Combien je vous dois, docteur ?

mis en ligne le 21 mars 2002
Ah ! ils sont beaux nos médecins qui manifestent, qui se réunissent en AG, qui revendiquent... « Halte aux cadences infernales, nous ne voulons plus être les forçats de la médecine », braillent-ils. Il est temps de remettre les pendules à l'heure et de refaire de l'arithmétique médicale, afin d'étudier plus précisément les conditions de vie desdits forçats.

Certes, il existe des médecins libéraux démarrant leurs activités, ou exerçant dans des zones saturées en praticiens, qui gagnent moins de 10 000 F par mois. C'est également le cas de jeunes médecins qui s'installent et qui subissent des tirs de barrage de toubibs déjà installés, et qui ne veulent rien lâcher.

Mais prenons un exemple significatif, celui d'un médecin, installé depuis dix ans dans une ville de province. Supposons que ce médecin travaille cinquante heures par semaine, ce qui est effectivement leur moyenne. Supposons encore que ce médecin travaille un tiers de son temps au domicile de ses patients et le reste à son cabinet. Supposons enfin que ce médecin, « très consciencieux », consacre un quart d'heure par patient au cabinet et vingt minutes à domicile (compris dans ce temps le trajet). Nous prenons encore comme référence les anciens tarifs à 115 F la consultation et 135 F la visite à domicile. Nous obtenons un chiffre d'affaires de 22 525 F par semaine ce qui nous donne 45 050 F par mois de revenus nets.

Il ne faut pas oublier d'enlever l'équivalent des congés payés de ces forçats, soit 10 %. Nous arrivons à un résultat final de 40 500 F. Il va sans dire que ce calcul est proportionnel. Ceux qui hurlent qu'ils bossent soixante heures hebdomadaires touchent 20 % supplémentaires soit environ 50 000 F nets par mois.

Les médecins se plaignent également des restrictions que leur impose la Sécu, mais ce sont les assurés sociaux qui en subissent les conséquences. Quand les médecins limitent leurs ordonnances de soins infirmiers, de kiné, d'examens de sang, etc. rien ne les empêche d'encaisser leurs honoraires, même quand ils ne prescrivent pas ce que l'état du patient exige...

Le premier accord conclu entre le gouvernement et une partie des toubibs prévoyait quand même, hormis la création de deux visites (l'une courante, l'autre plus approfondie), la majoration de la visite de nuit et du samedi après-midi à 600 F! (soit 100 % d'augmentation), et surtout l'application d'une majoration de 60 F par acte (soit 52 % d'augmentation) pour toutes les visites chez des patients venant de subir une intervention chirurgicale.

Rappelons que cette mesure était déjà appliquée pour des malades souffrant de pathologies de longue durée et âgés de plus de 75 ans. Cette mesure, qui avait coûté 150 millions de F, avait été à l'époque décrétée pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées handicapées : vaste hypocrisie, mais réelle augmentation pour les médecins, qui ne passent pas une minute de plus auprès de leurs « vieux clients ».

Il ne faut pas oublier que les médecins libéraux sont les piliers du système de santé français et qu'en tant que tels, ils sont et seront choyés par les gouvernements. Les hôpitaux dans les petites villes ont eux, moins de chance. En effet, la rentabilité passe avant la notion de service public, et pour se faire soigner, il vaut mieux habiter à côté d'un CHU que près d'un hôpital local d'une sous-préfecture de la Creuse.

Les revendications des médecins, si elles aboutissent, auront comme effet d'augmenter nettement les cotisations de mutuelles, voire celles de l'Assurance maladie. D'où une impossibilité pour certains de se soigner correctement.

Et si les médecins spécialistes s'y collent également, nous arriverons très vite à un système américain, où malgré des assurances sociales, les gens ne pourront se soigner que partiellement. Il apparaît urgent que nous prenions en main notre santé avec une gestion directe de l'assurance maladie par les assurés sociaux, l'élaboration par des conseils locaux de citoyens de la politique hospitalière (ce qui éviterait les fermetures de nombreux hôpitaux) et la mutualisation des cliniques privées, principales gaspilleuses des budgets d'assurance maladie.

Mais en attendant, nous payons des cotisations de Sécurité sociale, que les gouvernements s'approprient, et dont ils décident l'utilisation, sans nous rendre de compte. L'alibi démocratique de cette procédure est établi par le fait que c'est le Parlement qui fixe annuellement « l'objectif national des dépenses d'Assurance maladie », après consultation... d'experts du gouvernement. Petite anecdote, il y a un mois, les chiffres de l'Assurance maladie ont montré que pour l'année 2001, il y avait un excédent de plusieurs milliards de francs, mais... Kouchner vient de nous mettre en garde : nous nous sommes trop soignés cet automne et cet hiver ; donc, l'année prochaine, plus de bénéfices, mais un méchant pseudo-déficit.

De qui se moque-t-on ?


Bruno, groupe Caussimon (Nancy)