Dans un sale État > Assemblée Générale des Gilets Jaunes du Loiret, le 04 Janvier.
Dans un sale État
par nuage fou • le 9 janvier 2019
Assemblée Générale des Gilets Jaunes du Loiret, le 04 Janvier.
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Une première assemblée générale des « Gilets Jaunes du Loiret » s’est tenue le vendredi 4 Janvier à Chalette sur Loing, à l’endroit même où se déroulait le 77ème congrès de la Fédération Anarchiste au printemps dernier. La convocation s’est faite en mode propagation horizontale, par des contacts sur le terrain entre les personnes des nombreux ronds-points occupés du Loiret. Des animateurs du mouvement soucieux de faire émerger un niveau régional ont circulé pour annoncer l’événement et connaître et recruter de nouveaux activistes afin d’assurer la préparation et le bon déroulement de l’AG. Il y a effectivement beaucoup à faire et toutes les bonnes volontés semblent acceptées. Annoncée pour 19 heures, l’assemblée a réuni de l’ordre de cinq à six cents participants, peut-être plus. On trouve des participants de tous les âges, pas mal de 40 ans et plus, et à en juger par les styles vestimentaires pas ou peu de ces cadres et cadres-sups qui représentent la base électorale de Macron. Un bon tiers de femmes et à titre d’exemple, le petit rond-point de l’entrée de Nemours était représenté par une douzaine de personnes.
Actions directes et répression
Le contenu des débats oscille entre un ordre du jour bien préparé par les organisateurs et des prises de paroles individuelles de l’assemblée, pour certaines structurées, soucieuses de mettre en avant des propositions ou analyses, et d’autres plus viscérales, telle ou tel venant à l’estrade pour y prendre le micro et soulager sa colère en la partageant avec l’assemblée. Ces sorties sont de l’ordre du cri, de la révolte, contre le gouvernement, contre sa politique, et contre la répression qui s’abat de plus en plus durement sur les gilets jaunes, soit en manifestation, soit de façon beaucoup moins médiatisée sur chacun des ronds-points occupés.
Les réactions à la répression du mouvement sont nombreuses, et en particulier – et cela n’étonnera personne – contre la brutalité de la répression policière, que de nombreux Gilets Jaunes découvrent à l’occasion du mouvement, mais aussi contre la montée en puissance des actions judiciaires à l’encontre de l’action directe. Ce mouvement qui est non parlementaire, non partisan, non électoral et n’est pas encadré par des organisation ayant intérêt à s’approprier des négociations, met l’action directe au cœur de ses modes d’actions, avec au centre, l’occupation – illégale – des ronds-points. Après plusieurs semaines de sidération, l’Etat a commencé à cibler judiciairement les occupants des ronds-points ainsi que les militants engagés dans des actions illégales.
Un appel à eu lieu pour soutenir les neufs inculpés pour le murage aux parpaings du centre d’impôts de Montargis. Leur procès pour "dégradation de biens publics" doit s’ouvrir le 3 avril prochain.
Afin de garder l’initiative et prendre de vitesse policiers et gendarmes qui surveillent les sites FB, il est proposé et décidé que les appels à action ne mentionnent plus que le lieu et les dates et heures des rassemblement. Les actions faites ou proposées vont du blocages de routes et de points d’accès aux centres logistiques, aux manifestations devant les préfectures, les banques ou les centres des impôts. La communication bienveillante avec la population, qui continue de soutenir très massivement le mouvement – son mouvement – sans toutefois s’y impliquer directement, est considérée comme très importante, avec la promotion d’actions symboliques ou non-violentes et qui ne nuisent pas à la population: lâcher de ballons jaunes dans les centre villes, diffusion de tracts expliquant les lois devant les centres Pôle Emploi, les banques, les MacDo, sur les marchés, ou encore la participation massive aux conseils municipaux. Suite à une action de participation citoyenne au conseil, le maire de Montargis a décrété un huit-clos. N’étant pas ou peu prisonnier de formes d’actions traditionnelles qui faudrait répéter ou réactiver, on constate – avec le plus grand plaisir – que l’imagination est au pouvoir et il y a une réelle créativité. Un Gilet jaune a, par exemple, mis l’Élysée en vente sur Le Bon Coin..
Des luttes spécifiques
On note également la parole donnée à des associations mobilisées pour des causes spécifiques. Deux d’entre elles ont pris la parole: l’une lutte contre la pédophilie sur l’Internet et l’autre contre le trafic d’organes. A priori peu de rapport avec les Gilets Jaunes, sauf peut-être le partage d’une lutte contre une forme d’horreur insupportable... chacune émeut la salle en décrivant l’horreur contre laquelle elle se bat et le peu de soutien, voire les coups, qu’elle reçoit de l’Etat. Plus directement connectée à l’histoire du mouvement, le collectif d’action directe Orléanais « Action Non Violente COP21 », dont depuis 2015 les membres endossent le gilet jaune, font un discours sur l’aéroport subventionné par le Conseil Régional et détaillent l’absence de taxes sur le kérosène utilisé par les avions au service de la mondialisation du commerce et des loisirs des plus aisés – un des sujets "écolos" révélé au grand public par le mouvement des gilets jaunes. Ils rappellent que la COP21 qui a réuni la totalité des pays moteurs de la mondialisation aurait pu, si elle l’avait voulu, décider de taxer ce kérosène ainsi que le fioul qui propulse sur les mers les porte-containers, l’infrastructure marine de la mondialisation. Le discours se conclue par l’annonce d’un appel prochain pour bloquer l’aéroport subventionné contre leur gré par les impôts de Gilets Jaunes. Les handicapés sont également représentés, avec un discours sur la dureté de leur condition et le peu d’intérêt de l’état pour les plus démunis d’entre eux. Il est vrai que l’on voit des fauteuils roulants sur nombre de ronds-points.
Trois thèmes nationaux
Trois thèmes d’ordre national ont été débattus: la "Consultation Nationale" annoncée par E. Macron dans son discours, les Élections Européennes à venir, et le RIC – Référendum d’Initiative Citoyenne. Pour la « Consultation » c’est essentiellement un grand scepticisme qui s’est manifesté. Elle est perçue comme un enfumage, une tactique de démobilisation visant à reprendre l’initiative perdue, occuper durablement le terrain tout en affichant une forme d’ouverture bienveillante, le temps de déployer efficacement et massivement l’autre tactique, juridico-policière, destinée à faire taire par la force les gilets jaunes les plus motivés. Donc essentiellement un appel à la méfiance, si ça n’est au boycott.
Pour le second thème, les élections européennes, le débat tourne autour d’un éventuel vote pour une liste Gilets Jaunes. En introduction, il est annoncé qu’il y aura au moins une liste se réclamant des Gilets Jaunes (il semble que Florian Philippo, l’ancien leader du Front National ait déposé la marque...). On sent que la tribune est moins en accord avec l’assemblée, en particulier un intervenant, présenté comme "parisien" qui explique trop longuement que voter est « un droit », est nécessaire, que ne pas voter c’est voter Macron, etc. etc. La mayonnaise ne prend pas, l’assemblée est massivement contre une telle liste et contre le vote. En complément un jeune participant prend longuement et vigoureusement le micro pour inciter l’assemblée à se mobiliser sur la reconnaissance du vote blanc, et en particulier à son utilisation pour invalider des élections où il serait majoritaire.
Le RIC
Dernier thème traité, le RIC suscite une adhésion quasi unanime, à part celle du « parisien » (à la pensée complexe) qui tente justement de présenter la complexité d’un tel référendum. Sur la planche projetée au mur, le RIC est techniquement présenté comme un simple ajout à l’article de la constitution relatif aux modalités par lesquelles le peuple souverain exprime ses volontés. Pour l’assemblée, il est perçu comme l’arme par laquelle un peuple qui depuis des décennies a vu sa souveraineté confisquée par une toute puissante et arrogante oligarchie politico-financiaro-médiatique, la recouvrerait soudainement. L’outil lui permettrait de reprendre l’initiative : décider de lois, contrôler et éventuellement démettre les élus, invalider des décisions indûment prises par des parlementaires soumis à la botte du gouvernement ou à la soupe des lobbies, ou encore décider de la validité de traités internationaux qui engagent le pays et restreignent son autonomie décisionnelle. En toile de fond, et treize années plus tard, on sent dans la salle que l’ombre du « NON » au référendum de 2005 sur la constitution européenne reste très présente. La décision citoyenne prise en dépit des menaces des « économistes » et du pilonnage médiatique en faveur du « oui », a été piétinée par Nicolas Sarkozy et, sur le moment, sans grande réaction populaire. Mais elle pèse lourdement ; les gens de rien ont quand même de la mémoire, et le vase de Pandore est plein à ras bord de dénis de justice et de démocratie ; maintenant qu’il est ouvert, il se déverse. La revendication du RIC résume à la fois le fondement de ce mouvement : reprendre l’initiative et la conserver, et son évolution express, en six semaines : pour ne pas subir des lois injustes il faut les définir soi-même. Parti d’une simple revendication économique apparemment anecdotique – une taxe de trop sur l’essence – et se politisant au fil de son essor, le mouvement a réalisé l’ampleur et la complexité des réformes à apporter pour inverser les fondamentaux de la gestion du pays. Plutôt qu’une courte liste de revendications vitales, ou à l’opposé, qu’une liste potentiellement infinie et contradictoire de revendications particulières, la proposition consensuelle est de redonner aux citoyens, non plus « la parole », mais tout à la fois l’initiative et la décision pour les fabrication des lois et le contrôle de ses représentants. Réactiver la démocratie en retournant à sa source, la démocratie directe.
Deux grands absents
Pour conclure, quelques mots sur le sujet de la représentation du mouvement et de la difficile coordination des initiatives locales. Une méfiance radicale de la représentation continue d’irriguer ce mouvement parti de la base et qui entend continuer de se diriger de lui-même. Les organisateurs de l’AG se présentent comme des facilitateurs et sont très en retrait ; lorsqu’ils se présentent ils prennent grand soin d’indiquer qu’ils ne représentent personne. Alors que le terme de « mandaté », pourtant classique dans le cadre de cette problématique, est absent, on trouve pléthore de mots utilisés pour éviter celui de « représentant », un mot qui fait bondir l’assemblée. Ainsi, B…
, lors de sa première prise de parole, indique qu’elle n’est que la « porte-voix » de son groupe, qu’elle aucun pouvoir, n’en veut surtout pas, qu’elle est révocable à tout moment et que cela lui convient parfaitement.
De fait, il y a du leadership et des leaders, en particulier ceux qui ont pris l’initiative de cette nécessaire assemblée régionale, mais deux phénomènes d’égale importance empêchent leur transformation en chef. La population des Gilets Jaunes a un tel sentiment de s’être fait manipuler depuis des décennies par des « représentants démocratiquement élus » qu’aucun leader n’ose en endosser, ni le titre, ni le rôle ; il se ferait réduire en poudre (de perlimpinpin). De façon complémentaire, la nature émergente du mouvement, totalement décentralisé et composé de centaines ou de milliers de groupes autonomes et autogérés, fait qu’il n’y a pas (encore?) de procédure de légitimation de leader/représentant/délégué/mandaté/etc. acceptée par un nombre suffisant de groupes pour être valide et s’imposer au niveaux régionaux ou national. A ce stade c’est la capacité individuelle de leadership conjuguée à une implication très réelle et visible dans l’occupation physique des rond-points et lors les actions, qui produit et légitime des figures à même de partager et propager des propositions et des décisions au-delà de chaque micro-communauté.
Derniers mots sur les accusations de beaufisme, racisme, antisémitisme, etc. utilisés entre autres par le gouvernement pour dénigrer le mouvement. On ne peut pas bien sûr ignorer la présence active des militants et sympathisants du RN au sein du mouvement des gilets jaunes ; c’est un fait. Pour être plus catégorique, il faudrait consulter le travail des géographes qui analysent les cartes du vote FN et celles de la mobilisation des Gilets Jaunes. Mais, et seuls à titres d’exemples, on sait que c’est le cas par exemple sur le rond-point Cacahuètes, comme l’a noté un compagnon de Montargis, ou encore dans la région Lyonnaise où des groupes identitaires sont très actifs. Ces frontistes étaient donc nécessairement présents au sein l’assemblée, mais en mode silencieux. A un moment, lors d’un bref échange sur le pouvoir des banques, on a entendu une voix stridente hurler contre les « sionistes », mais elle s’est tue aussitôt et n’en entraîné derrière elle ni approbations ni applaudissements – Flop. Aucune thèse raciste ou anti-migrant n’a été soutenue, proposée au débat ou même criée anonymement du fond de la salle.
De façon intéressante – et peut-être symétrique – on peut noter un autre grand absent dans l’imaginaire convoqué pendant les discussions de cette AG, c’est le capitalisme et l’idéologie néolibérale qui le soutient. Les innombrables critiques ou invectives se focalisent sur les personnes, essentiellement les acteurs politiques les plus visibles – le président, son gouvernement, la « représentation » – mais on voit peu apparaître les commanditaires et pas du tout l’idéologie, soit parce que le moment n’est pas théorique, ou par manque d’une solide culture politique, soit plutôt parce qu’une telle critique, nécessairement radicale risquerait de promouvoir au sein du mouvement une image « gauchiste », voire extrême-gauchiste. Une bonne partie de l’assemblée ne s’y reconnaîtrait probablement pas, en particulier la frange des artisans, petits entrepreneurs et employés du care ou du tertiaire qui fournit au mouvement une partie substantielle de ses acteurs. On peut interpréter ce double silence très présent au sein du débat par le fait que tant l’extrême-droite que l’extrême-gauche ou les libertaires retiennent leur parole, afin de ne pas nuire à leur intégration dans un mouvement qui ne les accueillerait pas en tant que tels. Ils se réservent pour accompagner, le moment venu et dans l’action concrète, la mutation en cours d’une révolte sociale en contestation politique, un instant disponible pour basculer et prendre telle ou telle orientation.
Une dernière remarque... malgré quelques appels minoritaires à l’armée pour « mettre de l’ordre » dans le pays, le refus fondamental et ancré dans la durée d’une verticalité, qui priverait à nouveau les nofaces de visage et de voix les novox, est une problématique peut-être inédite pour la récupération du mouvement à court terme par une extrême-droite dont le culte du chef est une, si cela n’est la, valeur fondamentale.
Un rajout à l’article reçu :
Lundi 14 janvier 2019 Emission "trous noirs" de 16h à 18h sur Radio libertaire : Luttes sociales
« Chaud, chaud, lʼhiver sera chaud ! », Jupiter craint lʼ« annus horrribilis » qui sʼannonce, fustige ceux qui ne sont « que les porte-voix dʼune foule haineuse », encourage ses forces du désordre à évacuer les points de blocage, afin de rafistoler un État qui nʼest pas de droit, mais de guingois. Autour des ronds-points, ces « ZAD du pauvre », plusieurs directions divergentes sʼouvrent, dont celle des Gilets Jaunes de Commercy appelant à une grande réunion nationale des comités populaires locaux le 26 janvier : « Ensemble créons l’assemblée des assemblées, la commune des communes, c’est le sens de l’histoire, c’est notre proposition ».
Lʼhiver des métamorphoses ? sʼinterroge Freddy Gomez, notre invité avec Samuel Hayat, Les Gilets jaunes, lʼéconomie morale et le pouvoir, avec Patrick, muni de ses armes de dérision massive sur le rond-point de Nemours, une chanson et sa guitare, et avec Mohamed, animateur de l’émission La santé dans tous ses états.
Actions directes et répression
Le contenu des débats oscille entre un ordre du jour bien préparé par les organisateurs et des prises de paroles individuelles de l’assemblée, pour certaines structurées, soucieuses de mettre en avant des propositions ou analyses, et d’autres plus viscérales, telle ou tel venant à l’estrade pour y prendre le micro et soulager sa colère en la partageant avec l’assemblée. Ces sorties sont de l’ordre du cri, de la révolte, contre le gouvernement, contre sa politique, et contre la répression qui s’abat de plus en plus durement sur les gilets jaunes, soit en manifestation, soit de façon beaucoup moins médiatisée sur chacun des ronds-points occupés.
Les réactions à la répression du mouvement sont nombreuses, et en particulier – et cela n’étonnera personne – contre la brutalité de la répression policière, que de nombreux Gilets Jaunes découvrent à l’occasion du mouvement, mais aussi contre la montée en puissance des actions judiciaires à l’encontre de l’action directe. Ce mouvement qui est non parlementaire, non partisan, non électoral et n’est pas encadré par des organisation ayant intérêt à s’approprier des négociations, met l’action directe au cœur de ses modes d’actions, avec au centre, l’occupation – illégale – des ronds-points. Après plusieurs semaines de sidération, l’Etat a commencé à cibler judiciairement les occupants des ronds-points ainsi que les militants engagés dans des actions illégales.
Un appel à eu lieu pour soutenir les neufs inculpés pour le murage aux parpaings du centre d’impôts de Montargis. Leur procès pour "dégradation de biens publics" doit s’ouvrir le 3 avril prochain.
Afin de garder l’initiative et prendre de vitesse policiers et gendarmes qui surveillent les sites FB, il est proposé et décidé que les appels à action ne mentionnent plus que le lieu et les dates et heures des rassemblement. Les actions faites ou proposées vont du blocages de routes et de points d’accès aux centres logistiques, aux manifestations devant les préfectures, les banques ou les centres des impôts. La communication bienveillante avec la population, qui continue de soutenir très massivement le mouvement – son mouvement – sans toutefois s’y impliquer directement, est considérée comme très importante, avec la promotion d’actions symboliques ou non-violentes et qui ne nuisent pas à la population: lâcher de ballons jaunes dans les centre villes, diffusion de tracts expliquant les lois devant les centres Pôle Emploi, les banques, les MacDo, sur les marchés, ou encore la participation massive aux conseils municipaux. Suite à une action de participation citoyenne au conseil, le maire de Montargis a décrété un huit-clos. N’étant pas ou peu prisonnier de formes d’actions traditionnelles qui faudrait répéter ou réactiver, on constate – avec le plus grand plaisir – que l’imagination est au pouvoir et il y a une réelle créativité. Un Gilet jaune a, par exemple, mis l’Élysée en vente sur Le Bon Coin..
Des luttes spécifiques
On note également la parole donnée à des associations mobilisées pour des causes spécifiques. Deux d’entre elles ont pris la parole: l’une lutte contre la pédophilie sur l’Internet et l’autre contre le trafic d’organes. A priori peu de rapport avec les Gilets Jaunes, sauf peut-être le partage d’une lutte contre une forme d’horreur insupportable... chacune émeut la salle en décrivant l’horreur contre laquelle elle se bat et le peu de soutien, voire les coups, qu’elle reçoit de l’Etat. Plus directement connectée à l’histoire du mouvement, le collectif d’action directe Orléanais « Action Non Violente COP21 », dont depuis 2015 les membres endossent le gilet jaune, font un discours sur l’aéroport subventionné par le Conseil Régional et détaillent l’absence de taxes sur le kérosène utilisé par les avions au service de la mondialisation du commerce et des loisirs des plus aisés – un des sujets "écolos" révélé au grand public par le mouvement des gilets jaunes. Ils rappellent que la COP21 qui a réuni la totalité des pays moteurs de la mondialisation aurait pu, si elle l’avait voulu, décider de taxer ce kérosène ainsi que le fioul qui propulse sur les mers les porte-containers, l’infrastructure marine de la mondialisation. Le discours se conclue par l’annonce d’un appel prochain pour bloquer l’aéroport subventionné contre leur gré par les impôts de Gilets Jaunes. Les handicapés sont également représentés, avec un discours sur la dureté de leur condition et le peu d’intérêt de l’état pour les plus démunis d’entre eux. Il est vrai que l’on voit des fauteuils roulants sur nombre de ronds-points.
Trois thèmes nationaux
Trois thèmes d’ordre national ont été débattus: la "Consultation Nationale" annoncée par E. Macron dans son discours, les Élections Européennes à venir, et le RIC – Référendum d’Initiative Citoyenne. Pour la « Consultation » c’est essentiellement un grand scepticisme qui s’est manifesté. Elle est perçue comme un enfumage, une tactique de démobilisation visant à reprendre l’initiative perdue, occuper durablement le terrain tout en affichant une forme d’ouverture bienveillante, le temps de déployer efficacement et massivement l’autre tactique, juridico-policière, destinée à faire taire par la force les gilets jaunes les plus motivés. Donc essentiellement un appel à la méfiance, si ça n’est au boycott.
Pour le second thème, les élections européennes, le débat tourne autour d’un éventuel vote pour une liste Gilets Jaunes. En introduction, il est annoncé qu’il y aura au moins une liste se réclamant des Gilets Jaunes (il semble que Florian Philippo, l’ancien leader du Front National ait déposé la marque...). On sent que la tribune est moins en accord avec l’assemblée, en particulier un intervenant, présenté comme "parisien" qui explique trop longuement que voter est « un droit », est nécessaire, que ne pas voter c’est voter Macron, etc. etc. La mayonnaise ne prend pas, l’assemblée est massivement contre une telle liste et contre le vote. En complément un jeune participant prend longuement et vigoureusement le micro pour inciter l’assemblée à se mobiliser sur la reconnaissance du vote blanc, et en particulier à son utilisation pour invalider des élections où il serait majoritaire.
Le RIC
Dernier thème traité, le RIC suscite une adhésion quasi unanime, à part celle du « parisien » (à la pensée complexe) qui tente justement de présenter la complexité d’un tel référendum. Sur la planche projetée au mur, le RIC est techniquement présenté comme un simple ajout à l’article de la constitution relatif aux modalités par lesquelles le peuple souverain exprime ses volontés. Pour l’assemblée, il est perçu comme l’arme par laquelle un peuple qui depuis des décennies a vu sa souveraineté confisquée par une toute puissante et arrogante oligarchie politico-financiaro-médiatique, la recouvrerait soudainement. L’outil lui permettrait de reprendre l’initiative : décider de lois, contrôler et éventuellement démettre les élus, invalider des décisions indûment prises par des parlementaires soumis à la botte du gouvernement ou à la soupe des lobbies, ou encore décider de la validité de traités internationaux qui engagent le pays et restreignent son autonomie décisionnelle. En toile de fond, et treize années plus tard, on sent dans la salle que l’ombre du « NON » au référendum de 2005 sur la constitution européenne reste très présente. La décision citoyenne prise en dépit des menaces des « économistes » et du pilonnage médiatique en faveur du « oui », a été piétinée par Nicolas Sarkozy et, sur le moment, sans grande réaction populaire. Mais elle pèse lourdement ; les gens de rien ont quand même de la mémoire, et le vase de Pandore est plein à ras bord de dénis de justice et de démocratie ; maintenant qu’il est ouvert, il se déverse. La revendication du RIC résume à la fois le fondement de ce mouvement : reprendre l’initiative et la conserver, et son évolution express, en six semaines : pour ne pas subir des lois injustes il faut les définir soi-même. Parti d’une simple revendication économique apparemment anecdotique – une taxe de trop sur l’essence – et se politisant au fil de son essor, le mouvement a réalisé l’ampleur et la complexité des réformes à apporter pour inverser les fondamentaux de la gestion du pays. Plutôt qu’une courte liste de revendications vitales, ou à l’opposé, qu’une liste potentiellement infinie et contradictoire de revendications particulières, la proposition consensuelle est de redonner aux citoyens, non plus « la parole », mais tout à la fois l’initiative et la décision pour les fabrication des lois et le contrôle de ses représentants. Réactiver la démocratie en retournant à sa source, la démocratie directe.
Deux grands absents
Pour conclure, quelques mots sur le sujet de la représentation du mouvement et de la difficile coordination des initiatives locales. Une méfiance radicale de la représentation continue d’irriguer ce mouvement parti de la base et qui entend continuer de se diriger de lui-même. Les organisateurs de l’AG se présentent comme des facilitateurs et sont très en retrait ; lorsqu’ils se présentent ils prennent grand soin d’indiquer qu’ils ne représentent personne. Alors que le terme de « mandaté », pourtant classique dans le cadre de cette problématique, est absent, on trouve pléthore de mots utilisés pour éviter celui de « représentant », un mot qui fait bondir l’assemblée. Ainsi, B…
, lors de sa première prise de parole, indique qu’elle n’est que la « porte-voix » de son groupe, qu’elle aucun pouvoir, n’en veut surtout pas, qu’elle est révocable à tout moment et que cela lui convient parfaitement.
De fait, il y a du leadership et des leaders, en particulier ceux qui ont pris l’initiative de cette nécessaire assemblée régionale, mais deux phénomènes d’égale importance empêchent leur transformation en chef. La population des Gilets Jaunes a un tel sentiment de s’être fait manipuler depuis des décennies par des « représentants démocratiquement élus » qu’aucun leader n’ose en endosser, ni le titre, ni le rôle ; il se ferait réduire en poudre (de perlimpinpin). De façon complémentaire, la nature émergente du mouvement, totalement décentralisé et composé de centaines ou de milliers de groupes autonomes et autogérés, fait qu’il n’y a pas (encore?) de procédure de légitimation de leader/représentant/délégué/mandaté/etc. acceptée par un nombre suffisant de groupes pour être valide et s’imposer au niveaux régionaux ou national. A ce stade c’est la capacité individuelle de leadership conjuguée à une implication très réelle et visible dans l’occupation physique des rond-points et lors les actions, qui produit et légitime des figures à même de partager et propager des propositions et des décisions au-delà de chaque micro-communauté.
Derniers mots sur les accusations de beaufisme, racisme, antisémitisme, etc. utilisés entre autres par le gouvernement pour dénigrer le mouvement. On ne peut pas bien sûr ignorer la présence active des militants et sympathisants du RN au sein du mouvement des gilets jaunes ; c’est un fait. Pour être plus catégorique, il faudrait consulter le travail des géographes qui analysent les cartes du vote FN et celles de la mobilisation des Gilets Jaunes. Mais, et seuls à titres d’exemples, on sait que c’est le cas par exemple sur le rond-point Cacahuètes, comme l’a noté un compagnon de Montargis, ou encore dans la région Lyonnaise où des groupes identitaires sont très actifs. Ces frontistes étaient donc nécessairement présents au sein l’assemblée, mais en mode silencieux. A un moment, lors d’un bref échange sur le pouvoir des banques, on a entendu une voix stridente hurler contre les « sionistes », mais elle s’est tue aussitôt et n’en entraîné derrière elle ni approbations ni applaudissements – Flop. Aucune thèse raciste ou anti-migrant n’a été soutenue, proposée au débat ou même criée anonymement du fond de la salle.
De façon intéressante – et peut-être symétrique – on peut noter un autre grand absent dans l’imaginaire convoqué pendant les discussions de cette AG, c’est le capitalisme et l’idéologie néolibérale qui le soutient. Les innombrables critiques ou invectives se focalisent sur les personnes, essentiellement les acteurs politiques les plus visibles – le président, son gouvernement, la « représentation » – mais on voit peu apparaître les commanditaires et pas du tout l’idéologie, soit parce que le moment n’est pas théorique, ou par manque d’une solide culture politique, soit plutôt parce qu’une telle critique, nécessairement radicale risquerait de promouvoir au sein du mouvement une image « gauchiste », voire extrême-gauchiste. Une bonne partie de l’assemblée ne s’y reconnaîtrait probablement pas, en particulier la frange des artisans, petits entrepreneurs et employés du care ou du tertiaire qui fournit au mouvement une partie substantielle de ses acteurs. On peut interpréter ce double silence très présent au sein du débat par le fait que tant l’extrême-droite que l’extrême-gauche ou les libertaires retiennent leur parole, afin de ne pas nuire à leur intégration dans un mouvement qui ne les accueillerait pas en tant que tels. Ils se réservent pour accompagner, le moment venu et dans l’action concrète, la mutation en cours d’une révolte sociale en contestation politique, un instant disponible pour basculer et prendre telle ou telle orientation.
Une dernière remarque... malgré quelques appels minoritaires à l’armée pour « mettre de l’ordre » dans le pays, le refus fondamental et ancré dans la durée d’une verticalité, qui priverait à nouveau les nofaces de visage et de voix les novox, est une problématique peut-être inédite pour la récupération du mouvement à court terme par une extrême-droite dont le culte du chef est une, si cela n’est la, valeur fondamentale.
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