éditorial du n°1093
À première vue, cette décision pourrait nous apparaître comme allant dans le bon sens. Et cela d'autant plus que la politique nataliste n'est pas vraiment notre tasse de thé. Défiler aux côtés des villiéristes et autres curetons défenseurs de la famille n'est heureusement pas près de nous arriver. Sous le rideau d'une politique prétendument sociale, elle s'inscrit parfaitement dans le vaste chantier visant à démanteler l'ensemble du système de protection sociale.
L'idée de plafonnement étant ainsi acceptée, il vient immédiatement à l'esprit que ce plafond pourrait être abaissé dans quelques années. Mais même en l'état, il y a quelque hypocrisie à faire passer les ménages disposant de 25 000 FF de revenus mensuels pour de coupables privilégiés, dans un monde où la fortune des 358 personnes les plus riches représente l'équivalent du revenu annuel des 2,3 milliards d'individus les plus pauvres.
Plus fondamentalement, le plafonnement illustre la substitution de la notion d'équité à celle d'égalité. Le principe d'une couverture égale de tous en fonction des moyens de chacun est ici bafouée. Cet objectif d'universalité s'appuyait sur deux moyens : la proportionnalité des cotisations et l'égalité de la redistribution.
Prochaine étape déjà certainement programmée, l'équité produira ses ravages dans la branche maladie. Déjà, Alain Minc, héraut du libéralisme, affirme qu'il faut cesser de traiter de la même manière « le rhume attrapé par un cadre dirigeant sur les pistes de Courchevel et la pleurésie d'un enfant d'exclu à Aubervilliers ». Sournoisement, Minc veut ainsi faire pleurer dans les chaumières pour faire accepter le démantèlement de la sécu. Le cadre dirigeant aurait alors les moyens de se payer une assurance privée et de bénéficier des meilleurs soins. Pendant ce temps, l'enfant d'exclu aurait la « chance » de se voir offrir une assistance médicale dans des hôpitaux de troisième zone où les pauvres seraient inévitablement relégués.
Sur le chantier de l'équité, les États-Unis ont plusieurs longueurs d'avance. On a commencé par y retirer aux classes moyennes l'accès de certains services. Ceux-ci ont été réservés progressivement aux plus défavorisés. Puis, les politiques ont soudain multiplié les « découvertes » de « fraudes, gâchis et abus » : ces pauvres évidemment « irresponsables » qui procréent pour toucher les allocations... En 1996, les classes moyennes, qui n'en bénéficient plus, ne se sont pas outre mesure alarmées de la suppression de ces aides.
Nos dirigeants nous préparent un avenir radieux. Soyons vigilants.