Informations brèves et décousues sur les migrations
Mais dans quel monde vivons-nous ?
« Au moins deux étrangers soignés en Guyane se seraient inoculés le virus du sida, il y a plusieurs années, dans le but d'obtenir un titre de séjour… La loi prévoit, pour les étrangers dont la maladie ne peut être prise en charge dans leur pays d'origine, la délivrance d'un titre renouvelable de séjour pour soins. Ce statut leur donne également accès à la couverture maladie universelle (CMU). »[[Le Monde du 3 novembre 2002.]]
Ainsi, dans l'esprit de ces personnes, l'enfer de la maladie dans un pays développé (ou une de ses dernières colonies) vaut mieux que de vivre sans perspectives dans le pays d'origine. Peut-être y a-t-il aussi une sous-information sur les dangers de cette maladie qui tue à petit feu ?
Mais tout ceci est révoltant : révoltant bien sûr contre la bêtise de ces deux hommes, mais révoltant aussi contre l'égoïsme des pays dits développés qui ferment leurs frontières aux ressortissants du Sud et les poussent ainsi à expérimenter toute sorte de moyens pour s'introduire vers ce qu'ils pensent être un eldorado (idée d'eldorado que nos médias entretiennent, au moins dans la publicité et les fictions télé).
Ainsi, un jour il y a quelques années, ce sont deux jeunes Africains de 11 et 12 ans qui périrent gelés alors qu'ils s'étaient introduits dans le train d'atterrissage d'un avion venant vers la France. Ce sont des milliers de candidats qui meurent noyés dans les mers bordant l'Europe ou asphyxiés dans des containers ou des camions.
Révoltant tout ceci: l'Europe n'est pas l'eldorado promis. Mais les mesures coercitives aux frontières mises en place pour empêcher l'afflux d'étrangers conduisent surtout à ce genre de paris insensés. Il faut donc trouver d'autres réponses, qui consisteraient à lutter d'urgence et de front contre les inégalités intra-européennes et les inégalités Nord-Sud.
Car tout aussi révoltant est de voir encore des sans-papiers « résider » sous des abris de fortune devant la Préfecture de Nantes ou des sans-abris passer la nuit dehors un peu partout.
Italie : une régularisation qui cache la répression
Cette régularisation annoncée comme « massive » est orchestrée par des leaders d'extrême-droite (Giancarlo Fini, l'homme qui a recyclé et rendu « fréquentables » les néo-fascistes italiens et Umberto Bossi, chef de la Ligue lombarde, organisation connue pour sa xénophobie, y compris à l'égard des Italiens du sud).
Depuis l'appel à la régularisation de sans-papiers en septembre, ce sont près de 700'000 demandes ont été déposées dans les préfectures italiennes[[Ouest-France, 19 novembre 2002]].
Cette régularisation est liée à la présentation d'un contrat de travail, qui donne accès au « contrat de séjour ». Ainsi, la loi Bossi-Fini durcit les conditions d'accueil et de séjour des étrangers en Italie. Cela contribuera à créer un marché du travail encore plus éclaté, avec une main d'œuvre étrangère légale, mais taillable et corvéable à merci, car le séjour est lié au travail et la perte du travail signifie des difficultés au moment de l'échéance du titre de séjour. Il n'y a pas vraiment rupture avec le système du travail clandestin, qui laisse les travailleurs sans droit face à leur « employeur ». Inutile de dire que la Confindustria, principale organisation patronale, soutient cette initiative depuis le début. Elle considère d'ailleurs que la main d'œuvre étrangère est insuffisante pour répondre aux besoins du pays.
Les protestations ne manquent pas, et notamment de la part du syndicat italien CGIL qui affirme : « Le contrat de séjour introduit une différence de traitement entre les salariés italiens et ceux d'origine extracommunautaire. Cela va à l'encontre de la Convention des droits fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT) »[[Le Monde initiatives, novembre 2002]].
Le durcissement est patent également dans le reste des mesures qui rendent les conditions d'expulsion plus sévères: le temps de rétention passe ainsi de quinze jours à deux mois, et il devient possible d'y retenir des demandeurs d'asile. Outre le rallongement de la rétention, la loi Bossi-Fini prévoit aussi une procédure d'expulsion d'urgence.
Si lors d'un contrôle, la police interpelle un sans-papiers, il sera présenté sous quarante-huit heures à un magistrat qui devra donner son feu vert à l'expulsion.
« Pas de ça chez moi ! »
Quelques faits récents en agglomérations nantaise ou rennaise semblent mettre en évidence une intolérance de plus en plus forte et assumée à l'encontre de populations fragilisées [[Articles de la presse quotidienne régionale (Ouest-France et Presse-Océan)]]. Un Cada (Centre d'accueil de demandeurs d'asile) s'ouvre près de Rennes : lever de boucliers dans la population. Un terrain se dégage pour l'accueil des gens du voyage dans des communes limitrophes de Nantes: ça pétitionne et ça crie à l'absence de concertation. Une annexe d'hôpital psychiatrique s'ouvre dans la banlieue sud de Nantes : une association de défense se mobilise. Idem pour la future maison d'arrêt, et pas pour quelque idée de rejet du principe carcéral. Idem pour la prostitution, et pas par critique du pouvoir masculin.
Évidemment, tout le monde n'est pas sur ces positions. Mais il semble que les plus bruyants sont les lobbies du « pas de ça chez moi », version « citoyenne » du corporatisme qui sévit dans le monde du travail. Dans les deux cas, il faut indiquer les ravages du libéralisme et des idéologies du mérite individuel: « alors qu'on s'est durement battu pour acquérir une place dans la société et une certaine aisance matérielle qui va avec, pourquoi ferait-on un effort pour des gens qui ne se donnent pas la peine? Et qu'est-ce que ça nous apporte? » (« la fourmi n'est point prêteuse », écrivait déjà Jean de La Fontaine).
Serait-ce que les personnes naguère attachées aux droits humains, aux mélanges de populations (ailleurs que dans des prisons), à l'interculturalité, seraient rentrées dans les rangs de la « majorité silencieuse » et que le « terrorisme intellectuel », naguère prêté aux « gens de gauche », serait désormais dans le camp de l'ordre moral et du libéralisme ?
Par exemple, émettez des objections contre la vidéosurveillance ou certains points parmi les plus scandaleux des lois Vaillant et Sarkozy (comme la pénalisation des regroupements dans les halls d'immeubles qui vise clairement les jeunes des cités), vous voilà traité de salauds, complices de ces « sauvageons » qui « terrorisent nos cités ».
Ne pas se résigner, faire vivre les solidarités
La seule notion de liberté et de droits est insuffisante pour amener ces gens à se remettre en question : ils sauront toujours rétorquer, exemple à l'appui, qu'il y a d'autres personnes qui abusent de ces libertés (mais ce sont toujours les autres).
Pour espérer changer quelque chose, il faut une articulation entre liberté et égalité, dans le discours et dans les actes. Car c'est l'idée d'égalité qui permet un minimum d'identification à autrui, à concevoir que ses problèmes pourraient être les miens. Si le concept d'égalité fonctionne encore (un peu) dans des milieux assez homogènes (une entreprise, un quartier, une région), il est beaucoup plus difficile de faire vivre ce concept quand des populations hétérogènes sont en jeu.
C'est ça qu'il faut réussir: nous trouver quelque chose de commun à défendre entre des personnes qui ont en commun d'appartenir à l'humanité. L'inverse serait de dire qu'il y a des gens qui méritent le statut d'humanité et d'autres qui ne le mériteraient pas et qui, de fait, aujourd'hui sont exclus réellement en tant qu'êtres humains (voir par exemple l'indignité des conditions de vie des sans-papiers).
L'hétérogénéité de nos situations et de nos origines ne justifie en aucun cas une quelconque inégalité, ni une quelconque privation de liberté. Comme écrivait un certain Bakounine: « Je ne suis humain et libre moi-même qu'autant que je reconnais la liberté et l'humanité de tous les humains qui m'entourent. Ce n'est qu'en respectant leur caractère humain que je respecte le mien propre. »
par Hervé, groupe FA de Nantes