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Théories politiques
par Philippe le 5 septembre 2022

Onfray nous refait le coup du "Cercle Proudhon"

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Basile Morin. Pavage Michel Onfray (philosophe), ambigramme [note] de perception figure-fond, tons bleus. L’espace négatif est utilisé pour les deux lectures.


Le philosophe Michel Onfray a déclaré sur C-News le 4 septembre 2022 qu’il allait conduire une liste aux prochaines élections européennes et que son équipe songeait déjà à une candidature aux élections présidentielles de 2027. Le pilier de son programme : le souverainisme ; sa déclinaison : sortir de Maastricht.

Au moment où la Macronie s’agite pour esquisser un successeur au grand patron qui ne pourra pas se représenter (des noms circulent : Édouard Philippe, Bruno Lemaire, Gérald Darmanin…), le moins que l’on puisse dire, c’est que tous ces gens-là voient loin, y compris Michel Onfray. Celui-ci n’a d’ailleurs pas tort de son point de vue compte tenu du contexte politique.

En effet, sauf booster, Mélenchon ne se représentera pas, et ses dauphins ne font pas trop le poids. Les écologistes sont dans les choux à l’échelon national. S’ils peuvent triompher localement, leur bilan municipal sera néanmoins contrasté puisque les quelques mesures socio-environnementales seront annulées par les politiques de gentrification des centres-villes qui passent par le tout-vélo et les éco-quartiers haut de gamme. Quant à la rhétorique d’une Sandrine Rousseau, elle ne dépassera guère le rang des croisés, bien que pouvant compter sur les jeunes d’Extinction-Rébellion, organisation financée par des milliardaires américains (Trevor Neilson, Aileen Getty, Rory Kennedy).

Sauf booster, Marine Le Pen ne se représentera pas non plus. Mais son dauphin familial prévisible, Jordan Bardella, l’écolo-postfasciste partisan des circuits courts localistes et de l’électro-nucléaire, sera mordillé par un ou une zemmouriste.

Le PS continuera à s’effriter, et le parti des Républicains à se demander quelle est la bonne stratégie.

Indiscutablement, il y a un espace politique qui s’ouvre, favorable aux souverainistes de tout bord voulant, au moins dans le discours, transcender le clivage gauche-droite comme je l’écrivais et l’annonçais dans un article du Monde libertaire paru il y a huit ans (« Le Piège du souverainisme », ML hors-série 54, 2012).

Il s’agit pour eux de mêler des thématiques apparemment anti-capitalistes, de relancer la notion de peuple susceptible de transcender les classes sociales, et de brandir des aspirations à la justice sociale. Cette mixture n’est rien moins que ce qui a fait le lit du fascisme dans les années 1920 qui correspond à l’émergence politique des classes moyennes, avec néanmoins un certain nombre de différences : pas le même poids des syndicats, arrivée de la question écologique, échec des régimes marxistes, décolonisation, question nucléaire, d’autres thèmes encore qui ne seront pas abordés. Mais aussi quelques similitudes inquiétantes comme nous le verrons plus loin.

Onfray, qui s’est intéressé à Bakounine mais qui n’est jamais allé jusqu’à Malatesta ou Rocker, et encore moins la Makhnovtchina ou la Révolution espagnole, est un grand lecteur de Proudhon. Il reprend finalement le flambeau de certains intellectuels des années 1910 qui, en France, avaient constitué le Cercle Proudhon (1911-1914).
Ce club est lancé par Georges Valois, un ancien syndicaliste anarchiste qui fondera le premier parti fasciste en France en 1925, mais qui, opposé au nazisme et au pétainisme, mourra dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Il regroupe des intellectuels comme le sorélien Edouard Berth ou comme Marius Riquier qui a fondé avec l’anarchiste Emile Janvion et Georges Darien le bimensuel anti-franc-maçon et anti-sémite Terre Libre. Il a pour objectif de combiner le syndicalisme révolutionnaire et le nationalisme, selon une optique idéologique anti-républicaine et anti-démocrate plus ou moins proche du royalisme de l’Action française.

Il ne s’agit pas ici ni de refaire l’histoire du Cercle Proudhon pour laquelle nous renvoyons à plusieurs auteurs (Manfredonia, Navet, Netter, Sternhell…), ni de dresser contre lui une autre interprétation supposée plus vraie du personnage Proudhon et de sa pensée, mais d’exhiber quelques thèmes qui en orientent la lecture et qui sont susceptibles d’éclairer la démarche d’Onfray.

Sans tomber dans l’anachronisme, rappelons le contexte de l’apparition du Cercle Proudhon en 1911 : le prolétariat se sent floué au sortir de l’alliance dreyfusarde entre libéraux et républicains qui a bénéficié du soutien de nombreux anarchistes, dupé par l’arrivée au pouvoir de quelques socialistes (Millerand), et heurté par la casse des grèves effectuée par un ancien socialiste (Clemenceau) que le dreyfusisme a remis en selle. Il est inquiet de la menace d’une guerre mondiale renforcée par l’atermoiement de la social-démocratie dont le double caractère confondu — marxiste et allemande — valorise a contrario la pensée d’un autre socialisme. Selon le Cercle, ce socialisme « à la française » serait celui de Proudhon, une sorte de génie français, plébéien, paysan, viril, martial, porteur de valeurs familiales sinon traditionnelles…
Comme la pensée de Proudhon est particulièrement complexe, qu’elle manie la contradiction à hauts risques et qu’elle-même évolue, il fut aisé pour le Cercle d’alors d’en tirer des fragments tronqués et de la surinterpréter, comme cela le reste de nos jours encore.

Sur le même registre, le girondin Onfray utilise la critique proudhonienne de la centralisation, mais en oubliant son fédéralisme anti-étatique. Le rejet des élites et du grand capital se fait en faveur d’un néo-corporatisme franco-français, à la fois anti-allemand (avatar de « maastrichtien ») et anti-américain (avatar d’« anti-néo-libéralisme »).
Onfray transmute la référence proudhonienne au peuple ou aux classes ouvrières en une mystique nationaliste dépassant la lutte des classes. Ce nationalisme est débarrassé, au moins au départ, des excès xénophobes ou racistes portés par l’extrême droite mariniste et zemmourienne qui ne peuvent pas amener au pouvoir malgré les apparences et l’agitation de l’épouvantail.

Onfray tente sa chance pour remplacer le « en même temps » macronien par un souverainisme tout azimut où chacun aurait l’illusion de retrouver des « capacités ». Sur les sujets environnementaux, il lui sera facile de dégommer les idéologues ou les bobios parisianistes.

Il a bien senti dans le mouvement des Gilets jaunes toutes les tendances contradictoires qui peuvent alimenter son projet. Il constate la décrépitude du syndicalisme incapable de sortir des enjeux politiciens et de comprendre l’évolution de la société française comme l’a révélé son mépris initial vis-à-vis des GJ. Fort de ses origines sous-prolétaires, il sait jouer de la bonne corde. Il a aussi vu les drapeaux français brandis dans les différentes manifestations (GJ, anti-pass…) dont il pense extraire l’histoire révolutionnaire pour en faire une bannière anti-élitiste.

Face à ce « néo-souverainisme », appelons-le comme cela en vertu de sa prétention à dépasser les clivages habituels, la tâche des anarchistes sera aussi rude que face à l’hégémonie intellectuelle sinon politique de l’écolocratie.

Ne pas se laisser piéger par la vocabulaire est une première exigence. Le principe de « souveraineté », aussi naïf et généreux apparaisse-t-il, suppose un « souverain » qui ne peut être ni la fiction de la nation, ni celle du peuple, ni celle du prolétariat, mais qui doit être la réalité concrète, non idéologique, des travailleurs-habitants qui vivent dans une commune et qui fédèrent leurs activités d’une commune à l’autre.

L’idée séduisante d’une « souveraineté alimentaire », par exemple, pourrait tout à fait bénéficier à une agro-industrie française qui renoncerait même à son culte de l’exportation, au moins en partie. Elle ferait passer à l ‘arrière-plan le principe, et l’exigence, que chacune et chacun mange à sa faim, pleinement et sainement.

Le souverainisme chez Onfray cache de moins en moins un nationalisme. Un nationalisme-nationaliste franco-français, si l’on peut dire, qui respecte le nationalisme de Poutine, de Trump ou de Mohammed VI puisque chacun d’eux « défend son pays » (cf. son entretien à C-News), mais qui entend, lui, être vertueux, correct et sain.

Le nationalisme — qu’il soit guerrier ou pacifiste (est-ce possible ?) — est donc le point d’attaque : commençons par réclamer le retrait des forces militaires françaises de tous les pays et la diminution du budget militaire français (revendication pour laquelle il faudra aussi ferrailler à propos de la guerre impérialiste en Ukraine).

Le principe d’autonomie, opposable au souverainisme d’Onfray ou d’autres, ne suffit pas en ce qu’il postule que chacun et chacun pourrait être vraiment autonome économiquement, ce qui est un vœu pieu à moins de tomber dans le primitivisme ou de renouer avec le monastère auto-suffisant, avec ou sans Dieu.

Le fédéralisme libertaire organisant le communalisme semble être la réponse appropriée : sur le plan théorique déjà. Quant au plan pratique, il ne peut passer que par un abandon de l’idéologie surplombante, donc de la démarche sectaire, et par un renoncement à toutes les fausses pistes. Pas simple.

Philippe (Makhno 42, 5 septembre 2022).
PAR : Philippe
Groupe Makhno
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