Une Marche pour la recomposition de la gauche
Le mouvement antiglobalisation
Bernard Cassen (toujours président d'Attac) rencontrait, le 20 novembre dernier, Hollande au siège du PS. Le 26 novembre, Harlem Désir (ex-militant de ladite société civile), député PS au parlement européen, rencontrait Suzan George, vice-présidente d'Attac, pour discuter de la taxe Tobbin. Le 28 novembre, il rencontrait Christophe Aguiton (membre d'AC, du DAL, d'Attac, et aussi de la IVe internationale). Emmanuelli, artisan du courant « Le Nouveau monde », gauche du PS (tout un programme !), rencontrait le 2 décembre officiellement un groupe d'Attac des Landes, le 12 décembre Dray et Montebourg rencontraient Bruno Rebelle, directeur de Greenpeace. C'est une opération de charme tous azimuts, de réunions post-électorales, à des rencontres informelles sur l'annulation de la dette.À Florence, Hollande serrait la main de Bernard Cassen et José Bové. Un José Bové défendu unanimement (avec une demande de recours en grâce) par le PS quelques jours après alors que ce dernier était poursuivi en justice sous la législature où ce même PS détenait la majorité. On radicalise les discours : « La mondialisation est aujourd'hui présentée comme un fait. Certes, elle est aujourd'hui un fait. Mais elle est surtout le résultat d'une succession de choix politiques qui n'ont pas été délibérés en connaissance de cause ou qui l'ont été dans le dos des citoyens. [...] Et nous voici pris en otages dans le chantage du capitalisme des actionnaires les plus voraces disposant de la liberté de placer leur capital dans le lieu de la rémunération du travail le plus favorable à la satisfaction des actionnaires... » (Projet nouveau Parti socialiste, 26 octobre 2002) On croit rêver ! S'il y a unanimité au PS, c'est bien sur la récupération, la captation de la mouvance anti-mondialisation. « Il faut créer une coalition arc-en-ciel, un lieu institutionnel de rencontres entre nous, syndicats et associations, comme en Italie et en Espagne, pour mener des campagnes communes ».
Au forum de Florence on dénonce l'idéologie néo-libérale, concept creux car il n'existe pas d'idéologie néo-libérale ! C'est l'idéologie du capitalisme que l'on dénonce depuis tant de décennies. Ce que l'on peut appeler de « néo-libéralisme » tout comme la mondialisation n'est qu'un processus historique donné. Fort heureusement la sauce aura du mal à prendre. Pour preuve, l'éjection des trois anciens ministres PS (Vaillant, Guigou, Royal) qui ont tenté de rejoindre le cortège syndical pour la défense du service public le 26 novembre dernier.
Le Parti communiste français n'est pas non plus en reste. Patrick Braouezec, député maire de Saint-Denis, explique dans l'Humanité très clairement cette politique de rapprochement qui ne fait que cacher une volonté de récupération et d'instrumentalisation. Suite au forum de Florence, il déclare « Des débats entre les mouvements sociaux et les forces politiques ont été inscrits au programme. [...] Rien de durable ni de solide ne pourra se faire sans cette relation constante entre les partis de gauche engagés dans une volonté de changements radicaux et cette forme de démocratie participative que sont les forums sociaux. Chacune des parties prenantes doit le faire en toute autonomie, dans un respect mutuel, mais avec ce même objectif partagé d'arriver à formuler et à appliquer des alternatives au libéralisme économique et aux tournures belliqueuses qu'il prend quand il entre en crise. »
Déclaration à prendre au sérieux quand on sait que le prochain forum social européen se tiendra à l'automne 2003 dans la ville qu'il dirige ! Quant aux Verts, après cinq années de gouvernement, ils et elles vont dans le même sens. Sans rupture profonde avec le PS et son modèle social-démocrate, la motion majoritaire affirme que « c'est dans les luttes de terrain qu'est née l'écologie politique, qu'elle approfondit ses exigences, peaufine ses solutions. [...] Il faut pour cela multiplier nos rapports avec les forces politiques, partis, associations et mouvements qui, à un titre ou un autre, cherchent une alternative au productivisme, au libéralisme, à l'autoritarisme, au racisme, au machisme et à l'homophobie, etc. »
La construction d'un pôle radical à gauche ?
Emmanuelli avait il est vrai, le 21 novembre dernier, une analyse correcte sur la situation de la gauche et ses rapports de forces internes. « Nous sommes convaincus que la gauche doit d'abord recréer les conditions de son propre rassemblement hors de la ligne social-libérale. Ni les communistes, ni les Verts, ni la gauche mouvementiste, pas plus qu'une large fraction de l'électorat socialiste, ne l'accepterait. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons une clarification de cette ligne, préalable à toute tentative de rassemblement de la gauche, parce que notre parti, avec ses qualités et défauts, reste le pivot indispensable de ce futur rassemblement. [...] Si par malheur nous n'y parvenions pas, le risque est grand de voir se constituer sur la gauche de notre parti un pôle de radicalité, vieux rêves des gauchistes, qui couperait la gauche en deux. »
Et il est évident que cette analyse est portée collectivement par la Ligue communiste révolutionnaire qui, du haut de ses 4,32% à la présidentielle, tente de se placer au centre de cette nouvelle alternative.
Lors du meeting contre la guerre en Irak à Paris le 19 novembre, Christian Picquet affirme que « le processus de reconstruction d'une nouvelle force de gauche est urgent ». La LCR joue à plusieurs niveaux : dans un premier temps au niveau des partis institutionnels en écrivant à l'ensemble des partis de gauche, dont les Verts, le PCF et le PS, espérant ainsi récupérer les franges les plus radicales.
Dans un deuxième temps la LCR tente de se placer au centre du mouvement social, d'en être l'expression politique. Car derrière les déclarations de principes d'indépendance des mouvements sociaux, ces mouvements sont de faits des enjeux politiques dans la recomposition de la gauche. « C'est là que nous ferons bouger le rapport de force entre la gauche et nous » analyse Olivier Besancenot. Et effectivement la LCR s'y attache avec une politique d'entrisme, de contrôle de plusieurs organisations (conseil d'administration d'Attac, AC, les Suds, etc.), par une présence de plus en plus remarquée lors des différents sommets et rencontres internationales (lors du dernier sommet de Florence, près de 15 000 numéros de Rouge en trois langues ont été distribués).
Un affrontement où nous n'avons rien à gagner
La LCR porte en son sein les contradictions du trotskisme. Une tendance réformiste qui s'était fortement exprimée lors de son dernier congrès autour du changement de nom. Les noms souhaités, espérés étant Mouvement des radicaux de gauche, gauche démocratique et révolutionnaire...
Cette tendance s'exprime aussi dans les organisations de l'ex-gauche plurielle avec les refondateurs du PCF ou le courant de la gauche socialiste du PS, dont nombre de cadre sont issus de la LCR. Un des derniers transfuges est celui de Gérard Filoche qui après avoir été trente ans à la Ligue a rejoint ce courant et a pris des galons très rapidement en en devenant le porte-parole dans le débat sur les 35 heures.
Un autre courant de la LCR fait son pari sur la « société civile » et sur les mouvements sociaux. L'outil classique est celui de l'entrisme dans un objectif de « radicaliser les minorités combattives » ou d'adopter la tactique du « front unique » visant à mettre les réformistes au pied du mur.
Mais dans tous les cas quelque soit la phraséologie adoptée, dans les différentes stratégies de la LCR ou de la gauche plurielle, le point commun est le changement de champ : du champ social et de l'affrontement social à la scène politique, et à la conquête du pouvoir politique. Hollande, en s'adressant à la presse, s'exprimait très bien sur ce sujet à Florence « Le rôle des mouvements sociaux, des syndicats et des formations politiques est de porter un certain nombre de revendications qui naissent ici et de leur donner une traduction concrète au niveau gouvernemental. »
Notre stratégie doit être claire et différente. Conscient(e)s et favorables à l'émergence d'un mouvement social, notre volonté est certes de vouloir politiser, globaliser et fédérer les luttes. Mais ce qui nous distingue de l'ensemble de la gauche, c'est notre position au sein de ce mouvement. Minorité agissante, nous débattons, proposons, confrontons nos analyses afin de favoriser une vision globale anticapitaliste, de favoriser l'auto-organisation, et que se produisent des ruptures.
Nous restons une minorité agissante sans perspective d'instrumentaliser ou de manœuvrer les mouvements sociaux. Nul doute qu'un des enjeux pour nous, lors des mobilisations autour du sommet du G8 ou du prochain forum social européen, est bien de mettre en évidence l'impasse stratégique des différentes gauches et d'affirmer la nécessité d'indépendance du mouvement social.
Théo Simon