À qui profite la crise ?
La crise semble donc tomber à pic pour dissuader les salariés de demander leur dû. On en va pas refaire ici l'historique de la crise apparue dans le milieu des années 70, mais rappelons simplement que ce phénomène marquait, avant tout, la fin d’un modèle de croissance forte, dans les vieux pays industrialisés, et une accélération sans précédent de la mondialisation des échanges et de la production ! Ce ralentissement de la croissance était en effet tout relatif, car les taux de croissance des «Nouveaux pays industrialisés» (Les «NPI» d’Asie du sud-est entre autres) grimpaient à 8,10, 12%, et ce dès le début des années soixante ! En fait, le système productif et financier capitaliste se réorganisait à l'échelle planétaire.
Relevons aussi que, dans nos contrées, les taux de 2% ne signifièrent pas un arrêt de l’accumulation des richesses, bien au contraire ! En réalité, comme l’affirme, dans un récent dossier, le toujours très capitaliste journal Les Échos, «jamais le volume des richesses créées depuis le premier choc pétrolier, en 1973, n’a été aussi élevé. Le PIB de la plupart des pays du monde, mesuré en dollars constant, s’est autant accru de 1973 à nos jours qu’au cours des Trente Glorieuses (la période allant de 1945 à 1975)». C’est donc une vérité reconnue même par nos ennemis de classe : s’il y a mutation, il n’y a jamais eu crise du profit ! La production globale des richesses au niveau planétaire a toujours été largement suffisante pour assurer à chaque individu une vie non seulement décente mais confortable ! Cela dit, il est clair que les fameuses «turbulences» cyclonesques du capitalisme n’ont pas les mêmes conséquences pour tous. Comme dirait Coluche, la misère a bizarrement tendance à s’acharner sur les pauvres, que ce soit en Russie ou en Asie, en Afrique ou en Europe, en Amérique latine ou aux États-Unis ! Une redistribution mondiale des cartes ?
À partir de ces considérations, on peut se demander si le «séisme» actuel – qui bien évidemment n’a rien d’une catastrophe naturelle ! – ne serait pas le (premier ?) signe d’une nouvelle phase de mutation, encore plus profonde du système capitaliste ? Bien malin celui ou celle qui pourrait, aujourd'hui, faire des affirmations dans ce domaine. Mais que voyons-nous ? Partout, la déréglementation sociale fait rage, partout les États privatisent les services publics. Dans de très nombreux secteurs économiques (les banques, les assurances, les télécommunications, les industries pharmaceutiques, les industries d’armements) de vastes opérations de regroupements ont lieux. La guerre économique, plus que jamais mondiale, impose aux bourgeoisies de créer de nouvelles machines de combat : c’est d’ailleurs dans cette optique que doit s’analyser la construction européenne.
Dans cet affrontement continu entre firmes multi et transnationales, on ne peut s'étonner que tout devienne possible. Dans ce monde merveilleux où s’impose la Loi du Capital-killer, les cartes peuvent, à tout instant, être redistribuées (d’ailleurs, les États-Unis n’ont-ils pas créé en avril un nouveau groupe des 22 réunissant au G7, 15 pays «émergeants» choisis par Washington !). Des places fortes, industrielles et/ou financières peuvent péricliter et être remplacées par d’autres. C’est ce qui se passe dans la zone asiatique. Le Japon, véritable symbole jusqu'à nos jours de la compétitivité absolue et triomphante, peut tout à fait rentrer dans une phase de régression durable, et s’effondrer (sur les 12 derniers mois, la production industrielle japonaise à reculé de presque 10%). Cette zone économique où régnait Hong Kong et la bourgeoisie japonaise peut fort bien être dépassée par ses concurrents ; les changements de direction des mouvements de capitaux se traduisant alors par le type de krach boursier actuel. Comme on le voit, la crise n’est pas désordre, elle est réorganisation, elle n’est pas synonyme de difficultés du système mais d’adaptation de celui-ci pour un accroissement des profits !
Moralité ? Seule l’internationale fera le printemps !
Que pouvons-nous retenir de tout cela ? Déjà, que la menace d’une crise mondiale sera, une fois de plus, largement utilisée par les classes dominantes, pour renforcer le sentiment d’insécurité des salariés, en agitant sous notre nez la menace de la «crise-cyclone international-qui-nous-balayera-si-nous-ne-sommes-assez-compétitifs-et-concurrentiels», etc.
On voudrait donc nous persuader que nous n’avons pas le choix. Nous devrions accepter de nous serrer la ceinture, de travailler mieux et plus vite ! «Privatiser ou mourir» est devenu le leitmotiv des gérants du pouvoir. Après France Télécom, c’est EDF-GDF qui doit passer à la casserole (pour l’ouverture à la concurrence en février 1999). La menace de la crise, encore, pour dissuader les mouvements de grève et discréditer ceux qui oseraient mettre en danger de croissance zéro notre pauvre PIB moribond !
Mais, si l’on veut bien trouver quelque aspect positif dans cette affaire, il faut voir que le contexte nous aide, de fait, à affirmer qu’aucune solution ne peut se trouver dans le cadre étroit d’une nation ! Même si nombre de personnes feignent d’ignorer ce qui se passe à l'étranger (en se repliant frileusement sur leur quotidien), chacun se rend bien compte que l’on ne peut rien gagner si l’on se bat uniquement à l'échelon local. Nous sommes contraints et forcés de lutter sur un plan mondial, qu’on le veuille ou non !
Cependant, cette prise de conscience et surtout sa mise en pratique, sont laborieuses ! Si des mouvements sociaux «transfrontaliers» au niveau de l’Union européenne commencent tout juste à s'ébaucher, en restant très symboliques (voir récemment le mouvement des routiers et plus anciennement celui des Vilvorde, ou la mobilisation des travailleurs de l'Énergie, etc.), nous sommes encore loin d’avoir les moyens de nos ambitions syndicales et/ou politiques. Une vaste organisation de travailleurs, capable de coordonner efficacement les luttes au-delà des frontières, ne semble pas prête de naître dès demain !
Mais concrètement, et c’est bien notre rôle, nous pouvons intégrer aux luttes, menées ici, des revendications basées sur le principe de la solidarité internationale. Comment ? En dénonçant les délocalisations et les politiques d’exploitation menées par les firmes françaises, en Chine, en Amérique latine ou ailleurs, en organisant des boycotts de la production des firmes en question ! Nous pouvons, par des échanges directs, et bien sûr à la mesure de nos moyens, renforcer des liens de solidarité (de classes), faire connaître des expériences originales, organiser des échanges réguliers d’information, ; et exiger la régularisation de tous les sans-papiers, etc. ! Il y a mille choses à faire pour l’individu qui ne veut pas se résigner !
Régis
groupe Kronstadt (Lyon)