Sortir du nucléaire… avant un nouveau Fukushima
mis en ligne le 31 mars 2011
Voilà, c’est fait. Depuis près de vingt-cinq ans, nous, les antinucléaires, affirmions qu’il fallait fermer les centrales « avant qu’un nouveau Tchernobyl ne se produise ». Il a donc eu lieu et il s’appelle Fukushima. Depuis le 26 avril 1986, il nous a été continuellement dit que Tchernobyl était « une catastrophe soviétique » et qu’un tel drame ne pouvait se produire dans un de ces pays à si belle technologie nucléaire, comme les États-Unis, la France, le Japon. Le Japon, pays du Soleil levant et des cataclysmes atomiques : Hiroshima, Nagasaki, Fukushima.Nous avons tant et tant été accusés d’être « des catastrophistes », de « jouer avec les peurs », de n’avoir « aucune compétence » pour se prononcer sur ce sujet. C’est pourtant nous qui avons « gagné » : désormais, le 11 mars rime avec le 26 avril, et nous aurons donc tous les ans deux dates rapprochées pour manifester contre le nucléaire. Avec la rage de n’avoir pas été entendus. Et pourtant, nous avons tant crié.
Et pourtant, il suffisait de regarder la simple réalité pour deviner ce qui allait se produire. Ainsi, le 16 juillet 2007, un séisme de grande ampleur frappait le Japon et mettait à mal la plus grande centrale nucléaire du monde, celle de Kashiwasaki. Fuite radioactive, début d’incendie, déjà. À cette occasion, les mouvements de sol avaient été jusqu’à trois fois plus rapides que le maximum calculé par les ingénieurs du nucléaire.
Mais voilà : au lieu de dire « tous nos calculs sont faux, nos centrales ne sont pas dimensionnées pour résister aux séismes, fermons-les vite », ils ont dit « vous avez vu, même avec des mouvements de sol trois fois trop rapides, ça n’a pas explosé. Nos centrales sont donc encore plus résistantes que nous le pensions ». Inconscience, vanité, aveuglement.
Trois ans après, l’inévitable s’est produit. À l’heure où nous écrivons, quatre réacteurs sont en perdition. À l’heure où vous lisez ces lignes, il y a peut-être quatre Tchernobyl. Ou quatre Fukushima, on a le choix désormais. D’ores et déjà, d’immenses quantités de radioactivité se sont échappées de la centrale, atteignant Tokyo et ses 30 millions d’habitants.
À l’heure où nous écrivons, le monde entier retient son souffle, annule la plupart des projets de centrales nucléaires et accélère la fermeture des réacteurs déjà existants. Le monde entier ? Non ! Un petit village résiste encore. Ce village, c’est la France. Dès le 11 mars, les pronucléaires sont montés au créneau – c’est-à-dire sur les plateaux de télévision – pour empêcher que le drame de Fukushima ne remette en cause le nucléaire français.
Heureusement, il n’y a pas que des pronucléaires en France. Il y a aussi des « écologistes » (avec guillemets), à ne pas confondre avec les vrais (sans guillemets). Les « écologistes » ont pris note de la catastrophe de Fukushima et se sont lancés à corps perdu dans la bataille.
C’est Nicolas Hulot qui a dégainé le premier. L’éternel indécis a franchi le Rubicon : pour la première fois, il a osé demander la sortie du nucléaire. Mais en précisant immédiatement qu’il ne pouvait s’agir que d’un objectif extrêmement lointain. Ouf !
Second « écologiste » à intervenir, inévitablement, Yann Arthus-Bertrand. L’« hélicologiste » a signé, avec quelques acolytes, une lettre ouverte à M. Sarkozy pour demander… un grand débat sur l’énergie. Areva et EDF en tremblent de peur.
Quant à Daniel Cohn-Bendit, il exige un référendum. Pas la sortie du nucléaire, pas la fermeture immédiate des plus vieux réacteurs (comme en Allemagne où sept ont été arrêtés d’un coup). Non, juste un bon vieux référendum.
Or, si ce projet voyait le jour, c’est le gouvernement pronucléaire qui rédigerait la question, divisant sans peine les voix des opposants à l’atome : proposez une sortie du nucléaire en dix ans, et vous perdrez ceux qui trouve ça trop rapide. En vingt ou trente ans et ce sont alors les plus radicaux qui s’abstiendront. Un jeu d’enfant pour le pouvoir.
D’autre part, il est certain que la campagne officielle, et donc l’accès aux médias, seraient biaisés : on a pu constater lors de précédents référendums que, en toute légalité, ce sont les partis politiques dominants qui se voient attribuer la quasi-totalité du temps d’antenne. Or le PS, l’UMP, le Nouveau Centre, le Modem, le Front national, le PCF sont tous pronucléaires.
On le voit, notre démocratie est bien malade, et nos chères centrales semblent avoir encore de l’avenir… jusqu’à ce que l’une d’entre elles explose.
Pourtant, le nucléaire ne couvre que 2 % de la consommation mondiale d’énergie, contre 15 % pour les énergies renouvelables : leur part est donc, contrairement à une idée fausse largement répandue en France, nettement plus élevée que celle du nucléaire. À titre d’exemple, l’hydroélectricité produit sur Terre environ 3 300 TWh annuels, contre 2 600 pour les 430 réacteurs nucléaires en service. Finalement, le nucléaire représente un risque extrême pour une contribution infime à l’économie planétaire.
L’essentiel du parc nucléaire français a été construit à marche forcée en moins de dix ans, il est donc possible de faire le chemin inverse en moins de dix ans. Vite. Avant un nouveau Fukushima.
Stéphane Lhomme
Président de l’Observatoire du nucléaire
http://observ.nucleaire.free.fr/