Quand le foot business aggrave la spéculation et exproprie des paysans
mis en ligne le 28 juin 2012
Les dirigeants de l’Olympique lyonnais rêvent d’un grand stade pour l’Euro 2016. Un chantier pharaonique qui implique l’expropriation d’une trentaine d’agriculteurs, et près de 400 millions d’euros de dépenses publiques, selon les opposants au projet. Malgré les suspicions d’entente illicite et autres spéculations immobilières douteuses, le géant du BTP Vinci est sur les rangs pour lancer le chantier. Associations locales et paysans multiplient recours juridiques, actions non-violentes et occupation des terres. Enquête au pays du foot-business.« OL Land », le futur paradis du football ? Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique lyonnais, en rêve depuis 2007 : un nouveau stade de 60 000 places, un centre d’entraînement, les bureaux du siège de l’OL Groupe, une boutique OL Stade, 7 000 places de stationnement, 8 000 mètres carrés d’immeubles de bureaux, deux hôtels de luxe… Le tout à 15 kilomètres du centre de Lyon. Un projet pharaonique en vue de l’Euro 2016, qui nécessitera de nouvelles infrastructures routières et de transports en commun.
Jean-Michel Aulas avait promis de bâtir l’OL Land « sur fonds entièrement privés », pour 450 millions d’euros. Pour le moment, aucun engin n’a encore pointé le bout de sa pelleteuse sur le site du Montout, sur la commune de Décines-Charpieu (à l’est de Lyon) choisi pour accueillir le complexe sportif. L’OL Groupe n’est toujours pas parvenu à boucler son plan de financement. Pourtant, la communauté urbaine de Lyon continue d’annoncer la livraison du stade des Lumières pour 2014.
Un stade d’« intérêt général » ?
Jean-Michel Aulas pensait son succès assuré grâce au naming, c’est-à-dire la possibilité pour une entreprise de donner son nom au stade, en contrepartie du versement d’une forte somme – ici, 100 à 150 millions d’euros sur quinze ans. Mais la marque tant attendue tarde à se faire connaître. En juillet 2011, l’OL Groupe annonce avoir sélectionné Vinci pour construire son grand stade. Outre un contrat de maîtrise d’ouvrage, le géant du BTP devrait prendre des parts dans la Foncière du Montout. Jean-Michel Aulas avance le chiffre de 100 millions d’euros. Mais un recours déposé contre le permis de construire, le 3 avril dernier, par l’avocat et conseiller régional (EELV) Étienne Tête a fait reculer Vinci sur ses engagements. Celui-ci demande un délai supplémentaire pour réexaminer la situation.
C’est sans compter la résistance des associations locales et de désobéissants qui, depuis le 10 avril, occupent aussi un champ à Décines-Charpieu (Rhône) – là où doit passer la route vers « OL Land ». Leur objectif : défendre la trentaine d’agriculteurs menacés d’expropriation. Car ce projet démesuré implique la disparition de dizaines d’hectares de terres agricoles fertiles. Les engagements de l’agglomération en faveur de l’agriculture périurbaine ne semblent pas faire le poids face au football-business.
Agriculteurs spoliés
Philippe Layat, céréalier, est directement menacé par cette opération. « Ils me prennent 9 hectares à trois endroits, à un euro le mètre carré », explique-t-il à l’entrée de sa maison, dont le portail est recouvert de pancartes de protestation. Sur la commune, un terrain à bâtir vaut 400 à 500 fois plus. « Ce n’est pas pas qu’une question d’argent. Spolier les gens de cette manière, c’est lamentable. »
Roulant sa cigarette, il détaille les recommandés qui se succèdent. Et confie son sentiment d’être persécuté de toutes parts. « Depuis que Chantal Jouanno [alors ministre des Sports] a signé la déclaration d’intérêt général du stade en 2011, c’est foutu », s’énerve t-il. Partagé entre résignation et attachement à une terre sur laquelle sa famille est installée depuis quatre siècles, Philippe a fini par accepter l’occupation de son champs par les résistants au projet. « Même si la cohabitation n’est pas toujours facile, ils sont là pour me défendre. »
Sur le front juridique, le recours déposé par Étienne Tête est loin d’être unique. 35 autres recours touchant de près ou de loin le futur stade de l’OL doivent être examinés. Étienne Tête a entamé un véritable marathon judiciaire contre l’OL Groupe. Alors qu’une dizaine de propriétaires contestent leur expropriation au prix d’un euro le mètre carré, il a notamment déposé une question prioritaire de constitutionnalité sur le code de l’expropriation. Des obstacles administratifs qui font reculer d’autant le début des travaux. La justice administrative devra également étudier le recours concernant la déclaration d’intérêt général. « Trois matchs de l’Euro 2016, quelques milliers de spectateurs pour des matchs de foot ne méritent pas l’intérêt général », ironise l’association locale Carton rouge.
Un point de vue partagé par les commissaires de l’enquête publique de 2010, qui soulignent l’« absence quasi totale d’utilité » des infrastructures pour les habitants et les travailleurs des communes concernées. La commission d’enquête juge « totalement inacceptable que des kilomètres de voiries, pas moins de quatre ouvrages d’art, des milliers de places de parking et deux stationnements de tramway, financés par l’argent public, ne servent que huit jours par an, en temps cumulé et au seul profit du groupe privé qui exploitera le stade ». Des fonds publics sont engagés pour financer les voies d’accès au stade. Gérard Collomb, sénateur et maire socialiste de Lyon, a promis que le projet ne coûterait pas plus de 200 millions d’euros à la collectivité. L’association Carton rouge estime qu’au moins le double sera nécessaire.
Entente et spéculations immobilières
Autre point sensible : l’accord tacite, entre l’OL Groupe et le Grand Lyon, présidé par Gérard Collomb, sénateur maire PS de Lyon, sur la vente des terrains du futur stade. Une affaire révélée par le magazine Lyon Capitale en mars 2012, qui redonne du grain à moudre aux opposants : dès 2006, et avant l’annonce officielle du projet d’OL Land, le Grand Lyon achète des terrains à des agriculteurs sur le Montout, à un prix dérisoire compris entre 7 et 14 euros le m2. En avril 2011, le Grand Lyon cède 30 hectares à l’OL, au prix de 40 euros le mètre carré. Quelques mois seulement après la vente, fin 2011, le conseil communautaire du Grand Lyon fait approuver la révision du plan local d’urbanisme, qui fait grimper le prix du mètre carré à 300 euros !
La Foncière du Montout, propriétaire des terrains et dont l’OL est actionnaire majoritaire, vaudrait maintenant 200 millions d’euros pour des terrains acquis 22 millions d’euros. L’opération immobilière a permis à l’OL de gagner au minimum 180 millions d’euros... Faut-il s’en étonner quand, dans le montage financier du projet, les plus-values immobilières sont l’un des modes de financement du stade ? La fédération d’associations s’opposant au Grand Stade, les Gones pour Gerland, demande le jugement de « ces actes délibérés d’entente illicite, d’abus de pouvoir, de détournement de biens publics, ou encore de favoritisme et recel de favoritisme ».
Occupation non-violente contre foot-business
Près de 4 000 habitants de Décines-Charpieu – soit 20 % des électeurs – ont demandé en janvier un « référendum » sur l’implantation du stade dans la commune. Le maire se voit obligé d’inscrire le sujet à l’ordre du jour du conseil municipal, le 9 février. Mais refuse finalement d’ouvrir la consultation.
Du côté du PS national, c’est le silence radio, malgré les différents courriers de relance des associations locales. Les sections locales PS de Bordeaux et de Nice sont pourtant vent debout contre les projets de stade portés par les maires UMP de ces deux villes. Les élus locaux semblent découvrir les nuisances que générerait le projet OL Land, alors que les commissaires enquêteurs émettent de nombreuses réserves depuis des années. « La décision de construire un stade de 60 000 places, sans transports en commun efficaces, en sacrifiant une centaine d’hectares de terres agricoles, va à l’encontre de tous les objectifs affichés par le Grand Lyon », écrivent notamment les commissaires dans l’enquête publique de 2010.
Malgré les fortes pluies depuis l’installation du camp, les militants de la « Zone à défendre » anti-OL Land demeurent déterminés. Au centre du camp, une yourte a été installée « sur le tracé de la route prévu pour rejoindre l’OL Land », précise Baptiste. Un tipi surplombé par un mât symbolisant la paix, entouré de tentes, comme des remparts ; à quelques pas, des toilettes sèches, une serre et une cuisine faite de palettes côtoient la forêt de résineux. En contrebas de la butte, des moutons paissent tranquillement, sans se soucier des nouveaux habitants. « Avec notre campement, on veut encourager un certain art de vivre », explique Dawan. Au programme : potager, écoconstruction, ateliers, débats, théâtre, cirque, musique, actions militantes… « Avec de l’organisation, on arrive à tout. On vient de monter une serre et on va pouvoir récupérer de l’eau », explique le militant.
Mobilisation contre les « grands projets inutiles »
Georges, un syndicaliste à la retraite aujourd’hui membre de l’association Carton rouge, vient prendre des nouvelles du groupe. Et de Sophie, qui quelques jours plus tôt, a participé à une action de blocage d’un autocar affrété par Jean-Michel Aulas pour une visite du chantier à venir. « Après avoir été violemment poussée par deux flics contre une voiture, je me retrouve avec deux entorses cervicales, une contorsion à l’épaule, quatre jours d’ITT, six jours de minerve », explique-t-elle. « On ne peut pas accepter cette violence à l’encontre de ces jeunes qui luttent contre un projet de prestige qui n’a rien à voir avec le sport, sinon le business », s’énerve Georges. Il apporte un sac rempli de vêtements, donnés par une voisine. Nombreux sont les riverains qui viennent faire des dons. « Normalement, on vit des récupérations des poubelles ou des supermarchés, mais ici plus de raison de le faire, car la solidarité nous fait vivre », précise Baptiste.
En cette fin du mois de mai, on retrouve autour de la yourte des militants de la Confédération paysanne, d’Attac, des Amis de la Terre, de Reclaim the fields, des faucheurs… « Le stade, c’est une lutte locale mais qui s’inscrit dans une lutte internationale, explique Sophie. Et le lien de toutes ces luttes, c’est la terre. » Un week-end est prévu les 30 juin et 1er juillet pour créer des passerelles avec d’autres combats. Cette mobilisation sera suivie par un forum européen contre les grands projets inutiles, à Notre-Dame-des-Landes, du 7 au 11 juillet. Derrière les projets d’OL Land, d’aéroport à Notre-Dames-des Landes, de grand stade de rugby ou de ligne TGV Lyon-Turin, on retrouve la même multinationale française : Vinci. « Plus on sera nombreux, plus on représentera un gros grain de sable dans la machine », veut croire Dawan. Dans le cas de l’OL Land, les travaux ont déjà pris des années de retard. « Si le stade n’est pas prêt pour l’Euro 2016, prédit l’association Carton rouge, il ne sera plus d’intérêt général, donc les routes ne seront plus nécessaires, et le château de cartes s’écroule. »
Sophie Chapelle
www.bastamag.net