La Pensée 58
Mais l'UMP n'est pas le seul groupuscule de masse que cette réforme arrange. Si le PS râle, c'est pour le principe. En coulisse il ne peut que se réjouir d'une réforme qui privera de tribune l'extrême gauche électoraliste, ramènera les écolos à davantage d'humilité, enterrera définitivement un PC déjà moribond. Si on ajoute à cela la méchante culpabilité que nourrit une partie du « peuple de gauche » suite à l'éviction de Jospin, alors on peut être certain que, lors des prochaines échéances, le PS fera le plein de voix. Et cette fois, dès le premier tour. Ainsi, le peuple de gauche sera châtié pour n'avoir pas su bien voter. Le peuple, comme les gamins, c'est pénible : à peine vous lui tournez le dos qu'il en profite pour faire une énorme connerie.
Maintenant, terminé les conneries. Aux prochaines élections se sera soit le roudoudou, soit le bâton de zan. Le petit Mamère chiale, Bayrou-le-fayot fait le gros dos, Besancenot verse une larme, et Gremetz se fâche ? Sales gosses ! Plutôt que de les plaindre, on rappellera leur attitude durant la tragi-comédie de l'élection présidentielle. Pas un qui n'ait eu le courage de ne pas appeler à voter pour celui qui, par cette réforme, signe leur arrêt de mort. Eh, les mômes, vous attendiez quoi ? Que Chirac gouverne à gauche parce que la gauche a voté pour lui (extrait du florilège des non-sens schizophréniques entendus suite au premier tour) ? Qu'il vous envoie des fleurs, nomme à Matignon l'abbé Pierre ? Si il en est un, dans cette affaire, qui fut fidèle à ses principes, c'est bien lui, c'est Chirac. Et je vous dis pas comment ça me ruine l'intestin grêle de devoir écrire ça. Il avait prévenu, pourtant. Restauration il avait dit, de l'État, de son Autorité, etc., etc. Des discours qui sonnaient comme autant de rappels à l'Ordre, Image du Chef, Fonction Sacrée, bref, il avait ressorti toute la vieille quincaillerie gaulliste. Son programme était clair : retour de la pensée 58, contre les idées de 68. Sous les pavés (pris dans la gueule) la rage, et, jusqu'à aujourd'hui, l'intact désir de revanche des tenants de la réaction. De Gaulle, en 58, a inscrit dans le marbre de la Constitution le principe de la dérive autocratique en régime républicain. Chirac usera tout son second mandat à traduire dans les faits et cette dérive totalitaire (servi en cela par Sarkozy, dit « Nicolas le putrescible »), et le retour aux affaires d'une mafia de conservateurs qui n'ont de « néo » que le nom. Bref, un programme haut en couleur, qu'on pourrait appeler sueur et sang, et dont le mot d'ordre serait : il est interdit de m'interdire de faire ce que je veux, c'est moi le patron, oui ou merde ? Un programme mis en œuvre par un type qui, au premier tour, a recueilli moins de 20 % des suffrages...
En tant qu'anarchistes, disent les gens, qu'est-ce que ça peut vous foutre qu'on réforme les scrutins, de toute façon vous votez pas. En tant que végétarien, réponds-je, je ne vois pas pourquoi je me refuserais le droit d'observer le va-et-vient des veaux dans les prés et pâtures, surtout, d'aller voir de plus près ce qui se trame dans les abattoirs. La comparaison est osée ? Au contraire, elle est douce. Quasi euphémique.
Une élection présidentielle dont le second tour exclut, de fait, plus de 60 % des votants s'étant exprimé au premier tour. 37 % d'abstention lors des législatives, record historique battu, et toujours pas un(e) élu(e) pour relever qu'il y aurait comme quelque chose de pourri au royaume du bulletin de vote ? Non, ils, elles, sont content(e)s ; ils, elles, se sont battu(e)s pire que des chiffonniers pour ce bout de tissu tricolore ; ils, elles, réalisent leurs rêves, alors pas question de reconnaître qu'il, elle, ne représente, à vrai dire, quasiment personne. Crise de légitimité de la représentation, a-t-on entendu çà et là. Quelle réponse ? Le bipartisme ! Là, les anarchistes se marrent, mais aussi dressent l'oreille. Parce que le principal effet de cette réforme sera de renforcer l'abstention politique, l'abstention assumée, volontaire, que nous défendons. Parce que ladite crise de légitimité n'en est qu'à ses prémices, que le fossé, déjà bien creusé, séparant les individus de leurs soi-disant représentants, ne peut aller qu'en s'élargissant, d'une élection à l'autre. Parce que le discrédit qui pèse sur les hémicycles et les sangsues qui s'y accrochent nourrit notre désir de voir naître d'autres formes d'organisation politique.
Déjà, les électeurs, les électrices, se désintéressent de scrutins dont l'enjeu se résume à choisir entre deux programmes, à peu de choses près identiques (un des messages majeurs du 21 avril ne fut-il pas que, tout bien pesé, voter pour Jospin revenait à voter pour Chirac ?), guettent les alternatives possibles à ce qu'ils ont identifié comme n'étant qu'une course au pouvoir, une farce dont ils sont à chaque fois les dindons. Aujourd'hui s'élargit l'espace où peuvent prendre place, se développer, s'émanciper, les idées libertaires. Demain, le citoyen, plutôt que de voter pour celui qui veut le faire taire, choisira de garder sa voix pour mieux se faire entendre. Plutôt que de devenir aphone, il parlera, dans les quartiers, dans les villes, dans les entreprises. C'est ce pour quoi nous luttons : pour que chacun ait sont mot, cent mots, mille mots à dire. Et pour ça, pas besoin d'attendre les prochaines élections. Voter c'est accepter de se taire. Alors, quand est-ce qu'on se parle ?
Fred, groupe Louise-Michel