« Nouvelles en trois lignes » Félix Fénéon
Les Nouvelles en trois lignes sont en quelque sorte un exercice de style. Il s'agit en effet de rendre compte on ne peut plus brièvement d'un fait divers. L'amateur de littérature dégustera à son rythme. En soi, il n'est pas forcément intéressant aujourd'hui de lire d'un seul trait une liste, fort longue, de faits divers datant de 1906· Pourtant, dans cette collection, on trouve bien plus que de simples et brèves descriptions. C'est probablement l'ironie qui coule le plus souvent - mais toujours sobrement - de la plume de Fénéon. Il semble tout observer avec distance mais paraît trouver que toute occasion est bonne pour décrier la gente militaire, parfois aussi les pauvres hères abusant de la boisson. Bien sér, il est parfois utile de connaître auparavant le contexte historique pour apprécier la nouvelle mais ne peut-on trouver plaisant de lire (p. 65) :
La cour de Nancy a condamné à quinze jours de prison et 200 francs M. Gosse, curé de Bennay, qui outragea le percepteur, à l'inventaire.
Il rend compte aussi d'ambiances aujourd'hui oubliées :
Les femmes rouges d'Hennebont ont saccagé les vivres qu'apportaient aux ouvriers rentrés aux forges les femmes jaunes.
En effet, Fénéon rapporte régulièrement des faits sociaux et pas seulement des accidents de tramway, des suicides plus ou moins ratés, des drames de la jalousie, les catastrophes naturelles. Il reste que son point de vue est celui d'un anarchiste pour qui les faits divers sont les symptômes d'une société malade.
Les textes courts, quant à eux, abordent aussi des faits divers. La contrainte d'espace n'étant plus la même, le style se fait plus persifleur. Citons ici l'un des plus courts :
On vient de capturer quelques cambrioleurs de la bande des Ternes : Lagusse dit Philippe-Auguste, Édouard Girod, Jean Serre, Béchard dit Petit-Louis. Notre bonne foi nous force à reconnaître que ces noms ne figurent pas à l'annuaire militaire pour 1892. (24 janvier 1892).
Les fidèles lecteurs de la « Petite semaine » de notre hebdomadaire se proccureront sans tarder ce recueil. Ils y reconnaitront dans nombre de textes une parenté stylistique.
Félix Fénéon n'avait pas que des qualités. Il s'imaginait - comme quelques autres anarchistes de l'époque - que « personne n'est innocent ». La sentence est cruelle, stupide, et fut parfois mortelle. Impliqué (probablement) dans l'attentat du restaurant Foyot en 1894, il comparut lors du procès des Trente. On peut constater dans les extraits de son interrogatoire que l'ironie peut aussi bien être portée par la langue de bois, malheureusement.