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par Julien Caldironi le 2 juin 2024

Chroniques de vieux bouquins, épisode 1

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Sacco et Vanzetti, de Pierre Duchesne (Jean-Patrick Manchette), Presses Pocket, n° 900, 1971

Boston, en 1920, comme le reste des grandes villes industrielles américaines, est une poudrière. L’élan révolutionnaire qui ébranle le vieux monde s’est propagé jusque dans les usines et manufactures du jeune pays, opposant régulièrement les ouvriers, les syndicalistes et les grévistes aux forces de l’ordre, à l’armée, aux briseurs de grève mafieux à la solde d’un patronat puissant et influent au sein de la caste politique américaine. Le 5 mai, Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti, deux anarchistes italiens, le premier ouvrier dans une fabrique de chaussures et le second poissonnier ambulant, sont arrêtés et accusés d’avoir commis un hold-up meurtrier. Ce qui commence comme une banale affaire criminelle déborde rapidement du cadre judiciaire et va devenir un emblème mondial de l’injustice de classe. Lutte juridique, médiatique, à l’aura internationale, l’épopée de ces deux hommes raflés incarnant un vivant symbole à abattre, va inspirer de nombreuses œuvres dont un film de Guiliano Montaldo, sorti en 1971, au thème principal d’Ennio Morricone, rendu célèbre par la chanson Here’s to You, de Joan Baez.





L’ouvrage ici chroniqué est la version poche de la novellisation de ce film. Signée Pierre Duchesne, il s’agit en réalité d’un roman de Jean-Patrick Manchette. En 1971, Manchette est sur le point de publier ses premiers néo-polars, avec l’impact que l’on connait, mais il signera cette année-là, deux adaptations, dont celle-ci, les deux sous le même pseudonyme.

Sept ans d’une agonie, leur "triomphe"...
Sacco et Vanzetti sont donc deux libertaires italiens. Proches de Luigi Galleani, théoricien et militant anarchiste, facto-propagandiste et éditeur du journal Cronaca Sovversiva (Chronique subversive), ils ont collaboré au mensuel et quand ils se font arrêter, ils sont tous deux équipés d’armes à feu. Dans une Amérique terrifiée et vivant sa première Peur rouge, qui a déporté plus de 500 activistes de gauche, raflés lors des sinistres Palmer Raids (du nom du procureur général des USA), il n’en faut guère plus au juge et au procureur pour les inculper de meurtres commis durant un hold-up. Peu importe l’amateurisme des témoins soudoyés, les disparitions étranges de pièces à conviction, les trous dans l’enquête… Les deux hommes sont condamnés à la chaise électrique, et malgré le soutien international de millions d’anonymes, des pétitions rassemblant plusieurs centaines de milliers de signatures, l’intervention directe de bon nombre de personnalités, ils seront exécutés après sept ans de vains recours. Sept ans d’une agonie qui, comme le déclara Vanzetti, restera tristement comme leur « triomphe ».

Un roman efficace et engagé
Manchette s’empare de cette histoire et du film qui en a été tiré pour proposer un roman efficace et engagé. Il pose surtout son regard acéré sur les rapports de classe, sur les luttes entre bourgeoisie et prolétariat, dans un contexte agité de conflits sociaux très durs. Par la description minutieuse du juge et du procureur, de leurs attitudes, de leur langage, Manchette dépeint un monde dirigeant clos, raciste, réactionnaire et terrifié par les classes laborieuses. En face, les ouvriers, leur fantasque et passionné avocat, Fred Moore, le comité de soutien, tentent tout pour sauver la peau de ces deux hommes, mais ils n’ont pas le pouvoir juridique et politique confisqué par leurs adversaires. Un personnage intéressant est notamment le second avocat de la défense, William Thompson, riche bostonien, membre de l’élite locale, dont les illusions sur la justice américaine s’amenuisent au fur et à mesure d’un procès scripté.
Cinquante ans après leur mort, le 23 août 1977, le gouverneur du Massachusetts, Michael Dukakis, absoudra les deux martyrs et les réhabilitera officiellement. Il déclarera que « tous les déshonneurs doivent être enlevés de leur nom pour toujours » même si le jugement est seulement invalidé sur la forme, sans que leur innocence ou leur culpabilité n’ait été établie pour autant.


Julien Caldironi – individuel 49
PAR : Julien Caldironi
Individuel 49
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