Leçon de révolte
« La Guillotine carcérale » de Laurent Jacqua
J'ai eu la chance - immense - de rencontrer Laurent Jacqua. De la rencontre, il ressort un regard, un sourire et surtout une force immense. Trop facile de parler d'un « homme debout ». C'est au-delà d'une expression aussi banale…Il communique l'énergie de la révolte et, simultanément, l'expression de tant de souffrances glanées dans les mitards et les quartiers d'isolement des prisons de France… et aussi celles de tous les rescapés de ces enfers qu'il a croisés pendant ces années d'enfermement.
Non, ce n'est pas une histoire de taulard de plus, une histoire pour faire du pognon ou du cinoche, c'est une histoire qui fait mal… Écoutez…
Une vie qui bascule
Pour aller vite, on dira que tout a commencé quand Laurent Jacqua avait 18 ans… Une banale histoire de légitime défense contre une bande de skinheads, et le voilà en prison pour dix ans.
C'est en prison qu'il apprend qu'il est séropositif : la peine de prison devient brutalement une peine de mort. Alors, il ne faudra plus parler à Laurent Jacqua du « sens de la peine » ou de réinsertion… Non, car s'est engagée une lutte pour la vie, tout simplement, avec cet horrible compte à rebours enclenché par le virus. Laurent Jacqua gagne la première manche : une évasion, une belle pour faire la nique à la mort
En cavale, entre nécessité et refus de la société, Laurent Jacqua braque. Mais, attention, on ne trouve pas une once d'héroïsme dans son récit : les mains tremblent, la sueur perle… Et on a mal avec lui lorsque, situation oblige, il se rend coupable, à ses yeux, d'agissements que sa morale réprouve.
Le retour en prison est terrible. La Pénitentiaire ne pardonne pas à ses sujets de lui préférer d'autres cieux, les sbires se vengent, et tout cela signifie : isolement, transferts à répétition, bastonnades et mille petites mesquineries qui, si elles ne laissent pas de traces, ont bien un but explicite : détruire.
Alors Laurent Jacqua résiste, mais isolé, malade… Quelle arme lui reste-t-il ? Son sang contaminé. Évidemment, de tant souffrir, il va flirter avec la folie. Mais il a cette force - non pas surnaturelle ou religieuse, mais humaine - de se révolter encore quand tout semble perdu d'avance.
Du sadisme ordinaire à l'extraordinaire barbarie
Il y a pire. Il y a le cynisme de cette ministre de la Justice, en visite à la Santé qui, rencontrant Laurent Jacqua, et qui, à l'exposé de sa situation, n'a qu'un mot à la bouche : « Espoir ». Pour un homme condamné à mort par la longueur de sa peine et par la maladie qui le dévore, c'est un peu léger, non ?
J'ai un souhait : que ces messieurs-dames de la « Tentiaire » répondent… sur les passages à tabac, sur les humiliations ordinaires auxquelles ils semblent prendre tellement goût, sur toutes ces choses intolérables, surtout lorsqu'on a le toupet d'afficher partout la Déclaration des droits de l'homme !
Ces « petits murs de Berlin »…
Et il y a ce que Laurent Jacqua appelle, si bien, les « petits murs de Berlin » : ces murs où meurent les évadés, tués de sang-froid par des fonctionnaires, « qui ne font que leur travail »… et dont l'horreur de leur tâche n'apparaîtra aux citoyens épris de sens critique que plus tard. Ça ne vous rappelle rien ?
Ces « petits murs de Berlin » séparent deux mondes, dont on me dit que l'un est « libre », comme on disait aux victimes du socialisme « à visage humain » que le capitalisme rimait avec liberté. C'est à méditer… À moins que comme on me l'a chuchoté : « Les prisons existent pour que ceux qui sont dehors croient être libres. »
Alors, tu as raison, Laurent : non, le plus scandaleux, ce n'est pas la libération de Papon, c'est toutes ces détenues et tous ces détenus qu'on laisse mourir en prison… qu'on fait sciemment mourir derrière les hauts murs.
À bas toutes les prisons !
Dernière minute : Laurent Jacqua fait partie des détenus qui ont été transféré de la centrale de Clairvaux, suite à un début de mutinerie le 18 février. Il est actuellement au quartier d'isolement de Fresnes… Combien de temps encore durera sa longue errance de prison-mouroir en quartier punitif ?
Gwénola Ricordeau, groupe Ras les murs