestent pratiquement tous les jours, elles se présentent sans hijab aux classes puis descendent dans les rues et jettent par terre les photos de Khamenei, qu’elles ont déchirées de leurs manuels scolaires. Les ouvriers commencent à débrayer et faire grève non pour des revendications d’augmentations de salaire, dont ils ont pourtant fortement besoin, mais pour protester contre la répression politique. Les ouvriers des firmes non étatiques de l’industrie pétrolière, une industrie clé en Iran, ont déjà fait grève et le régime a arrêté plus de 100 d’entre eux. On a coupé leur Internet mobile pour qu’ils n’envoient pas d’informations. On a même coupé l’eau courante et l’électricité de leurs camps et dortoirs, alors qu’ils travaillent dans des zones du pays où la température atteint quelquefois les 50 degrés. Un autre signe dans le mouvement actuel est la solidarité internationale, jamais constatée auparavant.




La répression est féroce. Selon un bilan publié par une organisation des droits de l’homme non gouvernementale, au 18 octobre 2022, 31e jour du mouvement, 215 personnes, dont 27 de moins de 18 ans, ont été tuées dans les manifestations partout en Iran. Les blessés se comptent par milliers. Le nombre d’arrestations arbitraires est inconnu. Rien qu’à Tabriz, la police politique a préventivement arrêté 1 700 personnes en raison des appels aux manifestations et de l’importance historique de cette ville azérie.

Ce n’est qu’un début ?

Alors, révolte ou révolution ? Citons la réponse de Djaafar Azimzadeh de l’« Union Libre des Ouvriers d’Iran », basée dans le pays, mais interdite. Il a été plusieurs fois emprisonné pour son militantisme ouvrier. Il a publié un article le 17 octobre qui a pour titre « Insurrection du peuple d’Iran, une grande Révolution historique » :
« Le monde est témoin de la formation de la plus grande Révolution du 21e siècle en Iran... Cette Révolution aura, chemin faisant, de gigantesques conséquences non seulement en Iran mais dans tout le Moyen-Orient et même dans le monde…C’est une Révolution pour les libertés et l’égalité…Cette Révolution est celle des femmes, des jeunes, des adolescents, des ouvriers, des enseignants et des écoliers de l’ère informatique et d’échanges d’informations mondiales… »

Nader TEYF
Groupe Commune de Paris de la FA
PAR : Nader TEYF
Groupe Commune de Paris
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