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par Daniel Pinós • le 5 juillet 2021
L’anarchisme et la République en Espagne (Partie 3)
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Une « République sociale et libertaire » y a-t-elle déjà existé ?
Article extrait du Monde libertaire n° 1828 de mai 2121
Révolution et contre-révolution républicaine
La révolution qui débuta le 19 juillet 1936 se heurta à une forte opposition de la part de la Generalitat (gouvernement de la Catalogne) et du gouvernement de la République, qui trouvera son apogée lors de la prise de contrôle du central téléphonique de Barcelone, en mai 1937, par les troupes gouvernementales. Le gouvernement central tenta de reprendre ce site stratégique pour la CNT. Comme en juillet 1936, les militants anarchistes érigèrent à nouveau des barricades dans toute la ville pour défendre la Révolution ; les affrontements – connus sous le nom d’« événements de mai 37 » – commencèrent.
Entre août 1936 et mars 1937, des décrets successifs avaient été pris par un gouvernement républicain où siégeaient quatre ministres anarchistes. Ces décrets mettaient progressivement fin aux conquêtes révolutionnaires de juillet. La plupart des comités d’ouvriers furent démantelés ou vidés de leurs fonctions. Ce fut le cas des comités locaux qui avaient remplacé les conseils municipaux, ou des tribunaux révolutionnaires qui seront dissous pour réinstaller le système judiciaire républicain. Les milices ouvrières furent militarisées et intégrées dans la nouvelle armée populaire, les comités d’approvisionnement et les comités d’entreprise perdirent le contrôle de la production et de la distribution des marchandises. Un des derniers décrets signés permit de mettre fin aux patrouilles de contrôle, corps armés de travailleurs qui avaient garanti l’ordre public depuis la défaite du coup d’État militaire.
Le dimanche 3 mai, le gouvernement ordonna à la Garde d’assaut (la police républicaine) de prendre le contrôle du bâtiment du central téléphonique, qui était aux mains d’un comité formé par des militants de la CNT et de l’UGT (Union générale des travailleurs, socialiste) depuis juillet 1936. La résistance des travailleurs de la CNT à l’assaut de la police déclencha les premiers affrontements. La nouvelle se répandit dans toute la ville. Des barricades furent rapidement érigées dans chaque quartier. Dans l’après-midi, toute la ville était à nouveau sous le contrôle des travailleurs, à l’exception des bâtiments officiels et des sièges du Parti socialiste catalan pro-soviétique (PSUC), de l’ERC (la Gauche catalane) et de l’Estat català (une structure indépendantiste, entre groupe paramilitaire et parti politique).
Tout au long de la semaine, les barricades restèrent en place. Cependant, à la fin de la semaine, les travailleurs finirent par les abandonner lorsque les directions de la CNT-FAI d’abord, et du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) ensuite, leur demandèrent de mettre fin aux hostilités. Seuls quelques groupes, comme les Amis de Durruti [note] et l’aile gauche du POUM, furent favorables à ce que cette insurrection se transforme en une dernière offensive menée par la Révolution contre l’État républicain qui menaçait les conquêtes sociales de juillet 1936. La ville fut prise par 8000 gardes d’assaut dans l’après-midi du 7 mai ; commença alors une importante répression contre le mouvement anarchiste et contre le POUM. Des centaines de personnes furent emprisonnées au château de Montjuich, à la prison Modelo, à l’hôtel Colón et dans différents centres de détention clandestins qui se trouvaient aux mains de la tcheka soviétique[note]. Des dizaines d’autres disparurent et furent assassinées, comme l’anarchiste italien Camilo Berneri.
Après les événements de mai, le POUM fut mis hors-la-loi, ses dirigeants furent emprisonnés et Andreu Nin, son principal dirigeant, fut assassiné.
« La révolution et la guerre étaient perdues et un tel acte de rupture avec la tradition antipolitique de la CNT a été sévèrement critiqué. »
Le passage de la CNT dans le gouvernement républicain a laissé peu d’empreintes concrètes. Les ministres anarchistes sont entrés au gouvernement en novembre 1936 et sont partis en mai 1937. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose en six mois. La participation de quatre ministres anarchistes dans ce gouvernement a été commentée bien plus que leur activité législative – hormis quelques avancées éphémères sur le droit à l’avortement et l’état des prisons espagnoles. La révolution et la guerre étaient perdues et un tel acte de rupture avec la tradition antipolitique de la CNT a été sévèrement critiqué. Pour la mémoire collective du mouvement libertaire, vaincu et en exil, cette trahison, cette erreur ne pouvaient qu’entraîner de terribles conséquences. Toute la littérature anarchiste ultérieure, confrontée à ce sujet, a laissé de côté l’analyse pour toute une série de reproches éthiques bien connus. D’une part, il y avait eu une révolution vigoureuse et souveraine ; d’autre part, il y eut sa destruction, provoquée par l’offensive lancée par le pouvoir républicain contre les milices, les comités révolutionnaires et les collectivisations, ce qui mit fin à tout espoir de changement social. Les rappels à l’ordre des ministres Federica Montseny et Juan García Oliver pour mettre fin à l’insurrection ouvrière et la défaite des militants les plus radicaux continuèrent à entretenir malgré tout l’espoir révolutionnaire en Catalogne. Les choix de certains dirigeants de la CNT entraînèrent le déclin idéologique d’une organisation qui se définissait quelques mois auparavant comme anarcho-syndicaliste et donc anticapitaliste et antiautoritaire. Le mois de mai 1937 de Barcelone a été suivi par la destruction en août du Conseil d’Aragon et des collectivités rurales de cette région, majoritairement libertaire, par l’armée républicaine avec à sa tête le général stalinien Lister. De là, jusqu’à la fin de la guerre en mars 1939, il est apparu clairement que la révolution avait été engloutie par ceux qui étaient son ennemi, mais aussi par certains de ses représentants ayant collaboré à la défaite de leur propre camp au sein du gouvernement.
« L’expérience du mouvement anarchiste en Espagne montre que les révolutions ne doivent pas se faire à moitié. »
Les événements de mai 1937 en Catalogne et la destruction des collectivités anarchistes en Aragon peuvent être compris comme le moment final du processus révolutionnaire de transformation sociale initié à l’été 1936. En conséquence et à long terme, il s’agissait du déplacement de l’initiative politique et sociale de la CNT aux partis politiques républicains. À court terme, cela signifiait la défaite d’une option radicale existant dans la société espagnole et l’absorption de la CNT dans l’ensemble des forces gouvernementales républicaines. On vit alors l’émergence de différences internes dans un mouvement anarchiste divisé entre l’option gouvernementale et les partisans de la consolidation et de l’approfondissement de la transformation sociale entreprise à partir de juillet 1936. L’expérience du mouvement anarchiste en Espagne montre que les révolutions ne doivent pas se faire à moitié, la révolution ne peut tolérer indéfiniment l’existence de la contre-révolution. En participant au gouvernement républicain, les dirigeants anarchistes ne pouvaient que contribuer à la défense des institutions bourgeoises et d’une soi-disant avant-garde prolétarienne qui cherchait à étrangler la révolution par le renforcement de l’État. Les dirigeants de la CNT et de la FAI ne parvinrent à rien avec une position simplement antifasciste défensive. Ce furent des leçons apprises au prix de beaucoup de douleur et de sang.
Jamais la Seconde République ne fut sociale et libertaire. Elle fut l’ennemie des millions d’ouvriers et de paysans qui refusaient l’existence de l’État et combattaient pour une société sans oppression et sans exploitation.
Daniel Pinós
2e partie
PAR : Daniel Pinós
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