Quelques critiques et propositions libertaires
Politiques de santé
Si l’on définit la santé comme un état de bien-être physique et moral, on ne peut réduire la question au simple acte de prodiguer des soins ou, autrement dit, à une dimension uniquement «curative». Le problème est, d’emblée, éminemment politique. Dans le système capitaliste, fait d’exploitation et d’oppression, l'état de santé est une situation de confort dont sont forcément exclus des millions d’individus. En plus des conditions économiques, qui privent la plupart d’entre nous d’un accès satisfaisant aux soins, ce sont les rapports d’Autorité eux-mêmes, les liens de subordination (avec leur cortège d'humiliation et de frustrations) ; c’est l’organisation globale du travail, de la famille, bref de nos rapports sociaux qui génèrent un mal-être aux formes multiples (maladies dites professionnelles, stress, dépressions, suicides). Au bout du compte, la critique des carences des systèmes de santé actuels ne peut être séparée d’une critique radicale du système marchand, de l'économie de profit. Une définition libertaire de la santé consiste également à repenser les rapports médecins-malades : l’individu qui a besoin de se faire aider pour lutter contre la maladie, et/ou pour prendre les mesures préventives adéquates, ne doit pas être le patient : il doit au contraire pouvoir être un acteur à part entière de son traitement.Le coût de la santé, un choix sociétaire !
Pour justifier la rigueur, le pouvoir, via une propagande politico-médiatique incessante, nous affirme que les dépenses de santé auraient atteint des sommets incroyables et injustifiés. En plus du feuilleton orchestré sur le fameux trou de la sécu (créés de toutes pièces par les politiques gouvernementales et patronales), des statistiques nous sont régulièrement présentées, de manière fort pernicieuse, afin d’effrayer et de culpabiliser le «brave contribuable».
On nous annonce, par exemple (Le Monde, 3 juillet 1996) que «les dépenses engagées par les caisses, les mutuelles et l'État se sont établies à 682,3 milliards de francs, soit 11 735 FF en moyenne par habitant». Le chiffre est gonflé au maximum en incluant notamment les salaires des personnels soignants, mais sans le dire trop fort. Ensuite, cette somme, pour avoir un sens, doit être mise en comparaison du PIB moyen par habitant, c’est-à-dire de la richesse (marchande) moyenne produite par chacun d’entre nous. Rappelons que le PIB, à ce moment là, était d’environ 122 807 FF par mois et par tête d'habitant. On constate par conséquent que nos dépenses de santé représentent, très approximativement, 10% de la richesses produites. Oui, et alors ? Vu l’importance de la santé, on pourrait même considérer que nous y consacrons un pourcentage trop faible de notre travail collectif. Cela est une question de choix politique, de choix de société. Et, lorsqu’il s’agit de sauver des vies humaines, peut-on d’ailleurs encore parler de choix ?
Santé ou logique de profit, il faut choisir !
Rappelons brièvement les vrais enjeux politiques et économiques autour de la question de la santé.
D’abord, il est clair que la bourgeoisie n’a pas d’intérêt à développer une santé de qualité pour tous, mais uniquement pour l'élite : c’est-à-dire elle-même ! Ce dont le patronat à besoin, c’est de travailleurs en capacité de produire, rien de plus. Le bien-être des individus n’est pas le souci de ceux et celles qui nous dirigent et nous exploitent.
Ensuite, avec la logique du marché et de la concurrence, la mondialisation de l'économie, la véritable guerre économique que se livrent les puissances financières etc., le critère de compétitivité est devenu le seul indicateur valable aux yeux de ceux que l’on nomme les décideurs. Pour les classes dirigeantes, rien ni personne ne doit échapper aux règles du jeu capitaliste. C’est donc dans le cadre global de la restructuration de l'économie que s’inscrit celle de la protection sociale, des services publics en général et du système de santé en particulier. L'État, dans ce processus, révèle donc son vrai visage : loin d'être le garant de la prétendue «égalité républicaine» entre les «citoyens», il est l’outil institutionnel au service des intérêts des possédants, il organise les reculs sociaux successifs.
Concernant la protection sociale, nous savons que l’objectif de la bourgeoisie est de casser les «revenus de transfert» : les prestations sociales. L’idéal, pour le patronat, serait que les salariés payent eux-mêmes, sur leurs salaires actuels, tout ce qui concerne leur protection sociale. Les patrons économiseraient ainsi les cotisations qu’ils versent à l’URSSAF (ce qui représente encore, malgré toutes les exonérations, grosso modo 1 000 milliards de francs annuels !). Parallèlement, la bourgeoisie entend bien faire de fabuleux profits grâce au développement des assurances privées, que ce soit pour la santé ou pour les retraites (avec la mise en place des fonds de pension et de régimes de retraite par capitalisation).
Pour ce qui est des structures de santé, c’est l'hôpital public qui est dans la ligne de mire, sous les feux des plans de restructurations concoctés par les Agences régionales d'hospitalisation, mise en place par le plan Juppé, et encouragée par le gouvernement Jospin ! Des restructurations entraînant des fermetures de services, des suppressions d’emplois et une baisse notable de la qualité des soins. Nombres d'hôpitaux publics étaient déjà des «usines», ils se transforment maintenant en véritables centres de profit, les autres devant fermer leur porte.
Défendre l'hôpital public et la sécurité sociale : des priorités
Aujourd'hui, il serait largement insuffisant d'élaborer des revendications uniquement sur la question des moyens. Bien entendu, il est urgent de mettre un coup d’arrêt à la misère budgétaire qui asphyxie les hôpitaux, d’abolir immédiatement le forfait hospitalier etc. De multiples services sont aujourd'hui en incapacité de fonctionner : ce ne sont pas seulement les services purement médicaux mais également des services annexes qui rendent l'hôpital vivable : les bibliothèques, les services d’aides sociales, les structures d’accueil de l’entourage des malades.
Mais il s’agit aussi, entre autres, de revoir le problème global de l’enseignement et de la formation des personnels de santé en respectant les principes de gratuité, en supprimant les quotas de recrutement, en revalorisant (en guise de mesure d’urgence) le système des bourses, dans un souci égalitariste. Il s’agit enfin d’insuffler au mouvement social de réelles perspectives politiques. Car, au fond, notre exigence majeure est la socialisation de tous les moyens de production en opposition, à la fois, à toutes les mesures de privatisation et à toutes les stratégies d'étatisation.
Ce que nous voulons, c’est la mise en autogestion par les personnels soignants, les personnes malades et leur entourage du système de santé et de l'hôpital.
Alors que le pouvoir voudrait aujourd'hui réduire le service public hospitalier à une peau de chagrin ou plus précisément une structure de soins minimum, des hospices pour les plus pauvres, il nous appartient d’agir pour qu’il soit, au contraire, un espace où s’affirme le refus de la médecine à plusieurs vitesses, de la médecine libérale du fric, le droit pour chaque individu d’avoir accès à des soins de grande qualité, le droit pour chaque individu de prendre sa vie en main et donc de prendre part aux décisions collectives.
La sécu, elle est à nous !
Nos ambitions seront du même type pour la Sécurité sociale. La défense de celle-ci doit s’articuler logiquement dans une perspective de critique et de rupture anticapitaliste et antigouvernementale. Comme pour le reste, nous n’avons rien à attendre d’une intervention de l'État, bien au contraire ! C’est aux salariés de se réapproprier directement les organismes de protection sociale et d’entraide. Notre objectif est d’en finir avec la cogestion b’tarde entre patronat, État et syndicats qui, pour nous du moins, ne seront jamais des «partenaires sociaux» ! La sécu est à nous, elle doit être gérée par nous, et concrètement par l’intermédiaire d’administrateurs, précisément mandatés, étroitement contrôlés par les assurés, en s’inspirant d’un type de fonctionnement mutuelliste. Pour ce qui concerne le financement, et bien il faut déjà reprendre au patronat ce qu’il nous vole ! Mais pour cela, nous ne demanderons pas à l'État de «taxer les profits» comme le font certaines organisations de gauche et d’extrême gauche En effet, nous n’allons pas demander à notre ennemi d’agir à notre place ! C’est par les luttes sociales que les travailleurs doivent directement taxer les profits en arrachant de massives augmentations de salaires. C’est clairement à eux ensuite de gérer les fonds réinvestis dans la protection sociale. Enfin, la revendication, la plus intéressante idéologiquement est celle de la gratuité, puisqu’elle se place directement en opposition à la logique marchande. Elle seule peut réellement et durablement garantir l'égalité économique et sociale et la meilleure satisfaction des besoins des individus. La gratuité, ne doit cependant pas être perçue comme une «prise au tas aveugle, mais comme un mode organisé de répartition des richesses» [[Cf. la brochure L’Anarchisme aujourd'hui, un projet pour la révolution sociale aux éditions du Monde libertaire.]], couplée à l’aspiration de l’autogestion généralisée de la société.
Des états généraux de la Santé ?
À la rentrée, le gouvernement organisera des états généraux de la santé. Ils ont été officiellement annoncés le 13 mai, par une communication de Bernard Kouchner. À partir de septembre, une brochure d’information (ou plutôt de désinformation !), accompagnée d’un questionnaire, sera éditée à des millions d’exemplaires. Officiellement, le pouvoir entend favoriser la «participation citoyenne» mais ce ne sera que pure démagogie. Il n’est pas difficile de prévoir comment les prétendus «débats publics» seront orientés, cadenassées par une pléthore de spécialistes à la solde du gouvernement, avec l’appui notoire de la CFDT. Le réel objectif sera de faire passer la pilule des restructurations des nouveaux schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS). À nous de savoir prendre le contre-pied de cette opération, d’organiser partout où nous le pouvons de vrais espaces de discussions politiques sur le devenir de la santé et de la protection sociale, de réflexions sur les luttes à mener !