Décolonisons l'imaginaire !
Si l'auteur attaque durement la gauche, qu'il considère comme la sœur siamoise du libéralisme - incarné par Adam Smith[[S'appuyant sur l'ouvrage de S. Ewen, Consciences sous influence : publicité et genèse de la société de consommation, Michéa estime qu'« en identifiant la consommation des biens à la liberté politique », la démocratie à l'américaine - modèle dominant actuellement en France comme ailleurs - tombe le masque et apparaît pour ce qu'elle est : « un sous-produit du système marchand ».]] - pour leur culte commun du Progrès et de la Modernité, ce n'est pas par nostalgie de je ne sais quel ordre ancien mais au nom des « exigences mêmes d'un combat cohérent contre l'utopie libérale de la société de classe renforcée qu'elle engendre inévitablement », c'est-à-dire « un type de société où la richesse et le pouvoir indécent des uns ont pour condition majeure l'exploitation et le mépris des autres ». Aussi s'élève-t-il contre leur postulat commun tenant pour « nécessairement émancipateur » les effets d'un progrès « qui ne saurait être discuté puisque c'est la Terre promise qui nous attend » alors que celui-ci, aboutissant à une représentation purement économique du monde - avec pour corollaire cette « envie d'acheter » devenue un mode de vie et une culture à part entière[[Dont l'ouvrage La Richesse des nations représente la première version accomplie.]] -, transforme les individus en « matière utile au lieu d'être eux-mêmes les arbitres de leur destinée ». En dénonçant ainsi le leurre que représente actuellement la gauche pour les classes populaires, il nous invite à opérer une « décolonisation de notre imaginaire » et à réactiver « tout ce qu'il y a eu d'excellent ou tout simplement de raisonnable depuis le xixe siècle dans les multiples critiques socialiste, anarchiste et populiste de la modernité ». Propositions qu'il synthétise en faisant appel à la notion de « common decency »[[« Il s'agit avant tout d'un sentiment intuitif des "choses qui ne doivent pas se faire", non seulement si l'on veut rester digne de sa propre humanité quand les circonstances l'exigent - on songe ici aux portraits de militants anarchistes dans « Hommage à la Catalogne » -, mais plus simplement et peut-être surtout si l'on cherche à maintenir les conditions d'une existence quotidienne véritablement commune. »]] chère à Orwell, gage d'une société « libre, égalitaire et décente ».
Visiblement marqué par ailleurs par Mai 1968, Michéa commet toutefois un contresens en analysant les slogans situationnistes : « Vivre sans temps morts » et « Jouir sans entraves » comme le « droit de tous sur tout », poussant même son raisonnement jusqu'à dire « la guerre de tous contre tout ». Alors qu'il s'agit simplement d'inciter le peuple à s'élever contre l'abrutissement du métro-boulot-dodo et la répression des mœurs, afin de s'épanouir dans sa tête et dans son corps, droit de tous avec tous, et qui reste toujours d'actualité.