Lumières noires de Leopardi
Célébré surtout pour sa poésie, Leopardi est également un philosophe original en qui Nietzsche a reconnu un précurseur. Allant au-delà de la critique antithéologique d'un d'Holbach ou d'un Diderot, Leopardi ne récuse pas seulement la croyance en Dieu, mais en [?] toute idée qui se glisserait subrepticement dans le suaire du fantôme divin et renouvellerait sous d'autres formes l'imposture religieuse. Ainsi en est-il par exemple du mythe du progrès qui commence à la faveur de l'expansion capitaliste à s'imposer en ce début du XIXe siècle. Héritier des Lumières dans la mesure où il rejette l'emprise de la métaphysique et de la théologie sur le monde, Leopardi s'en éloigne par son refus de voir dans le triomphe de la raison la solution aux maux qui accablent l'humanité. Son matérialisme conséquent le conduit à mettre en cause les valeurs les plus reconnues, l'illusion du libre-arbitre et même la nécessité de l'existence de l'homme, et fait de lui un moraliste noir dont la parole se tient à mi-distance entre le désespoir féroce de Sade et le grand rire dionysiaque de Nietzsche.
Joël Gayraud