Interview de Mark Sotiri du Comité de Saranda
Albanie
Q. : Ces jours-ci, les journaux ont beaucoup écrit sur la situation albanaise mais on ne sait pas si tout ce qu'on lit correspond à la réalité. On voudrait connaître de vive voix les causes véritables de l'insurrection albanaise.R. : Tout a commencé avec la faillite des sociétés financières «pyramidales». Les gens sont descendus dans la rue de façon spontanée pour protester pacifiquement et demander le remboursement des pertes. Au début, les manifestations populaires étaient pacifiques. Ensuite, la police a commencé à donner des assauts contre les manifestants. Le peuple a été obligé de prendre les armes pour se défendre face à la violence de l'État de Berisha. Le peuple en armes a vite réussi à dominer la situation. Il n'y avait que peu de résistance de la part de l'armée. Beaucoup de militaires refusaient de tirer sur leurs proches, sur le peuple, et ont déserté pour se joindre à la révolte populaire. Ensuite, se sont constitués les Comités de la rébellion ayant la charge d'organiser la contre-offensive contre le régime de Berisha. Dans l'extrême confusion où nous nous sommes trouvés, et au-delà des revendications populaires, des bandes criminelles se sont constituées, qui n'avaient rien à voir avec les vraies causes de la rébellion. Les Comités ont rencontré Fino pour réaffirmer leur volonté d'obtenir la démission immédiate du président Berisha.
Q. : Quelle est aujourd'hui la situation en Albanie et quelle évolution voyez-vous ?
R. : La situation paraît calme. Les produits alimentaires ne manquent pas, mais leur prix a triplé. Les salaires et pensions ne sont plus versés, on a de graves problèmes sanitaires. Il ne manque pas non plus de provocations. L'une d'elles sont les discours et les actions qui cherchent à fomenter une lutte entre le nord et le sud afin de transformer notre lutte en guerre civile. Nous, au Comité, retenons pour improbable que ce discours ait prise parce que tous ceux qui, aujourd'hui, en Albanie, souffrent de la famine et de la misère, sont plus que jamais unis dans la lutte que nous menons.
Q. : Avez-vous une plate-forme politique ?
R. : Notre plate-forme politique est de renvoyer Berisha chez lui et d'annuler le résultat des élections «pacificatrices» du mois de juin. Personnellement, je retiens que la crise ne peut être surpassée qu'avec une véritable collaboration de toutes les forces politiques et sociales du pays.
Q. : Dans les communes que vous contrôlez, quel est le type d'organisation que vous vous êtes donné ? Certaines personnes nous parlent d'autogestion et disent que les femmes jouent un rôle important.
R. : Les Comités sont auto-organisés et liés entre eux. Les membres des Comités ont tous les mêmes responsabilités. Il n'existe pas de personnes ayant un rôle supérieur. On arrive à garantir la vie sociale. On continue à travailler. Les femmes ont une tâche encore plus lourde parce que en plus de participer aux activités sociales, elles doivent penser au soin des enfants. Les personnes proches de Berisha nous définissent comme étant des bandits et nous accusent, par exemple, de retenir en otage 120 personnes. Rien n'est plus faux. Nous avons invité la télévision albanaise à venir vérifier directement. En plus, beaucoup d'opposants démocrates à Berisha travaillent avec nous à l'intérieur du Comité.
Q. : Les journaux, la radio, la télé, continuent d'affirmer que l'Albanie est aujourd'hui en proie au chaos de bandes criminelles, de mafieux, de voleurs.
R. : Je répète : nous n'avons rien à voir avec le banditisme qui malheureusement existe aujourd'hui en Albanie. Mais notre action n'a rien à voir avec les actions gratuites de la criminalité que nous combattons avec vigueur.
Q. : Que pensez-vous de la migration des Albanais vers l'Italie ?
R. : Que feriez-vous si vos enfants vous demandaient du pain que vous ne pouvez pas leur donner ? La fuite est due surtout à des motifs économiques. Nous sommes heureux de savoir que beaucoup d'Albanais ont été accueillis en Italie, vivent avec des familles italiennes et sont bien traités.
Q. : Que pensez-vous de la tragédie qui s'est passée en mer le vendredi de Pâques ? Pensez-vous que le gouvernement italien ait des responsabilités dans ce drame ?
R. : Ça a été une véritable tragédie qui a surtout marqué le peuple albanais mais aussi le peuple italien que nous considérons comme notre ami.
Q. : Que pensez-vous de l'intervention multinationale ?
R. : Si les soldats viennent en Albanie avec des projets humanitaires et de paix, ils seront bien accueillis. De la même manière que certains ont été, durant les dernières années, bien accueillis en Italie.
Q. : N'y a-t-il pas un risque que l'Albanie devienne une colonie de l'État italien comme cela s'est passé pendant le fascisme ?
R. : Non, absolument pas. Nous ne pensons pas que ce soit dans cet esprit qu'agit la force internationale. Et d'ailleurs, les Albanais ne l'accepteraient pas. Je me répète, nous croyons profondément à l'amitié entre le peuple albanais et le peuple italien.
Q. : Quelles sont les conditions de travail des Albanais en Italie ? Selon vous, sont-ils bien traités ou exploités, sous-payés comme le disent certains journaux ?
R. : L'économie des sociétés capitalistes est, nous le savons, basée sur la différenciation des salaires mais je vous rappelle qu'en Albanie, un policier, un employé, est payé moitié moins qu'en Italie.
Q. : Quel est votre rôle à l'intérieur du Comité ?
R. : Les gens m'ont choisi parce que je suis connu. Je suis une personne très simple. J'ai quarante-trois ans et je suis électro-mécanicien mais, je le répète, à l'intérieur du Comité personne n'a de rôle prépondérant. Nous sommes tous égaux et nous pensons qu'une fois la crise résolue, les armes doivent être immédiatement déposées.
Interview parue dans Umanita Nova du 13 avril 1997.