Pour un autre futur
Congrès de l'IFA
Les 31 octobre, 1er et 2 novembre s'est tenu à Lyon le 6e congrès de l'Internationale des Fédérations anarchistes (IFA). Durant trois jours des militants d'organisations libertaires du monde entier (voir l'encadré ci-après) se sont réunis afin de discuter et débattre de la situation économique, sociale et politique dans nos différents pays ainsi que des actions menées par les anarchistes. À l'heure où la mondialisation du capitalisme et la restructuration des États imposent partout toujours plus de misère et d'exploitation, les anarchistes se devaient de réaffirmer leur internationalisme, se donner des moyens de coordination dans les luttes et tracer des pistes pour la transformation sociale.Un congrès d'impulsion
C'est plus d'une centaine de délégués issus d'une vingtaine d'organisations anarchistes qui ont confronté leurs analyses et pratiques d'interventions sociales. Si l'IFA existe déjà depuis plusieurs années (voir [- art2717], ML n° 1094) par la réunion de certaines sections, ce congrès avait pour objectif d'élargir l'influence et les possibilités de cette structure en développant et renforçant la coordination de l'ensemble des anarchistes organisés de part le monde. C'est à ce titre qu'un certain nombre de délégations avaient été invitées afin d'observer d'une part le travail et les perspectives qu'offre l'IFA mais aussi afin de prendre la parole sur leur situation et leurs attentes.
De l'analyse de l'évolution globale du système capitaliste, en passant par les caractéristiques de la situation de chaque pays et continents, à l'étude des positions et pratiques anarchistes dans les questions sociales, notamment autour des questions du travail, de la commune, des relations interprofessionnelles, de l'environnement et de l'écologie, les débats ont témoigné d'une pluralité de situations, d'analyses et d'interventions.
Une pluralité qui n'a pas empêché pour autant d'élaborer une analyse commune en adoptant une motion sur les aspects de la domination et de l'exploitation mondiale. Une motion qui défini les grandes lignes d'une analyse collective au niveau international du système actuel. Notons aussi qu'une seconde motion fut adoptée sur la situation spécifique faite aux femmes de part le monde. Une motion issue d'une commission sur ce thème impulsée par les militantes des diverses organisations.
Au niveau des moyens de coordination que l'IFA s'est donnée il a été réaffirmé la nécessité de mettre en place un bulletin régulier de réflexion et d'information alimenté et en direction des différentes sections. De plus, une utilisation plus systématique des techniques modernes que sont l'Internet et les courriers électroniques a été décidée. Ces méthodes permettent notamment une circulation beaucoup plus rapide que dans le passé des informations et ainsi rendent plus efficace le soutien et la popularisation internationale de luttes et d'actions menées ainsi que l'organisation de la solidarité et de la diffusion de protestations en cas de répression. Afin de populariser nos idées et nos actions l'IFA possède d'ailleurs son propre site Internet dont la gestion et la coordination est assurée actuellement par la Fédération allemande. Néanmoins l'ensemble des sections sont bien conscientes que cela ne remplacera jamais le travail de diffusion d'idées, d'organisation et d'implication directe dans les luttes sociales.
Dans cette logique il va être tenté de mettre en place une solidarité humaine et matérielle concrète au niveau de zones géographiques. Dans ce sens un premier travail va être fait pour les pays de l'Est. Une première réunion de travail s'est tenue durant le congrès, autour de l'I-AFD allemande chargée de la coordination pour cette zone, regroupant les organisations croate, russe, biélorusse, tchécoslovaque et ukrainienne.
Pour terminer, sur les perspectives d'actions communes, il a été donné comme mandat à la commission de relation de l'internationale des Fédérations anarchistes (CRIFA, structure de coordination entre les congrès composée de représentant de chaque sections adhérentes) d'étudier à partir d'un rapport présenté par nos camarades allemands la possibilité d'organiser une journée mondiale d'action anarchiste. De même à la demande des Italiens il sera étudié la possibilité de mener une campagne internationale contre le jubilé de l'église catholique prévu pour l'an 2000.
Des situations diverses
La première journée du congrès a été en très grande partie consacrée à la présentation de chaque organisation et de la situation dans laquelle elle évolue. Il nous semble important de présenter succinctement certaines d'entre elles soit parce qu'elles reflètent d'un renouveau de dynamisme des idées et actions libertaires soit car elles témoignent du développement de notre mouvement dans des zones où il était absent depuis longtemps.
En Espagne, où le mouvement anarchiste connaît une veille tradition, nos camarades estiment qu'il se déroule actuellement au sein des classes populaires de leur pays un phénomène de rejet de ce qu'ils ont nommé «l'embourgeoisement de la société» qui s'installait depuis le début des années 80. Un mouvement de rejet qui s'explique en grande partie par le durcissement de la situation économique et se traduit par un net regain des luttes sociales. Dans ce contexte, les organisations libertaires semblent alors trouver un écho plus fort et connaître un développement de leur implantation.
Nos camarades de la FAI italienne ont montré que leur pays connaît lui aussi une forte agitation sociale dans un contexte d'un gouvernement de gauche plurielle fort similaire à celui de la France. Aujourd'hui la FAI apparaît clairement comme la partie la plus vivante du mouvement anarchiste en Italie et au cours de ces dernières années, elle a connu une lente mais certaine augmentation de ces adhésions. Cette organisation de tradition idéologique issue de Malatesta, Fabri et Berneri a rappelé que toute son action était tournée vers le développement de l'anarchisme social. Elle a notamment joué un rôle important dans l'émergence des comités de base (Cobas) dans les entreprises ainsi que du syndicalisme alternatif. Le 18 octobre dernier une manifestation contre les mesures du gouvernement de gauche a rassemblé plus de 50 000 travailleurs autour de la revendication centrale de l'autogestion. Au cours de l'année la FAI a aussi mené des campagnes anticléricale et antimilitariste notamment contre l'intervention militaire italienne en Albanie. Enfin, ces camarades nous ont aussi averti qu'il demeure en Italie une forte tradition de répression de la part de l'État issue des années 70 et dont la FAI fut victime au cours de l'année en ayant subi plusieurs perquisitions.
La plupart des camarades des pays de l'est ont expliqué que dans tous leurs pays, en raison de la chape de plomb du stalinisme durant de nombreuses années le mouvement anarchiste a été décimé. Il leur faut donc reconstruire le mouvement et leur action se concentre donc essentiellement autour d'un travail de propagande. L'action menée par les camarades de Biélorussie semble néanmoins particulièrement importante.
La Biélorussie est un pays évoluant de plus en plus vers la dictature au travers de la mise en place d'un État policier où les libertés publiques sont réduites et où il y a une forte répression politique. Dans ce contexte nos camarades sont obligés d'organiser des meetings illégaux qui attirent un grand nombre de travailleurs. La Fédération anarchiste biélorusse, essentiellement composée de militants anarcho-communistes, semble avoir une forte implantation dans certaines villes comme Minsk où elle a notamment impulsé une union de chômeurs. Dans chaque conflits sociaux il y a une présence spécifique anarchiste dans les mobilisations. Néanmoins la répression est importante et de nombreux camarades connaissent régulièrement des périodes d'emprisonnement.
Terminons cet aperçu partiel de certaines situations qui nous ont été présentée par les informations qui nous ont été apportées par les camarades de Guyane. Ils ont rappelé que cette partie de l'Amérique du sud, théoriquement considérée comme étant la France est un pays colonisé subissant essentiellement la pression des lobbies européens implantés autour des bases aérospatiales.
En Guyane la situation sociale apparaît comme catastrophique avec un taux de chômage officiel de 29% mais qui en réalité approche les 40%. En novembre 1996, le pays a connu une période d'insurrection généralisée lorsque la jeunesse est descendue dans la rue. Un mouvement qui fut alors fortement réprimé par l'État français, faisant de nombreux blessés ainsi qu'un mort, et dont tout écho vers la métropole fut étouffé. Ce mouvement a fait émerger une certaine conscientisation notamment autour de la nécessité de prendre en main son devenir.
L'organisation No pasaran-ASFALT est encore un petit groupe informel composé de militants rejetant la notion nationaliste de peuple guyanais et étant rentrés en rupture avec l'UTG (Union des travailleurs guyanais) en raison de sa stratégie réformiste aujourd'hui inféodée à la CGT française. Pour ses militants la voie libertaire est alors apparue comme la bonne alternative pour lutter contre le capitalisme et l'impérialisme de l'État français. L'IFA leur est alors apparue comme une structure leur permettant de s'inscrire dans une globalité d'action. Notons que dans le souci de renforcer les liens avec en premier lieu les militants anarchistes vivant en France ils ont apporté au congrès une déclaration de solidarité avec la lutte des sans-papiers.
Si ce congrès a connu, comme tous congrès, ses moments de tension mais aussi d'intense fraternité (notamment lors des confrontations des capacités de chants révolutionnaires des diverses délégations) il n'en demeure pas moins que des liens ont été renoués et renforcés. À l'heure où la barbarie capitaliste se fait toujours plus grande seule la lueur de la révolution sociale nous fait garder espoir en se rappelant que l'Internationale... sera le genre humain !