Dans les flammes de l’envers !

mis en ligne le 27 juin 2013
Zéno Bianu et André Velter sont complices et ça se sent quand ils publient un livre de poésie à quatre mains intitulé Prendre feu publié chez Gallimard.
Dans la première partie, manif-fête poétique en prose d’une cinquantaine de pages intitulé « Ce qui se veut », leur idée première était de faire, pour le dire un peu vite, un état de la poésie contemporaine et plus particulièrement leur état à eux dans le mouvement poétique d’aujourd’hui. Et ils voulaient, de façon enthousiaste et sans polémique, trouver leur langue propre pour dire cela.
Paul Celan ne voyait pas de différence de principe entre une poignée de main et un poème, mais avec ces deux poètes-là, vous vous retrouverez plutôt pris à bras le corps, dans un grand charivari, façon New Orleans, d’images et de sons ! On vacille, on est déséquilibré, on voltige ! Les voilà, les trois temps de leur valse poétique.
« Alors, est-ce que ça chante ? » nous demandent-ils en cœur. Oui, ça chante, ça déchiffre, ça vocalise, ça exulte, ça swingue ! Déchaînement de signes, de tocsins et de tablas !
« Et est-ce que ça flamboie ? » nous demandent-ils encore. A las cinco de las tarde, c’est l’heure d’un feu d’artifice, d’un holi indien, d’une bataille de pigments de couleurs avec convocation des grands artificiers : Garcia Lorca, Artaud, Nietzche, Rimbaud, Jarry, Pasolini et tant d’autres !
Des hauteurs du Tibet jusqu’en Espagne, du désert du Taklamakan jusqu’au fond des océans on n’a pas le temps de s’attarder, on lâche prise, on se laisse maintenant guider en confiance, le tempo, toujours et encore !
(Si vous tendez l’oreille, vous y entendrez un air de Chet Baker et, s’il manque un homard, ne vous inquiétez pas, il est certainement dans les jardins du Palais-Royal avec Gérard de Nerval !)
Le feu et la glace, alors brûlure pour brûlure, pour rien au monde on ne demanderait à nos deux poètes de réduire la flamme, non, pour rien au monde. On se demande juste, à ce moment-là avec Juan Ramon Jimenez : « Pourquoi mangeons-nous et buvons-nous autre chose que de la lumière et du feu ! »
Ce qui se veut, chez Zéno Bianu et André Velter, c’est métamorphoser le présent en présence. Ils ne sont pas dans une tour d’ivoire, la leur est translucide et même en nous ayant fait passé de l’autre côté du miroir, le réel est bien là, un réel où la part de l’unique est devenue infime, infirme, quasi inexistante ! Un réel ou la basse-cour planétaire regorge de petits coqs génétiquement modifiés, volatiles si bien conçus qu’ils n’auront pas une fois à se servir de leurs ailes !
Commerce des cœurs, commerce des corps, commerce des âmes, commerce de tout ! Ce qui se veut, pour eux, ce serait plutôt un réel qui ne serait pas intercepté au travers du spectre des lois, de la morale ou de l’ordre social. Ce qui se veut, c’est l’insouciance revivifiée d’un « passer outre » qui exige, en vérité, de « penser outre » !
Mais il fallait bien qu’ils relèvent leur propre défi, qu’ils tirent le fil du funambule pour savoir s’ils tenaient dessus ! Alors, avec la grâce des revenus de tout, ils abordent à marée haute la deuxième partie du livre intitulée : « Le duende d’Orphée », qui, après le caractère plutôt lapidaire et solaire de la première partie en prose, se compose de sept poèmes stricto sensu. Ces textes entrent en résonance familière avec notre part déroutante, il est 5 heures du soir, infiniment, l’azur définitif est traversé de flèches enflammées, un loup des steppes passe dans le no man’s langue, l’ombre d’une corne de taureau déchire l’espace tendu entre nos rêves.
Et on entend comme les derniers échos syncopés d’un big band qui s’éloignerait lentement laissant derrière lui des traces de sable et de sang, en migration toujours… La chance et le feu de quelque chose qui aime, c’est ce que vous aurez dans les mains en lisant Prendre feu de Zéno Bianu et André Velter.



Franck
Animateur de Radio libertaire