Serge Utgé-Royo
Depuis, Ibéricas, suite en quelque sorte des Contrechants composés de chansons traditionnelles, populaires et sociales, de chansons personnelles de la vie d'un fils de « républicains », interprétées, ou réinterprétées en catalan ou en castillan. Un disque, rappelez-vous, précédé de deux spectacles à l'Européen tenus pratiquement à guichet fermé. Puis pour Ibéricas, ensuite, au Divan du monde.
Bref, depuis Cinq cents hivers, avant de passer à ses chansons à lui, Serge Utgé-Royo s'est consacré aux chansons qui avaient, selon lui, marqué l'histoire des combats des hommes et des femmes de plusieurs continents. Serge Utgé-Royo ne se contente pas de reprendre des grands classiques, ou des chansons malheureusement oubliées. Il les fait littéralement renaître, au point que, pour ce qui me concerne, je me trouve souvent incapable de réentendre avec le même plaisir d'autres versions, qui m'apparaissent datées, de simples redites sans trop d'imagination.
Si l'on ajoute, depuis Ibéricas, l'arrivée à la direction musicale de Philippe Leygnac (qui avait commencé progressivement à nous faire revisiter, sur scène, l'ensemble de son répertoire), on comprend qu'une fois satisfait ce besoin, sans doute existentiel, de se ressourcer, ces nouvelles chansons aient pu trouver enfin leur place, dans un nouveau disque. C'est pourquoi, il s'agit, d'un double événement, voire d'un triple événement.
Serge Utgé-Royo est l'homme le plus étonnant de la terre, totalement à l'image des chansons qu'il s'est choisies ; qu'il les aient écrites ou qu'il enrage de ne pas avoir commises lui-même, comme il le dit souvent sur scène, en présentant par exemple, Les Mutins de 1917, de Jacques Debronkart. Poète, il l'est incontestablement, mais pas à tout moment, pour dire tout ce qui se trouve au fond de son cœur, à la rencontre de celles et de ceux qui partagent ou rencontrent ses idées, son idéal et ses combats, pour que ce monde soit moins stupide, moins imbécile et moins arrogant. Pour que ce monde soit pris en main par celles et ceux qui veulent le vivre, libéré de la domination et de l'exploitation, émancipé de la loi du profit et du pouvoir sur l'autre, qui engendre la misère et la violence pour le plus grand nombre des humain sur cette terre.
Serge Utgé-Royo a la mémoire de ces combats. Une mémoire qui dirige chacune de ses pensées, chacun de ses actes, chacun des vers qu'il chante, dit ou interprète, chacune de ses amitiés, chacune de ses fidélités. De sa voix, on a tout dit, mais surtout qu'il en est le seul maître, et que cela donne, à chaque fois, du bonheur à ne plus savoir qu'en faire, sinon le partager, avec une force qu'on ne s'imaginait pas posséder, tellement elle porte son message à lui, avec une si redoutable efficacité.
C'est pourquoi aller voir Serge Utgé-Royo sur scène, même si ce nouveau disque touche si près de la perfection, est indispensable si l'on veut comprendre qu'il est, sinon l'égal, du moins, à sa manière si personnelle, le continuateur d'une tradition, qu'à l'instar de ses grands aînés, il enrichit à son tour. C'est sur scène que les chansons de tous les vrais artistes comme Serge Utgé-Royo peuvent véritablement exister. Comme il le dit à la fin de chacun de ses spectacles : « Allez voir les saltimbanques sur les scènes ou ils chantent » ou il ajoute « Soyez heureux ! » Alors j'ajoute, moi : « Le bonheur sera au Cabaret sauvage, partagé et fraternel. »
Sylvain Briant