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par Nuage Fou le 7 octobre 2019

Libra : les libertariens attaquent les États

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article du Monde libertaire n° 1808



L’annonce de la monnaie virtuelle dent les origines se confondent avec celles des monnaies. L’État commence avec l’impôt, qui doit croître toujours, et l’impôt a besoin d’une monnaie. Donc l’État choisit sa monnaie, et le plus souvent la frappe, et contrôle sa valeur. C’est un aspect majeur de sa souveraineté. Ou plutôt c’était... car Mark Zuckerberg et ses amis multi-milliardaires veulent battre monnaie ; la leur, sous leur contrôle, et surtout indépendante des États !
Cette monnaie est une arme de guerre du très riche et très puissant groupe des Libertariens américains, que l’on décrit à tort comme anarcho-capitalistes [note] . FaceBook en effet ne part pas seul au combat, la firme a d’ores et déjà constitué un noyau dur composé d’une dizaine de partenaires. Et pas des moindres ! Ils font partie des géants du paiement mondialisé, des télécommunications et de l’économie numérique, tels Visa, Mastercard, Paypal, Vodafone, Uber, ou encore Iliad, le véhicule d’investissement de Xavier Niel, fondateur de Free, grand ami et promoteur d’Emmanuel Macron.
En créant une monnaie mondiale adossée à un « panier » de devises, Marc Zukerberg et ses amis veulent créer – et posséder – une devise à leur service, largement indépendante des décisions de tel ou tel président national. FaceBook, le Libra, est celle d’une attaque frontale contre les États. Contre des puissances do S’il est vrai que pour les grandes multinationales, les dirigeants des États-nation sont le plus souvent des alliés objectifs avec lesquels ils partagent de nombreux intérêts, comme lorsqu’il s’agit de « sauver les banques » [note] , ils sont aussi parfois des problèmes : chers à acheter et encombrants à recycler, trop puissants pour certains, et surtout trop inconstants et difficiles à contrôler ; les chefs des grands États sont de piètres alliés. Les méga-corporations pensent que le moment est venu de rompre le pacte, de libérer leur créature de l’encombrante tutelle des États, les conditions sont peut-être réunies pour franchir une nouvelle étape : celle de l’intégration monétaire du monde occidental et de ses obligés, directement sous le joug des maîtres du grand capital, en dehors de celui des États. En effet, les monnaies nationales ne sont pas adaptées au commerce mondial ; elles créent des complexités et des facteurs de risques qui déstabilisent régulièrement les opérations des méga-entreprises mondialisées. De surcroît les États les plus puissants se servent de la monnaie comme arme politique. L’utilisation croissante du dollar par l’administration américaine pour imposer l’extra-territorialité de ses lois, que ce soit dans sa lutte contre l’Iran ou maintenant la Chine, en est le plus visible exemple [note] . Elle perturbe considérablement les affaires et insupporte les dirigeants des grandes corporations en les contraignants à faire de dangereuses contorsions pour contourner ces obstacles. Au risque d’amendes colossales, comme les 9 milliards de dollars extorqués en 2014 à la BNP pour avoir contourné les embargos nord-américains. En ces temps obscurs, le principal ennemi des capitalistes, n’est pas hélas, la communauté des anarchistes ; le principal ennemi, c’est l’incertitude, et tout est bon pour la réduire !

Une monnaie mondiale pour le commerce mondial !

Les libertariens veulent restreindre la monnaie à son essence : la fluidification du commerce, en dehors de toutes frontières et taxes. Pour ce faire, l’arracher aux États, il le faut de gré ou de force, car des États dispersés aux intérêts divergents et politiques fluctuantes ne peuvent s’entendre pour gérer la monnaie unifiée dont la mondialisation a besoin ; l’évolution chaotique de l’euro en est la vivante démonstration. Alors que les politiciens aux commandes de chaque État sont coincés dans leurs frontières et soumis aux promesses démagogiques qui conditionnent leurs (ré)élections, les dirigeants des méga-corporations, à l’inverse, se moquent des frontières et n’ont que faire du consentement populaire. Ils ne répondent qu’à des conseils d’administration composés chacun d’une douzaine de « copains et coquins » hors-sol, au service d’une classe dirigeante largement mondialisée qui s’achète des passeports comme d’autres les places de théâtre. Leurs dirigeants et leur siège social sont domiciliés dans les pays « amis » – ou achetés – qui offrent les taxes et les lois auxquelles ils choisissent de répondre ; ils ont alors tout pouvoir de décision, et en cas de risque judiciaire, il ne manque pas d’hommes de paille, aventuriers cher payés et protégés par des armées d’avocats pour leur servir de fusibles. Leur taille financière leur permet d’acheter ou défier d’innombrables gouvernements, et leur empreinte industrielle leurs donne les moyens de menacer les plus gros. Lorsque Google restreint l’accès à ses mobiles Android, à son navigateur web ou à ses applications bureautiques, lorsque FaceBook coupe l’accès à tel ou tel pays, l’impact sur l’administration étatique et sur les entreprises est énorme, sans parler de la colère des habitants.

Des classes politiques sur la défensive

Suite à cette attaque frontale, les États donc s’agitent... mais ils s’agitent bien mollement. Des dirigeants réellement puissants et motivés auraient imposé l’arrêt des travaux. Des administrations compétentes et indépendantes auraient anticipé l’événement et convoqué les acteurs bien avant une annonce que l’on savait probable depuis plus d’un an. A l’inverse, qu’observe-t-on ? En France, Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, fait une déclaration ambiguë, articulant laborieusement la chèvre de l’innovation et le chou de la souveraineté ; un aveu d’impuissance et d’incompétence. Les sectateurs de la « Startup Nation » de pacotille [note] font ce qu’ils savent faire le mieux : des bulles ! Plus impliqués par contre, car directement menacés et aussi plus sérieux, l’administration nord-américaine et le Sénat s’insurgent, exigeant un moratoire sur les travaux de FaceBook et convoquent son PDG pour une audition. Encore plus fermes, on trouve déjà deux « niets » sans appel, ceux de la Russie et de la Chine, tous deux en conflit avec les USA. Numéro un économique émergent, la Chine en particulier ne peut autoriser sur son territoire une monnaie qu’elle ne contrôle pas. Moins attendue, car cible privilégiée de FaceBook, l’Inde qui avait déjà banni les crypto-monnaies fait également partie des refuzniks. Quand à l’Union européenne, créée par les États-unis à leur service, et n’arrivant toujours pas à gérer sa créature bricolée – l’euro – elle devrait conserver ici comme ailleurs son triste statut de paillasson de l’Oncle Sam. R.I.P. - Resquiet In Pace... Ailleurs toutefois, et à bas bruit, dans le monde feutré des petit États qui servent la finance mondiale, comme la Suisse ou Singapour, c’est un tout autre son de cloche. C’est en effet sans surprise en Suisse, terre d’accueil des crypto-monnaies depuis plusieurs années, qu’est domiciliée la tête pensante de l’hydre inventée par FaceBook, la « Libra Association ». Paradis du secret bancaire, la Suisse a tôt compris le potentiel et s’est mobilisée pour devenir la crypto-nation. Ses banquiers, avocats d’affaires, lobbyistes et ingénieurs y sont à la manœuvre et le canton de Zoug est déjà surnommé la «Crypto Valley», en référence à la Silicon Valley californienne.

Démarrées en mode panique et en ordre très dispersé, les réactions étatiques vont donc être très intéressantes à suivre, en particulier lors du prochain G7 cet été à Biarritz : refuser pour se protéger, accompagner pour partager le contrôle ou bien bloquer pour tuer l’initiative... En tout état de cause, une guerre d’influence entre géants, à l’échelle planétaire, a démarré. Une guerre entre amis, mais une guerre mondiale d’une ampleur inégalée. D’un coté du ring : les États, leurs politiciens, leurs banques centrales, leurs régulateurs, leurs lois et leurs polices. De l’autre : le grand capital et les corporations digitales mondiales, leurs centaines de milliards, leurs États et hommes politiques captifs, leurs milliers de lobbyistes enfoncés comme des coins au cœurs des États et des administrations, et leurs réseaux de serviteurs mondialisés, sur-diplômés et très dociles.

Entre les deux, au milieu de l’étau, l’immense troupeau des milliards « d’amis »... biberonnés au papotage digital. Sans soucis, et nourris de selfies, ils vont gaiement à la traite

– Nuage Fou

PAR : Nuage Fou
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