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par Philippe Pelletier le 19 mai 2023

Climatologie, saints de glace et post-fascime

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Décidément les évènements météorologiques de ce mois de mai 2023 perturbent les observateurs. Un ministre italien parle même de « tropicalisation » (tropicalizzazione) du climat italien à propos de l’épisode pluvieux en Émilie-Romagne.

Les saints de glace, phénomène récurrent
Cet épisode en Italie est lié à ce que l’Hexagone connaît au même moment. Il n’a rien de surprenant puisqu’il correspond à la période habituellement connue sous le nom des « saints de glace ». En revanche, c’est son intensité très prononcée qui est remarquable. Il n’y a nul « dérèglement » puisque ce phénomène est récurrent.
Sa force cette année s’explique par trois facteurs : le comportement erratique de l’anticyclone des Açores, la force des perturbations venues de l’ouest et l’arrivée d’une coulée d’air froid venue de la région arctique à travers la mer du Nord. Ce troisième phénomène peut être analysé d’après la théorie des AMP (anticyclones mobiles polaires) notamment avancée par le géographe climatologue Marcel Leroux.
La récurrence des « saints de glace » étant connue, les prévisionnistes ont fait tourner leur modèle. « Certains scénarios n’envisagent qu’une dégradation très temporaire alors que d’autres voient au contraire un temps humide sur la majorité de la semaine (précipitations concernant la quasi totalité de la France) » (Météo-Paris Com, le 18 avril 2023).
Comme chacune et chacun a pu le constater, c’est la seconde hypothèse qui s’est révélée correcte, et amplement (sur plus d’une semaine). Mais personne ne verra les modélisateurs de la première hypothèse venir nous expliquer pourquoi ils se sont trompés, c’est-à-dire pourquoi leurs modèles ne sont pas bons, et en quoi on devrait leur faire confiance pour d’autres scénarios.

L’infantilisation médiatique
Les médias dominants n’ont bien entendu rien commenté à ce sujet. Il faut dire que, à part une ou deux exceptions, leurs journalistes sont nuls en climatologie (rappelons-nous la vogue des starlettes qui présentaient la météo sur Canal + comme s’il s’agissait de faire un sketch).
Prompts d’habitude à s’alarmer de la moindre vague de chaleur, ils ont même amoindri le phénomène des saints de glace. En décrivant la baisse des températures, certains ont même tenté un tour de passe-passe en remplaçant la formule habituelle de « comparée aux normales saisonnières » par « comparée aux valeurs de référence ». Cette dernière expression, beaucoup plus obscure, relève de la novlangue, pour embrouiller le public. L ‘amoindrissement médiatique du phénomène des saints de glace est à comparer avec l’hystérie qui a accompagné la douceur de l’automne 2022 sur l’Hexagone. Alors que, en octobre et en novembre, tout le monde aurait dû se féliciter d’un temps qui nous épargnait de mettre du chauffage, ce qui faisait de substantielles économies en CO2 ou en argent, il fallait faire la peur. Là, en mai, personne ne déplore la remise en route du chauffage dans de très nombreux foyers, puisque personne n’en parle. Le monde à l’envers, quoi.



Capture d’écran reportage France 3 (YouTube) : Une procession à Perpignan pour faire tomber la pluie. Avec Saint Gaudérique, le Père Noël n’étant pas libre ce jour là...

La sécheresse dans le Roussillon
En revanche, les médias se sont tournés vers la sécheresse dans le Roussillon. Ils ont mené un véritable matraquage pendant plusieurs jours puisque rares étaient les bulletins d’information qui n’en parlaient pas, et comme si le sort de la France entière dépendait d’un seul département.
Le Roussillon connaît un déficit de précipitations depuis plusieurs mois. Les agriculteurs se préparaient au pire, mais la pluie n’est pas le seul sujet. Peu ont évoqué le fait que la plupart d’entre eux pompent dans la nappe phréatique profonde depuis des années et que sur les six mille forages, les deux-tiers sont clandestins. Autrement dit une pratique abusive (qui empêche d’autres aménagements) et confortable (qui contourne le prix à payer).
L’omerta règne à ce sujet, car cela arrange beaucoup de monde. Le business de la fruiticulture est un pactole, même si la concurrence est rude et les conditions souvent aléatoires. De nombreuses municipalités du Roussillon ne se préoccupent pas de la mise à niveau des infrastructures hydrauliques alors qu’elles multiplient les lotissements. Les factures des taxes d’assainissement, qu’elles continuent pourtant à prélever, servent surtout à étendre le réseau d’adduction sans se préoccuper sérieusement de la ressource.
C’est de l’aménagement à courte vue, pour dire les choses gentiment. Et malgré les avertissements de quelques citoyens (dont des géographes…). Le système était à deux doigts de craquer, mais les chutes de neige sur les Pyrénées de ces derniers jours vont permettre de remplir la retenue de Vinça.
La sécheresse des mois précédents s’explique notamment par la modification de la circulation des perturbations atlantiques, comme l’explique Caroline Norrant dans sa thèse (2004), et ce sur quoi insistait déjà le géographe Pierre Birot en 1964.

Sous les abricotiers, le nucléaire
Mais si les médias se sont focalisés sur le Roussillon et ont quasiment étendu la problématique à toute la France, ce n’est pas pour plaindre ses habitants, ni s’inquiéter du sort de la récolte des abricots catalans et autres fruits, c’est pour une tout autre raison. Celle-ci est en partie dévoilée par le JT de TF1 du 17 mai qui nous a montré une carte de départements touchés par la sécheresse, soit trois ou quatre seulement sur une centaine. Cela n’a pas empêché le journaliste de gloser sur la sécheresse affectant tout le pays. La carte ayant été montrée façon furtive, c’est l’habillage rhétorique qui l’a emporté.
Cela fait plusieurs semaines que le ton est donné par les médias et les dirigeants, macroniens en tête : la France manque d’eau, elle doit manquer d’eau parce qu’elle risque d’en manquer, pas seulement à cause des irrigants de maïs ou de fruits, mais, surtout, à cause du programme électronucléaire lancé par Macron. Car ce programme de construction d’une douzaine d’EPR, plus les centrales existantes, va réclamer beaucoup d’eau pour le refroidissement des réacteurs.
Il faut donc maintenir de bons débits durant toute l’année, en ralentissant la consommation d’autres secteurs et en relançant possiblement des projets de barrage abandonnés. Macron lui-même l’a annoncé, le 30 mars au-dessus du lac de Serre-Ponçon, il faudra que la population fasse un effort, qu’elle réduise sa consommation d’eau. Peu importe d’ailleurs si la consommation des foyers n’est pas la principale, et de loin, il faut faire passer l’idée du « manque ». La focalisation sur les piscines n’est au passage qu’une fausse piste, de surcroît assez démagogique vu sa faible importance par rapport à l’irrigation agro-industrielle, mais elle est pratique puisque le peuple écolo dûment chapitré sur « la sécheresse » est susceptible de la gober.

Les saints de glace et l’Italie padane
Les inondations en Émilie-Romagne sont corollaires du phénomène de la coulée d’air polaire qui a touché la France et du phénomène des saints de glace. La goutte froide qui en a résulté (maintien d’une poche d’air très froid en altitude) a repoussé l’anticyclone loin au milieu de l’Atlantique, tandis qu’une dépression a progressé des îles Britanniques vers la France, puis vers le nord de l’Italie, en devenant très active dans le golfe de Gênes.
Les précipitations sont abondamment tombées sur la cordillère apennine, puis en plaine. Or cette plaine, au fil des années, est devenue densément peuplée et occupée. Elle au cœur de cette « Troisième Italie » (Toscane, Émilie-Romagne, Vénétie) caractérisée par l’industrialisation diffuse qui s’y répand depuis quatre décennies. Avec les anciennes cités proches les unes des autres, s’y succèdent de nouveaux quartiers, des lotissements, des zones industrielles, de partout. Les phénomènes de concentration des eaux sont aggravés par l’urbanisation des sols, et probablement un non respect des plans d’urbanisme. Insistons sur cet aspect que l’on retrouve un peu partout : il n’y a jamais eu ici de présence humaine aussi forte (démographie, économie). Un phénomène météorologique intense de retour décennal ou centennal (attendons les statistiques) ne peut qu’aggraver la situation.
Mais il faut faire porter la responsabilité sur le climat, pas sur l’occupation de l’espace caractéristique d’un capitalisme débridé.

La climatologie post-fasciste
C’est ce à quoi s’emploie un dirigeant italien. Les médias français, France Inter en tête, nous l’ont présenté comme un « responsable de la protection civile ». Quel euphémisme ! Il s’agit en fait de Nello Musumeci, le ministre chargé de la Protection civile et des Politiques marines.
Ce n’est pas un inconnu. Il est entré au MSI, le parti néo-fasciste italien, en 1970, à l’âge de quinze ans. Il y occupe de nombreuses responsabilités, tout en se faisant élire à plusieurs reprises sous cette étiquette dans différentes instances politiques en Sicile. Il adhère à l’AN de Gianfranco Fini en 2002, qu’il quitte en 2005. Il fait partie du gouvernement Berlusconi IV. Pendant la crise du covid, il accuse les immigrés de propager le virus.
Il adhère au parti Frères d’Italie de Giorgia Meloni qui le fait rentrer dans son gouvernement. Qu’on ne se trompe pas sur sa fonction dans les Politiques marines : il s’agit de durcir le système des garde-côtes italiens contre les migrants traversant la Méditerranée.
C’est Musumeci qui parle de « tropicalisation du climat italien », dû au « changement climatique ». Il ajoute au passage que la situation ne sera « jamais plus comme avant » (nulla sarà più come prima), une formulation qui donne au passage une idée de la hauteur philosophique du post-fascisme (ah bon, demain sera un autre jour qu’hier ?). Cette idée de « tropicalisation » est un non-sens scientifique car, quelle que sera son évolution, le climat méditerranéen, bien spécifique, ne relève pas d’un climat tropical. La configuration maritime, le rôle du courant-jet (qui passe à la hauteur des latitudes moyennes) et l’existence des coulées d’air polaire la rendent complètement stupide. Bologne ne sera jamais Bamako.
Mais l’objectif de Musumeci n’est pas d’avoir une réflexion savante. Il s’agit, comme beaucoup d’autres, de faire peur. Peur d’un climat supposément plus chaud (« tropical ») donc venant du sud, comme peur de ces populations migrantes qui viennent elles aussi du sud. Coup double ! La géographie fasciste de ce post-fasciste, dont la philosophie politique repose sur le principe de la peur, n’a même pas besoin de détailler sa combinaison effarante puisqu’elle joue sur l’implicite et l’inconscient. L’éco-anxiété est tellement martelée parmi la population qu’il suffit de l’utiliser.

Philippe Pelletier

PAR : Philippe Pelletier
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