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par Daniel Pinós le 13 janvier 2020

Le Chili s’est réveillé

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Article extrait du Monde libertaire n°1812 de décembre 2019
Le Chili a hérité de la politique économique néolibérale imposée il y a plus de 30 ans par le général Augusto Pinochet. La crise déclenchée par l’augmentation du tarif du métro de Santiago est profonde et liée au coût élevé de la vie, aux bas salaires et aux inégalités. La protestation sociale initiée par les lycéens a regroupé plus d’un million de personnes dans les rues de Santiago.
Le gouvernement de Sebastian Piñera a lancé contre les manifestants l’armée et la police tout en déclarant l’état d’urgence et le couvre-feu dans plusieurs régions.

Quelles sont les raisons de la colère ?

Après plus de 40 ans de cotisation, les Chiliens reçoivent des retraites inférieures en moyenne à 200 euros. Ces pensions sont gérées par des entités privées, qui sont libres d’investir et de jouer avec l’argent des retraités. La plupart des universités sont privées, une masse importante d’étudiants s’endette auprès des banques. Le salaire minimum est actuellement de 370 euros, la majorité de la population active gagne ce salaire en cumulant deux emplois. Il y a aussi de nombreux travailleurs indépendants qui ne sont pas reconnus par le Code du travail. Les grandes entreprises des secteurs minier, forestier, de la pêche et de l’énergie, appartiennent aux 7 familles propriétaires du pays. Elles ont la possibilité de polluer et de devenir propriétaires des espaces publics. L’État vend à ces familles des plages, des rivières, des montagnes pour qu’elles puissent les exploiter et polluer en toute impunité.
Les soins de santé et les médicaments confiés aux entreprises privées sont excessivement chers. Les médicaments sont payés à 100 % par les malades. Des délits de corruption politique et économique ont été mis au grand jour. Ceux qui gouvernent le pays se remplissent les poches, ils volent les contribuables et sont sauvés par leurs juges.
Ces dernières années, plus d’une trentaine de militants politiques, dont des anarchistes, des syndicalistes et des activistes mapuches sont morts victimes de la police et de l’armée. On applique à ces militants une loi antiterroriste mise en place par Pinochet. Les médecins, les assassins et les tortionnaires de la DINA, du CNI [note] et de l’armée, tous complices du coup d’État de 1973 du général Pinochet, marchent librement dans les rues. Les seuls condamnés sont confinés dans des prisons de luxe.

Le néolibéralisme chilien
Au Chili, le néolibéralisme avait été imposé avec plus de violence que dans d’autres pays. De toutes les sociétés, la chilienne était celle qui ressemblait le plus aux rêves des Chicago’s boys, des économistes Hayek et Milton Friedman : le néolibéralisme dans son état le plus pur ! Tous les ingrédients ont été réunis pour former un paradis néolibéral : il a été créé par une dictature qui n’a pas eu à faire face à des débats inconfortables et à une opposition parlementaire, ni à la nécessité de séduire les électeurs populaires ni de négocier avec les organisations syndicales afin de satisfaire les revendications sociales.
La classe dirigeante chilienne elle-même se vantait, pour reprendre les propres termes du président Sebastián Piñera, d’être « une bonne maison dans un mauvais quartier » et une « oasis » de stabilité dans une région instable. Les sociaux-démocrates n’ont jamais condamné le modèle chilien quand ils ont été au pouvoir. Pour les dirigeants politiques « progressistes », les chiffres macro-économiques étaient suffisants : une croissance économique plus ou moins soutenue, une faible inflation, une dette publique maîtrisable, un équilibre fiscal relatif.
L’explosion sociale du Chili est survenue à un moment où les économistes regardaient les statistiques, les données contrastées, dressaient des comptes et tout semblait aller bien. Mais ce n’est pas l’échec du modèle qui a produit cette explosion, mais son succès. Le Chili est l’enfant gâté de l’esprit d’entreprise. La société réelle ressemblait à ses désirs profonds, une société mercantilisée, imprégnée d’individualisme, avec des protections sociales minimales, donnant ainsi toutes les garanties et tous les avantages à l’investissement privé.

Un pouvoir aux abois




La révolte des citoyens chiliens a pris l’élite complètement par surprise, cela se voit dans deux réactions de Piñera : d’abord, il a déclaré la guerre aux manifestants, puis il s’est excusé pour avoir été insensible aux revendications du peuple et il a annoncé un paquet de mesures palliatives urgentes.
La "Première dame" du pays a confessé devant un ami : « Nous sommes absolument submergés, c’est comme une invasion étrangère ». C’est un exemple de ce que sont les préjugés de classe. La dernière phrase de Cecilia Morel est devenue virale sur les réseaux sociaux, elle en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît : « Nous allons devoir diminuer nos privilèges et partager avec les autres ». Et ne parlons pas des considérations d’Andronico Luksic, l’homme le plus riche du Chili qui a confondu Piñera avec Pinochet. Il s’est dit « heureux que le général ait imposé un couvre-feu » et il a affirmé que s’il était au pouvoir, les journalistes seraient rayés de la carte.
Le gouvernement de Sebastián Piñera a répondu aux protestations sociales au Chili par une répression militaire très brutale.



Selon la Commission inter américaine des droits de l’homme, il y avait le lundi 28 octobre 42 morts, 12 femmes violées, 121 disparus et des milliers de torturés.
Les manifestations, ne sont ni dirigées ni contrôlées par les forces politiques, mais sont essentiellement spontanées. Deux des slogans les plus fréquemment entendus dans les manifestations disent beaucoup de choses sur les sentiments et les pensées de ceux qui descendent dans la rue et défient l’autorité : "Ce ne sont pas trente pesos, c’est trente ans" et "le Chili se réveille". Pour les manifestants, trente pesos d’augmentation du ticket de métro ce n’est peut-être pas grand-chose, mais 30 ans de régime néo-libéral avec des gouvernements socialistes et libéraux aux ordres des grands chefs d’entreprises, c’est cela qui a provoqué un rejet profond du régime issu de la dictature de Pinochet.
Malgré la répression, les viols et les morts, les rues sont en fête. On danse, on chante, on fraternise, on partage. Les drapeaux des Indiens mapuches volent au vent, ils sont les symboles de la révolte. La rébellion rend les gens meilleurs, toujours. Heureux ceux qui la vivent. C’est le moment où tout semble possible, le moment n’est pas venu de négocier vers le bas. Les Chiliens se sont réveillés du cauchemar néolibéral et vivent un moment de rêve. Plus ils osent rêver, plus ils pourront transformer la réalité.

Daniel Pinós

1. La Direction nationale du renseignement, connue sous l’acronyme DINA, était la police secrète de la dictature militaire d’Augusto Pinochet au Chili entre 1973 et 1977. La DINA a été responsable de nombreux cas d’infiltration politique et de violations des droits de l’homme, dont des meurtres, des enlèvements, des viols et des tortures. Elle a été remplacée en 1977 par la Centrale nationale d’informations (CNI).
PAR : Daniel Pinós
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