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par Nuage fou le 12 novembre 2018

Vivre combien de temps et dans quel état ?...

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Article extrait du Monde libertaire n°1799 d’octobre 2018



En quelques décennies, le vieillissement est devenu un phénomène planétaire, et la population des soixante ans ou plus est celle qui augmente le plus vite. De 900 millions en 2015 (12%), le nombre d’humains de plus de 60 ans passera à 2 milliards en 2050 (22%). Au Japon par exemple, 30% de la population a déjà plus de 60 ans et, suite à la politique de l’enfant unique adoptée en 1979, la Chine passera ce cap en 2030. Deux tendances lourdes nourrissent cette situation : les vieux vivent plus longtemps et les jeunes adultes font moins d’enfant. À l’échelle mondiale, l’espérance de vie a augmenté de 25 ans depuis 1950 et c’est énorme. Pour les enfants nés en 2015 elle était de 71,4 ans (73,8 ans pour les filles et 69,1 ans pour les garçons). Mais comme on sait, la perspective dépend fortement du lieu de naissance. Les nouveau-nés dans 29 pays à haut revenu, ont une espérance de vie moyenne d’au moins 80 ans tandis que dans 22 autres pays, tous en Afrique subsaharienne, elle est de moins de 60 ans. L’Afrique a toutefois gagné 9,4 ans depuis l’année 2000.

« L’amélioration de l’hygiène, par la simple prise de conscience et par l’éducation sur tous les continents, est également un facteur déterminant. Cette croissance inédite de la durée de vie qui se complète par celle de la durée de vie en bonne santé est un acquis de l’humanité. »

Ces avancées sont essentiellement dues aux progrès en matière de survie de l’enfant, de lutte contre le paludisme et d’extension et de l’accès aux soins et aux médicaments pour le traitement du VIH. La variole a été éradiquée et la poliomyélite est sur le point de l’être. L’amélioration de l’hygiène, par la simple prise de conscience et par l’éducation sur tous les continents, est également un facteur déterminant. Cette croissance inédite de la durée de vie qui se complète par celle de la durée de vie en bonne santé est un acquis de l’humanité. Elle représente tout autant un problème à traiter.
En un demi-siècle, l’espérance de vie moyenne a donc augmenté partout dans le monde, mais si l’on observe plus en détail de quoi ces moyennes sont constituées, et surtout ce qu’elles cachent, on s’aperçoit bien vite que les inégalités s’articulent selon trois dimensions : le pays où l’on vit, le genre auquel on appartient, et la classe sociale. Selon que l’on naît en République centrafricaine ou en Espagne, on peut espérer vivre moins de 50 ans ou plus de 80 ans. Le Japon détient le record de longévité avec une durée de vie moyenne de 86,8 ans pour les femmes. Pour les hommes c’est la Suisse, avec une moyenne de 81,3 ans. Mais c’est au Sierra Leone que l’espérance de vie est la plus faible au monde pour les 2 sexes : 50,8 ans pour les femmes et 49,3 ans pour les hommes.

On le voit, pays et genre sont déterminants, mais un nouveau phénomène se développe qui devient maintenant visible, c’est l’impact croissant de la classe sociale à laquelle on appartient, et en particulier dans les pays développés. Alors que les différences entre pays et entre genres tendent à réduire, c’est la classe sociale qui devient déterminante. L’écart entre les pauvres et les riches reste très important, et tend à s’aggraver, y compris dans les pays les plus riches. La casse sociale tue...

Mondialisation de la santé

« Les États-Unis ont rejoint le groupe des cinq pays dont l’espérance de vie en bonne santé s’est réduite. Ils y côtoient la Somalie, l’Afghanistan, la Géorgie et les îles de Saint-Vincent, des pays en guerre ou très pauvres. »
Tout comme la richesse et la pauvreté, la santé se mondialise. Il ne suffit plus de naître au Nord pour vivre plus longtemps et en meilleure santé que dans le Sud. Aux États-Unis, par exemple, on vit en moyenne 78,5 ans, soit deux années de plus qu’en Chine, et c’est conforme à l’intuition. Mais la surprise est venue de la publication d’un indicateur de l’Organisation Mondiale de la Santé qui révèle que l’espérance de vie en bonne santé d’un nouveau-né Chinois est de 68,7 ans, contre 68,5 ans s’il naît aux États-Unis.

Les États-Unis ont rejoint le groupe des cinq pays dont l’espérance de vie en bonne santé s’est réduite. Ils y côtoient la Somalie, l’Afghanistan, la Géorgie et les îles de Saint-Vincent, des pays en guerre ou très pauvres. Cette inversion est un double signe. Un signe de plus du déclin étasunien en faveur de son concurrent Chinois, mais également un signe clair de l’accroissement des méfaits d’un capitalisme de plus en plus sauvage. Les derniers freins qui amortissaient la chute produite par la casse sociale sautent les uns après les autres. Alors que l’opposition Nord-Sud se réduit, on voit s’amplifier une opposition riches-pauvres au sein d’un même pays, voire d’une même ville. C’est dans les régions qui ont subi la désindustrialisation que la durée de vie diminue ; les coupes massives dans les budgets sociaux et les effets de la crise de 2008 n’ont fait qu’amplifier les dégâts. Ce sont en particulier les chômeurs et travailleurs pauvres blancs qui ont « trinqué » : déclassés, désocialisés, marginalisés, et surtout sans travail depuis plusieurs années, ils se réfugient dans les paradis artificiels, bien vite transformés en enfer. La consommation des opioïdes est devenue la troisième cause de mortalité étasunienne, derrière les cancers et les maladies cardiaques. À son tour une nouvelle communauté rejoint le camp des minorités en perditions pour qui le rêve américain a tout du cauchemar éveillé : les communautés hispaniques, afro-américaines, inuits et amérindiennes. Et tout comme en France, « gauche » et « droite » sont bien difficile à distinguer ; l’aide en argent a été quasi éliminée sous Bill Clinton et la réduction des coupons alimentaires qui s’est intensifiée sous l’administration Obama, s’est bien sûr poursuivie sous Donald Trump.

Ainsi les derniers masques tombent, le néolibéralisme vainqueur ne s’embarrasse plus de trompe-l’œil. On voit s’évaporer la fameuse « protection » que les états prétendent apporter à leur population et qui, nous disent-ils, justifient leur existence. L’exploitation des plus démunis se traduit dans les chiffres de la façon la plus crue, par une croissance de la mort précoce et en mauvaise santé pour les chômeurs et les travailleurs les plus pauvres. Pour les autres, celles et ceux qui résistent et n’en meurent pas, reste la prison, en masse, en particulier pour les afro-américains. Quand on sait que des Etats-Unis préfigurent souvent les développements Européens, on ne peut que s’inquiéter et surtout agir.

En Europe aussi

« La Grèce nous montre de la façon la plus crue les conséquences morbides d’une crise sans fin. De 2007 à 2015, l’espérance de vie en bonne santé a baissée : de 67.6 ans à 65.1 ans pour les femmes et de 66 ans à 64.7 ans pour les hommes. »

Mesurée en 2014, l’espérance de vie en bonne santé était en France de 63,4 ans pour les hommes et 64,2 ans pour les femmes, en Suède elle est de 73,6 ans, identique pour les hommes et les femmes. Et l’Allemagne, l’homme fort de l’Europe, l’exemple à suivre, montre des chiffres désastreux, avec 56,3 ans pour les hommes et 56,5 ans pour les femmes en Allemagne.

Derrière ces chiffres, on retrouve à nouveau l’opposition entre pauvres et riches. En Europe comme ailleurs la crise de 2008 n’a pas fini son œuvre de destruction. Le nombre d’emplois a été impacté et leur qualité s’est dégradée, et la précarité ne fait que croître. En Allemagne par exemple, le recours aux contrats de courte durée et aux temps partiels a contribué à faire passer le taux de pauvreté global au-dessus des 9%. Au Royaume-Uni, le tristement célèbre contrat « zéro heure » qui ne garantit rien a contribué à appauvrir les plus démunis ; les résultats sont déjà perceptibles. Oser et pouvoir imposer un contrat aussi abyssalement dissymétrique qui n’engage que le travailleur en dit long sur le rapport de force et sur l’absence totale de limites...

La Grèce nous montre de la façon la plus crue les conséquences morbides d’une crise sans fin. De 2007 à 2015, l’espérance de vie en bonne santé a baissée : de 67.6 ans à 65.1 ans pour les femmes et de 66 ans à 64.7 ans pour les hommes. Sachant que près de la moitié des ménages ont annulé ou retardé l’obtention de conseils et de traitements médicaux faute de pouvoir les payer, on peut considérer que ces moyennes cachent une réalité sociale encore plus désastreuse.
C’est bien sur un appauvrissement de pans croissants de leurs populations que se développent les pays de la communauté européenne. Les « pays » sont mesurés et classés à l’aune des indicateurs de productivité, mais on oublie tout simplement les habitants... le pays passe avant ses habitants, l’abstraction prend la place de la réalité. Il faut rejoindre l’Allemagne nous assène-t-on ! mais on oublie de nous dire qu’au passage, c’est une part croissante de la population qui doit rejoindre les rangs des travailleurs précaires, pauvres, et des retraités indigents. La métrique qui décrirait l’état de la population n’existe pas ; il faut croire qu’elle perturbe trop le discours victorieux des néolibéraux. Dans leur monde quand le « pays » gagne, c’est sur le dos de ses travailleurs et pour le plus grand profit des détenteurs de capitaux, qu’ils soient de ce pays ou d’un autre, peu importe.

En France : 13 années d’écart

« A l’heure où le gouvernement communique sur un système de retraite « plus juste » et plus universel, on s’aperçoit que la solution qu’il veut nous imposer ne fait qu’entériner une des plus grandes injustices de notre société. »

En France, ce sont 13 années d’espérance de vie qui séparent les 5 % des hommes plus pauvres, qui vivent en moyenne avec 470 euros mensuels, et les 5 % les plus riches qui disposent de 5 800 euros et plus. 71,7 années de vie pour les uns, contre 84,4 pour autres. Quant aux femmes, de 80 à 88,3 années, l’écart est de plus de 8 années. On constate à nouveau que l’opposition Nord-Sud n’est plus de mise ; les plus pauvres en France ont une espérance de vie semblable à celle des pays d’Asie ou d’Amérique du Sud. A l’heure où le gouvernement communique sur un système de retraite « plus juste » et plus universel, on s’aperçoit que la solution qu’il veut nous imposer ne fait qu’entériner une des plus grandes injustices de notre société. Une société juste compenserait cet énorme décalage en permettant à ceux qui mourront jeunes de profiter d’un temps où ils seront seuls maîtres de leurs journées.

Et encore, faut-il vivre en bonne santé, et ne pas se traîner sans force, diminué, malade et sans goût pour rien. L’espérance de vie en bonne santé mesure une vie en pleine possession de ses moyens. Eh bien, l’écart ici se transforme en gouffre. À 35 ans un cadre vivra en bonne santé jusqu’à 69 ans contre 59 ans pour un ouvrier, soit un écart de 10 ans. Non seulement les ouvriers vivent moins longtemps, mais aussi en moins bonne santé.

« Moi je ne mange pas bio, j’achète chez LIDL parce que c’est le moins cher ».

Et au-delà de la pénibilité du travail, l’explication est simple. Alors qu’il devient courant pour les chômeurs ou les retraités de renoncer aux soins, les plus riches inversement payent les dépassements d’honoraires pour accéder plus vite à des soins de meilleure qualité. Ils ont aussi les moyens de mieux s’alimenter, de se détendre, de partir en congés, de se loger convenablement, d’être moins inquiet sur leur avenir.
Et ça n’est pas pour tout le monde... comme un de nos camarades l’a dit pendant le débat de Callag sur l’alimentation, lors des rencontres d’été de la Fédération Anarchiste, « Moi je ne mange pas bio, j’achète chez LIDL parce que c’est le moins cher ».

Nuage Fou


PAR : Nuage fou
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