Un Oeil brun, un oeil vert
(Histoire belge)
Des « patrouilles flamandes » émergent, pour surveiller la « milice » de la Ligue arabe européenne (AEL)... Le quartier populaire de Borgerhout à Anvers,ville portuaire, connaîtra probablement dans les semaines à venir des tensions plus importantes que les troubles du 26 novembre, survenus suite au meurtre d'un professeur de théologie islamique par un voisin belge.La Ligue arabe européenne, présidée par Abou Jahjah, compte en Belgique de 800 à 900 membres. Elle a des objectifs nationalistes et de contrôle : elle entend ainsi lutter « contre la désunion imposée par l'impérialisme à la nation arabe et pour la formation d'une nation arabe permettant de mieux résister au pillage des ressources naturelles ». Elle veut également surveiller les agissements de la police d'Anvers, que l'on dit infiltrée par le parti néo-fasciste Vlaams Blok et discriminatrice à l'encontre des jeunes immigrés.
La montée en force, toute récente, de la Ligue, sa politique sociale auprès des jeunes, sa visibilité lors des dernières manifestations opposées à la guerre avec l'Irak et les émeutes de Borgerhout (auxquelles les forces de l'ordre estiment que la Ligue n'est pas étrangère), ont attiré l'attention sur cette association. Antoine Duquesne, le ministre belge de l'Intérieur, et ses collègues ont pointé son caractère non démocratique et souligné la nécessité de respecter la loi sur les milices privées. Et si, de prime abord, l'on peut se réjouir d'un début de limitation de notre flicage par des concitoyens, l'attitude du gouvernement belge pose problème.
Les ministres belges qui se sont exprimés sur le sujet n'ont pas évoqué ni remis en question l'existence de « patrouilles citoyennes », les stadswachters, reconnaissables à leur blouson mauve. Leur rôle officiel et légal est de dialoguer avec les habitants et les commerçants pour installer un sentiment de sécurité dans les rues. Dans la pratique, ces patrouilles ont des contacts avec la police, qu'elles préviennent lorsqu'il s'agit d'intervenir. Ce qui en fait des extensions policières de l'Etat. Et contribue au phénomène de surveillance de la société et de respect de la norme.
On assiste donc à une multiplication des yeux de l'État, parallèlement à des campagnes de recrutement de policiers et à une augmentation importante des salaires des policiers de Bruxelles, ville où se tiendront désormais les sommets européens. Sans que cela soit remis en cause par les partis.
Si certains parlementaires proposent d'interdire le contrôle citoyen, il s'agit bien entendu des activités de la Ligue et non de celles des stadswachters, bien vus de l'État. Armand De Decker, président du Sénat, avance ainsi une proposition qui « vise à assimiler à une activité de milices interdites, condamnables, des citoyens qui s'organiseraient pour contrôler la police en dehors du cadre légal prévu par la loi à cette fin[[Journal télévisé de la RTBF, 13 décembre 2002.]]. » L'amendement de la loi qui interdit les milices privées, s'il comblerait un vide juridique réel, aurait une conséquence pour le moins fâcheuse : la suppression, entre autres, des legal teams. Ces structures, composées notamment d'étudiants en droit et d'avocats, veillaient activement au respect des droits des manifestants, par exemple, lors du contre-sommet de Laeken en décembre 2001. « Les legal teams ont révélé tout leur intérêt lors de la répression violente qui a suivi le contre-sommet. Leur seule présence a contribué à atténuer les contrôles et les violences des policiers », nous rappelait un des leurs, très inquiet de la tournure des événements.
Montée du blok fasciste
Si l'AEL n'affiche pas ouvertement de sympathies islamistes un courant « laïc » y existe par ailleurs et si elle déclare à qui veut l'entendre qu'elle se distancie du fondamentalisme, ses positions sur l'égalité entre les hommes et les femmes n'en sont pas pour autant plus claires. Dans une interview accordée au quotidien bruxellois Le Soir[[Le Soir du 6 décembre 2002.]], son leader, Abou Jahjah, nie toute appartenance au Hezbollah mais affirme avoir « beaucoup de sympathie » pour ce mouvement. Et cela ne s'arrange pas quand Jahjah déclare que Anvers, « bastion du sionisme en Europe », doit se muer en « Mecque de l'action propalestinienne[[Le Monde du 24 novembre 2002.]] ».
Certains membres de la nombreuse communauté juive de la ville portuaire, déjà sensibles aux thèses du Vlaams Blok, n'en seront que confortés. Libération, rapportant les propos de Nathan Ramet, un des représentants de la communauté, précisait que ces membres voient dans le parti néo-fasciste « le meilleur rempart contre la menace islamique[[Libération du 16 décembre 2002.]] ».
Mais le Blok ne tire pas son actuel succès de quelques soutiens malheureux : il ne fait que conforter celui des dernières élections où il a reçu l'approbation d'un Anversois sur trois... Lors des prochaines législatives, il y a fort à parier sur une nouvelle hausse des voix en faveur du mouvement d'extr ême droite.
De nouvelles patrouilles « flamandes », entendez de « Blancs », viennent tout récemment de compliquer le jeu. Leur but est de surveiller les attroupements et les activités des jeunes. ça sent le contrepoids et le flicage du Vlaams Blok à plein nez. Mais la formation fasciste dément formellement toute paternité. Quand on sait que Anvers est à la fois le bastion du Blok et celui du Parti du travail de Belgique (PTB), d'obédience marxiste-léniniste ; et quand on sait que ce parti d'extrême gauche, partisan multi-récidiviste de la stratégie de la tension[[Le PTB a tenté d'infiltrer la FGTB, syndicat socialiste en 2000 ; a encouragé les troubles très violents lors de la fermeture des Forges de Clabecq en 1996.]], soutient énergiquement la Ligue arabe européenne et a annoncé son intention de s'allier avec elle lors du prochain scrutin, on se dit que les élections du printemps risquent d' être une belle partie de pressions diverses et non démocratiques. Et que, d'ici là, les citoyens anversois vont couler des jours heureux, entre le flicage des uns et le flicage des autres. On en oublierait presque la sûreté de l'État.