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Chroniques du temps réel
par Pierre sommermeyer and Co le 27 mars 2020

Hier. lundi 30 mars... nouvelles chroniques du confinement (2e semaine)

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un journal du confinement qui dure

Mardi 17 mars, midi. Nous entrons dans une période de confinement contraint et nécessaire. Et ça vous fait quoi d’être confiné ? Sur proposition de Pierre, chaque jour un témoignage personnel sur le jour d’avant.



Chroniques au jour le jour


30/03/2020
Le con-finé du lundi 30
Ce qu’il y a de bien dans cette petite chronique du confinement imaginée par Pierre, c’est qu’elle nous permet de parler un peu de nous, de notre vie de tous les jours. D’hab, on n’a pas trop le temps de s’épancher, plus ou moins pris que nous sommes dans le tourbillon de nos petites ou grandes occupations diurnes. Par cette chronique, certains, certaines nous livrent leurs analyses sur « la guerre », d’autres sur ses conséquences. Mais, quand toutes et tous parlons plus concrètement du confinement, on s’aperçoit bon an mal an qu’on vit à peu près les mêmes choses, selon nos affinités ménagères, jardinières pour les plus chanceux, ou autres !
Je fais partie des autres. Vivant à deux dans un studio parisien, pas grand-chose à faire une fois qu’on l’a nettoyé à fond. Nettoyage de printemps. En plus, il faut se répartir l’espace pour ne pas se bouffer le nez, ce qui est humain. Chacun un ordi, lui dans la cuisine-bureau et moi dans la pièce-chambre-salon-salle-à-manger. C’est quand même tout petit « chez nous » ! Vite fait le tour. Et puis, toute la journée sur l’écran, c’est à chopper des insomnies à la Barbara. Donc, il faut trouver autre chose.
Ça tombe bien, je suis un fou de lecture. C’est d’ailleurs pour ça qu’on m’appelle le rat noir de la bibliothèque. D’habitude je lis partout, dans la rue en marchant (eh, oui tout un art en ville, bientôt je donnerai des cours gratuits pour qui cela tente !) dans les parcs et dans les jardins (je n’ai jamais bien compris la différence entre les deux, d’ailleurs). Mais lire dans un studio, en plus quand on vit avec quelqu’un de bavard… Ça se complique. Alors, j’ai trouvé la parade. Hé, hé ! A la différence de Proust, je me couche assez tôt le soir, en tout cas plus tôt que mon bavard de co-confiné. Donc, je me lève plus tôt (ben oui !). En général, 5 plombes du mat (j’ai des frissons). Mais si j’allume dans la cuisine, cela risque de le réveiller l’énergumène à côté. Ben alors, entre deux thés bergamote (j’adore, vous saurez tout !) et deux tartines (pas plus, je me suis mis au régime sec depuis que je ne peux plus aller tous les jours à la pistache) et bien je lis dans notre troisième pièce : les chiottes. Pas très confortable me direz-vous. D’autant que je n’ai pas installé un siège en moumoute vert pistache ou carmin, comme on en faisait dans le temps. Tout se perd ! Et comme je lis en général quatre bouquins en même temps, pour ne pas irriter mon petit fessier (je fais régime je vous ai dit) j’alterne entre les thés et les tartines.
Donc, je prépare en ce moment, pour celles et ceux que cela intéresse, le prochain épisode du Rat noir et y chroniquerai, le dernier bouquin alambiqué d’un poète-philosophe et une digression vachement intelligente sur Franz Kafka, anarchiste comme moi et tchèque comme ma mère. Je vous avais bien dit que vous saurez tout. Enfin, presque tout. Car, je le sens, vous trépignez d’impatience ? Quels sont les deux autres livres ? Et bien c’est là que cette chronique quitte les sentiers battus par l’ennui et la routine, enfin en quelque sorte. Car, il se trouve que sans le faire exprès, avant le confinement, j’avais entamé Souvenirs de la Maison des Morts de Fiodor Dostoïevski. Et ça on peut dire que c’est du confinement : puisqu’il y raconte les quatre années qu’il a passé dans un bagne de Sibérie pour activisme politique. C’est un livre assez négligé. Peut-être parce que son titre rébarbatif fait peur ? Toujours est-il que je vous le recommande en ce moment. D’abord pour relativiser le confinement et s’apercevoir qu’il y a pire. Mais surtout parce que c’est lors de cette expérience qu’il va pénétrer dans le fond de l’âme humaine, des comportements de ses condisciples bagnards et qu’il va en tirer les portraits des principaux personnages de ses grands romans à venir. Ce livre n’a rien d’ennuyeux, il est au contraire bourré d’humanité, mais jamais complaisant, incisif comme l’oreille d’un psy et même souvent très amusant. Comme c’est un peu compliqué en ce moment d’acheter des livres, on doit le trouver à défaut assez facilement en ligne je suppose, ou bien fouillez dans vos vieux cartons de vieux bouquins, comme je le fais en ce moment. Bon.
Ça, c’est fait. Mais non, je n’ai pas oublié le deuxième livre ! Il est très curieusement lui aussi lié au confinement. Mais au confinement dans un sanatorium de riches. Il s’agit de La Montagne magique de Thomas Mann (deux tomes en livre de poche). Beaucoup de mes proches ont essayé de le lire ados et ont laissé tomber. Bien sûr, parce que c’est un livre qui demande beaucoup de patience et de temps puisqu’entre autres, il s’agit au fond d’une réflexion sur la relativité du temps et l’apprentissage de l’enfermement dans un milieu fermé. Avec là aussi, la description de toute une galerie de personnes croustillants reflétant la désuétude d’une société allemande vieillissante au tout début du XXème siècle, avant la première guerre mondiale. Elle présente encore, les joutes verbales entre un italien franc-maçon et un jésuite mystique qui revendiquent tous les deux l’attention du jeune héros du livre, rêveur, un peu naïf et plein d’indulgence. Un régal d’observation, là encore et d’intelligence. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’il obtint un immense succès dès sa sortie en 1924, sous la République de Weimar. Deux livres sur le confinement, en somme. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est tout sauf pénible à lire en pleine confinance…
Et si ça vous intéresse, une prochaine fois, je vous donnerai des nouvelles de T. et de son amoureux, confinés à Copenhague… Enfin, si vous êtes bien sages d’ici là et respectez bien les consignes de… confinement, seul.e ou à plusieurs !
Patrick Schindler de Botul


29/03/2020
En direct de ma confinerie...

7h20 ce matin. C’est le jeune Terrence, 7 ans, qu’est réveillé ; il voudrait bien pas déjeuner tout seul ; vient chercher « grand-père », c’est mon jour. L’autre jour-sur-deux, c’est Consuelo qui s’y colle, ma fiancée. Parce qu’en bas, dans la grande pièce où on vit, pour avoir un peu chaud le matin faut réveiller le poêle. Pis des fois, ça démarre mal ; la fumée qui rentre dans la pièce… et le petiot qui veut son casse-croûte.

Confinerie. On est confinés façon grégaire, à 7. Au milieu de nulle part, entre des champs, un grand étang et un bois, à 2 Km d’un micro-village sans bar ni commerces – c’était y’a vingt ans, et on voulait être tranquille. Du coup, y’a de l’espace, on peut bouger, et notre défi du confiné, c’est pas la solitude, plutôt la multitude ! 7, toute la journée et tous les jours. Ici, y’a toujours du monde, mais là, c’est inédit. Le groupe, il est fermé ! Agrégés à l’instinct, Folavril, une de mes filles, qui se voyait pas seule chez elle à Arcueil pendant des semaines avec ses deux petits, Terrence et Lilas, 18 mois, et sa boite qui voulait pas l’arrêter. Alice, la petite dernière et Rémi, coincés dans 40 m² à Paris, ils s’y voyaient pas trop non plus. Juste mon fils qui pouvait pas trop bouger de là où il vit.

Donc le matin on bricole jusqu’à 9 heures. Petit dej’, laver les dents, puis une cuillère du pollen pour motiver le système immunitaire. Le pollen c’est Rémi, intermittent pour la télé, il transitionne vers les abeilles. Une centaine de ruches avec son frère. En faisant la vaisselle d’hier soir, à la bassine, j’écoute les nouvelles à la radio. Question radio, faut dire, j’ai du mal depuis que France Intox a mangé France Cul. J’m’y fais pas du tout… son criard, le ton aussi, jingles bruyants. Les invités politicards, alors… une petite 1/2 heure pas plus. Après c’est un peu de guitare, avec le café, blues, ou bossa nova, ou le plus souvent, juste « faire tourner », un riff qui passe par les doigts. Chercher une surprise, une forme plus aboutie, ou jouer avec l’attaque, l’arrêt, le vibrato, les mille petits détails, selon. Pas des morceaux, plutôt des sortes d’impros en continu ; c’est comme un tango entre les doigts qui se baladent sur le manche, donnent l’impulsion, et l’oreille qui répond – ou l’inverse ? – cerveau débranché, intervient le moins possible. Parfois quand même, je bosse sérieux, pour faire une chanson, comme celle là, l’année dernière :
Jojo Gilet Jaune.

9h, c’est l’heure du « travail ». Le petit Terrence démarre ses deux heures de cours – Maths et Français – avec sa grand-mère instit’ retraitée. En fin d’après-midi, c’est la guitare, j’avais imaginé une méthode pour qu’il puisse apprendre presque tout seul. Il commence à avoir une bonne main droite et cinq, six accords dans la main gauche, et chanter quelques morceaux. Avant de se coucher, il terminera la journée avec deux épisodes d’un véritable bijou : « La mythologie grecque en 100 épisodes ». Il semble bien digérer la confinade

C’est le matin donc, 9h ..12h, je suis peinard, je traite mes mails et le boulot pour le journal.

À 7 personnes en continu, il faut une forme d’organisation. Ici on est plutôt anarchistes : éviter de créer des règles, de faire des « tours » ; favoriser l’émergence et minimiser la spécialisation. Veiller surtout à pas figer une organisation qu’aurait l’air parfaite. Du coup, ça fonctionne plutôt bien. Chacun s’y colle : bouffe, chauffage, propreté, bois, et le potager à redémarrer. Les sept ruches c’est Rémi (et Terrence) avec sa combine de cosmonaute ; aux repas nous explique tout, on devient experts en abeilles ! Avec les prunus en fleur, elles font un kilo de miel par jour.

Manger : deux repas par jour (six mange-tout et un végétarien), concevoir et cuisiner, mettre le couvert, nettoyer/ranger la table et la cuisine, faire la vaisselle. Deux semaines déjà que ça fonctionne au p’tit poil, les uns plutôt cuisine, les autres plutôt vaisselle. Le jeune Terrence par contre a pas eu le choix : vaisselle du midi, sauf les plats ! Pour les courses, c’est plutôt Rémi et Folavril qui sortent. Y’a un grand tableau dans la cuisine avec de la craie. Une colonne avec ce qu’il y a, une colonne avec ce qu’il faut acheter. On mange aussi ce qu’il reste de l’été : encore en terre – poireaux, mâche, épinards, radis noir – ou conservé – potirons, cèpes séchés, miels et confitures – aussi bien sûr, ce qui pousse tout seul – orties et pissenlits ! Les œufs des trois poules de Folavril. Y’a la ferme à coté, sur la route de Nemours, avec les volailles, caissettes de cochon ou d’agneau et des légumes. Et si la cueillette était déjà ouverte, on aurait pas besoin d’aller au Casino. Sauf que faute de pouvoir mettre un pandore derrière chaque rangée de carottes, ces brutes au front bas l’auraient sûrement interdite.

Coté chauffage, ch’ais pas trop pourquoi mais c’est plutôt genré… y’a le poêle a entretenir la journée, la cheminée le soir. Faut aussi rapporter le bois du bûcher de l’autre coté de la cour et le ranger à coté des feux. Moi et maintenant Rémi ; Consu pour le petit et moyen bois.

Coté ménage : chacun sa chambre, par contre pour les parties communes faut pas mollir sur le balai. Sept zozos à entrer sortir toute la journée, ça en fout partout. Y’a deux écoles : balai ou aspi, moi c’est balai, à cause du bruit de l’aspi, trop moche. Là où ça coince un peu par contre, c’est de passer la loque pour vraiment nettoyer le sol. Un peu de tension aussi avec les buveurs de café et les fumeurs, vite accusés d’en mettre un peu partout. Un peu de tension aussi avec les deux petits qu’ont pas forcément le sens du rangement… du coup c’est leur maman qui prend sur elle. Soucis dans la confinerie…

Vers deux heures, Terrence et moi on déconfine en « exploration ». Chacun son arc et une paire de flèches, direction les champs et les bois au hasard des chemins et des sentes. On croise deux ou trois personnes pas plus : coucou-bonjour à distance, on échange les nouvelles et chacun poursuit sa route ; pas besoin de képis pour qu’on sache comment faire. Pas besoin d’Ausweis non plus. C’est le printemps et c’est émouvant émouvant, la nature sort de terre, s’élève. On pourrait croire que ça reviendra toujours. Les bourgeons qui s’entrouvrent ou explosent, les feuilles si minuscules, le vert tellement clair, délicat. C’est bien vallonné, alors un peu crevés, on s’allonge. Des oiseaux chantent. Aujourd’hui on a vu de loin un gros lièvre, dérangé un qui est parti dans nos pattes, et croisé deux renards qui s’en foutaient de nous. Une buse aussi qui se chamaillait avec deux corneilles. Au retour, on croise Paulo sur son tracteur. Il viendra nous poser un bon tas de fumier lundi soir. L’autre jour on est allé à une ferme à coté demander un rumballer de paille pour le potager. Dans le coin, tout le monde bouge un peu, en étant prudent quand on se croise. Et l’entraide a enclenché la vitesse supérieure, ça rappelle la tempête de noël 1999 qu’avait tout ravagé.

Retour vers 17h, en ce début de printemps, faut bosser ! 4 arbres tombés cet hiver, à couper, fendre et ranger au bûcher. Aujourd’hui je cure une tranchée, d’une trentaine de mètres pour drainer le verger. L’eau affleure partout. Après une bonne heure de ce truc de forçat, à la pelle et à la pioche, je suis claqué méchant. Et trempé de sueur ! Je me change, sèche et j’enfile des trucs chauds. Repos. Enfin pas vraiment car Terrence veut améliorer son morceau ; maintenant, faut qu’il laisse ses mains jouer toutes seules et qu’il travaille sa voix. Dîner.

Ah, avant le dîner, c’est l’apéro. Vin rouge, ou rhum arrangé, quelques bonbonnes ne demandent qu’à se vider. On parle de la famille et des copains confinés ailleurs : mails, téléphone, Whatsapp, Telegram. Tous azimuths : Paris, Montreuil, la Bretagne, le Berry, le Nord, le Tarn... Plus loin aussi : San Francisco – Greg qui vit sur son bateau,Tara au bord de l’eau –, Rio – un apéro virtuel avec Marta et JP – Singapour – Bountara, déjà rescapé de Pol Pot, qui raconte le virus dans la démocrature de la Startup nation asiatique, Lyne qui vit seule dans sa minuscule cabane perdue, en Catalogne… Les mailles se resserrent d’elles-mêmes et à toutes les échelles, de manière fractale.

Coté virus, le problème c’est mon fils qui l’a finalement choppé : toux, fièvre et perte du goût ! c’est un gaillard, j’me dis qu’il est robuste… mais c’est un sentiment horrible de pas pouvoir le rejoindre… Marta, elle racontait que la première morte au Brésil, c’était la bonne d’une famille qui revenait d’Italie. Du coup la bourgeoisie apprend à manier le balai… et y’a plus guère d’argent dans les favelas.

Le coté finance aussi… tout le monde est pas loti pareil, c’est clair… Les intermittents, les copines musiciennes ou danseuses, ça vire au vinaigre. L’une a passé son anniversaire avec le virus ; elle est Ok, mais entre les grèves de l’hiver et la confinade, tous ses concerts sont annulés, ça fait trop longtemps que son violon reste à l’étui. Une autre qu’est pianiste, prof., ça va faire quatre mois de galères – mêmes raisons. Lui reste juste une petite moitié de ses cours, par Skype. Ou encore à Calais, Boucles d’or. Elle c’est mieux parce que le conservatoire a maintenu tous ses cours d’alto, par Skype aussi. Les danseuses c’est pire, peuvent même plus travailler au chapeau. Pour les autres intermittents de la tribu, c’est le même film, au dialogue est ultra court : « Confiné ou pas : restez chez vous ! ». Mes copains de l’informatique ou de la science, eux s’en sortent bien. Bosser chez eux, c’est même beaucoup mieux que de se taper les transports bondés pour s’entasser dans un open-space pourri, un casque anti-bruit sur les oreilles. Mais pour ceux qui bougent de la matière, les moins payés, c’est souvent la cata : la postière qui passait hier nous raconte la Poste coté «backstage »… Y’a les caissiers dans les magasins, les livreurs de tout, les femmes des métiers du soin. Beaucoup d’entre elles déjà en pouvaient plus, avaient enfilé le Gilet Jaune. Le compagnon d’une copine qu’est maton dans un centre de semi-liberté, il raconte aussi la panique de tous, lui compris. En fait il y «retrouve» certains de ses copains de cité de Bondy nord – lui, c’est le foot qui l’avait poussé du bon coté des barreaux... Ils risquent leur santé, leur vie pour un salaire pourri. Et voilà que le Macron rend les heures sup obligatoires, jusqu’à 60. Y’en aura même plus besoin de sa loi sur les retraites, y s’ront morts avant

Ici du coup, c’est Alice qui trime dehors et Rémi avec ses abeilles, Consu et moi, on est maintenant à la retraite. Interne en pédiatrie d’un hosto de Seine Saint-denis ; son chef de service est virussé, sous perfusion. Faut dire, quand elle raconte l’hôpital, ça fait pas envie. Administration incompétente, patriarcat des médecins chefs, mandarinat, manque généralisé de matériel, désorganisation maximale, combines, sexisme… la liste semble infinie. Et surtout, épuisement de tous, l’hosto est à bout de nerf, à bout de tout à l’entendre… Je la vois s’épuiser et danser avec le burn-out. Coté virus, elle dit que c’est des branques, qu’il faut dépister massif et confiner les personnes à risque et laisser circuler les autres, libres. Et traiter au plus tôt les positifs avec la chlorophylle à Raoul Maboul, le marseillais. Ils le critiquent mais le suivent, toujours en retard. Bureaucratie incompétente et politiciens trouillards.

Elle ça la saoule ces applaudissements tous les jours ; ils étaient où pendant l’année de grève?
C’est ça qu’elle dit.

Pendant les repas on discute, forcément. Politique, virus, trucs du quotidien, organisation. Des fois on s’échauffe. Mais ce soir je zappe le repas, sur le mode J’peux pas j’ai Réunion, avec la petite troupe du journal, les vêpres dominicales. Une bonne heure à parcourir ensemble les questions, les problèmes, les opportunités, à se mettre d’accord quand y faut. Là on s’échauffe sur l’édition web...

Avant de me coucher, y’a comme un rituel. Sortir fermer le grand portail qui donne sur la route. S’arrêter là, lever les yeux, regarder le ciel… et quand y fait beau, prendre le flash de paix – Bam !. Faire comme si y’avait une sorte d’ordre immuable, des formes parfaites, des rythmes réguliers, éternels. De la beauté, pure beauté, sans rien d’autre. Puis un dernier moment dans la Grande Ourse, puis rentrer, faut bien rentrer... « Il n’y a pas de chiottes au Nirvana », avait l’habitude de dire le gars qui a introduit le Zen à San Francisco.
Fermer le portail, mettre le loquet, aller au lit.

Lecture. Terminé il a quelques jours Une critique anarchiste de la justification de la violence récupéré le week-end du 14-15 à Strasbourg – merci Pierre qu’en a apporté une pile et le Chat qui m’en a prêté un. Perturbant, car ça m’a fait réalisé que je n’avais jamais réfléchi à la non-violence. Et ce livre est salement convainquant ; 140 pages à lire absolument ! Ce soir je lis Deus Casino de François de Smet. Il tente d’expliquer pourquoi les religions existent toujours – plutôt bien.

Les abeilles, quand il fait froid, c’est à 60,000 qu’elles sont confinées dans la ruche.
Pas besoin de confino-thérapeutes.
-- NuageFlou

28/03/2020
« Sam’di matin, l’emp’reur, sa femme et le p’tit prince… »
Le samedi matin en temps de paix, je file au marché des Vans. J’y retrouve des gens qui me sortent de mon isolement volontaire. Un coup de main au bouquiniste, parce que je ne supporte pas de parler à quelqu’un qui bosse en le regardant faire sans réagir. Un salut au disquaire toujours en retard « Oui, mais je suis en avance pour la semaine prochaine… », direction un bar où le Monde libertaire est plus souvent sur une table que sur un présentoir…
Mais ça c’était avant.
Ce matin, pas de marché, pas de potes, même pas ce foutu policier municipal, mon Longtarin à moi, celui qui me regarde de travers depuis qu’un jour où, à sa remarque/ordre « Ne vous énervez pas », je lui avais répondu « Faute ! Je ne m’énerve pas… VOUS m’énervez ! ». C’est bizarre, mais il me manque ce matin. Un peu comme cette pierre qui dépasse, dans laquelle on se prend systématiquement le pied et qu’on regrette une fois qu’on l’a virée.
Ce matin, pas de concurrence avec les militants PC qui tentent, comme moi, de vendre leur journal.
Ce matin, c’est confinement nécessaire, logique, et obligatoire, ça dérange plus.
Je m’explique et comme d’habitude en vous narrant (j’aime bien ce mot… désuet) une anecdote : Un jour que j’avais affaire à des gendarmes, répondant à leur remarque « Vous ne nous aimez pas ! » je leur avais dit que « Ce n’est pas vous que je n’aime pas, je ne vous connais pas. Ce que je n’aime pas c’est l’idée que, pour l’instant, on ne puisse pas se passer complètement de vous… Et que vous en profitiez. »
Tout ça pour dire que pour essayer d’enrayer l’épidémie, nous, les individus, nous n’avons comme moyen que l’isolement. Et, manque de chance, certain.es ont besoin de flics, de gendarmes, de matons, de pères fouettards pour ne pas faire n’importe quoi. Et, les flics, les gendarmes, les matons, les pères fouettards en profitent. Les salauds.
Bon, pour commencer, aller chercher à la source l’eau que nous boirons avec ma tribu. Parce que l’autre source qui alimente ma maison remplit une citerne, histoire d’avoir assez de pression, avant de filer par des tuyaux jusque là où on a besoin d’elle. Pas bonne, cette eau confinée. Vous avez déjà trouvé des bienfaits propres à l’enfermement ? Alors, pour boire, y a la source d’eau libre qui coule même en période de canicule en bordure de route. D’habitude, trop succulente, libre de toute javellisation, elle attire les foules. En ce moment, quelques rares personnes osent venir y remplir leurs bouteilles. Y a pas la case « aller s’alimenter à une source non dument répertoriée ». Alors, ceux qui venaient et n’osent plus vont remplir leurs caddies de packs de flotte sous plastique…
Reste une solution, aller dans le marchand :
Bonjour, dit le petit prince.
- Bonjour, dit le marchand.
C’était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.
- Pourquoi vends-tu ça ? dit le petit prince.
- C’est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
- Et que fait-on des cinquante-trois minutes ?
- On en fait ce que l’on veut...
"Moi, se dit le petit prince, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine..."

Moi, avec le confinement, j’ai tout mon temps pour traverser la route et marcher doucement vers la source.
L’attestation pour ? Je suis un rebelle…
Bernard. Groupe d’Aubenas.


27/03/2020
Sous les pavés… La plage !
10 jours déjà. De confinement. À la mode de chez nous. Pas un rat dans les rues. Comme 10 mois sur 12. Comme d’hab, on est donc entre nous.
Je sors deux fois par jour. Le matin pour les journaux. L’après-midi pour trois courses. Jamais vu la queue d’un képi. Les parigots étant partis, ils décompressent.
Toute la journée, je lis. Je relis ma bibliothèque. Section révolution russe et Staline. Ça me redonne le moral. Le coronavirus, à côté de Staline, ce n’est que du bonheur.
Une seule chose me traumatise. Le facteur ne passe presque plus. Tous les jours c’était : « Bonjour camarade ». Quand il officiait à Paris, il écoutait Radio Libertaire. Son contrat, précaire, s’est terminé ces jours-ci. C’était l’angoisse. Et puis, aujourd’hui, le nouveau facteur. « Bonjour Monsieur. J’ai vu votre boîte à lettres. Elle est incroyable !». Elle l’est. Énorme. En bois. Peinte de plein de livres. Avec, en gros : « Les éditions libertaires ». Ni dieu, ni maître, ni voleur de boîte aux lettres. On sait où on est. « Visiblement, vous aimez les livres. Moi aussi. Je suis en train de lire Edward Abbey, le gang de la clef à mollette. Un écrivain américain écolo révolutionnaire. Vous connaissez ? Pourtant, c’est de votre génération et de vos idées. » Putain, c’est pas dieu possible. On est cerné par des facteurs d’enfer. Et ce môme, il ose, me traiter de vieil inculte et me conseiller, à moi, éditeur et écrivain libertaire, de lire machin.
Thyde revient de promener le chien. Tout le monde le connaît. Inutile de lui expliquer le confinement ou la distance barrière. C’est un vrai anar, mon petit chien. D’ailleurs, il y a une pancarte devant la maison où c’est marqué : « Attention, chien gentil, maître méchant ». Bref, Lunette vit sa vie de toujours et d’à toujours.
En clair, aujourd’hui, à Oléron, c’est comme depuis toujours. Les bistrots sont fermés. On s’en fout. Le chais d’Aubrière est toujours ouvert aux amis. Mieux vaut lever le coude que baisser les bras.
Une seule chose m’inquiète Notre président, Manu, est en train de virer gauchiste. Il veut filer plein de sous aux hôpitaux. Aux services publics. Il veut nationaliser à tous vents. Il se branle des déficits…
Putain, le capitalisme ne va pas nous faire le coup d’être plus communiste libertaire que nous !
Décidément, on vit une drôle d’époque !
Jean-Marc Raynaud

26/03/2020

Depuis mardi 17 mars nous sommes passés de 2 à 5 personnes chez nous. Les enfants, étudiants ou travailleurs à Nimes et Montpellier, se sont rabattus sur le foyer familial. C’est rassurant pour eux, vu le contexte anxiogène; et ils n’ont pas envie de passer plusieurs semaines confinés dans des logements trop petits. Nous-même au chomage partiel depuis le 15 mars, notre préoccupation va être d’assurer les menus.
Il nous est plus facile que d’ordinaire de ne pas mettre les pieds dans les supermarchés. Nous privilégions toujours les magasins de proximité. Le lundi, Paul, un paysan boulanger, vient nous livrer son pain, ce qui nous suffit presque pour la semaine. Le mercredi c’est le jour de livraison du panier de notre Amap. Thomas, le maraicher, n’était pas chaud pour venir en centre ville pour nous livrer le panier hebdomadaire, dans l’après midi. Rapide consultation entre adhérent.e.s, et nous l’avons convaincu du contraire. A ses arguments d’être contrôlé et refoulé sur le chemin, de tomber malade au contact d’adhérents contaminés, nous lui avons opposé que son statut de maraicher lui permet de livrer de la nourriture; que si nous prenons les précautions qui s’imposent, personne ne risque de contamination; et que ce mode d’organisation en circuit court et direct allège les magasins d’alimentation pris d’assaut depuis plusieurs jours. En gros, tous les adhérent.e.s passent les éventuels contrôles policiers... Il faut dire que les distributions de paniers, même à ciel ouvert comme nous le faisons -faute de mieux- ne rentrent pas dans la catégorie des espaces du type des marchés. La préfecture du Gard nous donne son feu vert, à posteriori. Thomas n’auras pas travaillé pour rien, ses produits ne seront pas gâchés, et nous voilà équipés, ainsi qu’une vingtaine de familles, de bons produits pour plusieurs jours.
Nous nous organisons avec trois autres familles pour prendre les paniers, et limiter les déplacements. A chaque porte qui s’ouvre, même brièvement, le même constat: parler, parler, parler...encore et toujours, même à bonne distance, puisque les relations sociales physiques se réduisent sans cesse.
Je m’organise quotidiennement pour passer deux coups de fil à des amis, des membres de la famille... Faute de présence humaine, renouer la proximité avec ceux qu’on aime me paraît vital. J’ai toujours défendu une philosophie de l’action -au sens libertaire-, de l’engagement. Et je reste frustré de ne pas pouvoir être plus impliqué. Comme je reste pensif par l’apparente insouciance qui s’exprime souvent sur les réseaux sociaux , et qui tranchent avec les échanges verbaux, plus sérieux, anxieux.
Je vais enfin pouvoir faire ce que je remettais à toujours plus tard, travail oblige: remonter une bordure dans notre petit jardin et finir un abri pour insectes. Les jardineries sont fermées; je vais donc devoir penser mes travaux à partir de matériaux que j’ai dans mon environnement immédiat: pierres provenant d’ouvrages anciens plus ou moins démolis, mes outils, des chutes de bois... Avec tout le temps délivré du salariat, et dans une situation dramatique, comment vit-on et aime-t-on hors du capitalisme -même relativement- ? C’est ma réflexion du jour.
Daniel de Nimes

25/03/2020 Attention, 2 chroniques

1ère chronique
Encore une nuit approximative… Depuis que j’ai repris le bar dans ce coin de Bretagne avec Renaud, j’accumule la fatigue… Entre 50 et 60H de boulot semaine et même quand je bosse pas, je bosse car… J’habite au-dessus du bar ! Crevé, je vous dit ! Et là, depuis notre fermeture administrative annoncée en loucedé par le Premier sinistre, on peut dire que j’ai le temps de me reposer... On ouvre plus que cinq heures et demi au mieux… Et bien, depuis lors, je crois que j’ai su récupérer… Et que maintenant je dors trop… Ou je bois trop de café… De toutes façons, je suis une pile électrique montée sur ressort… J’arrête pas et j’ai jamais arrêté… Le confinement m’a déjà permis de liquider une partie de mon travail en retard d’archéologie… Si ma nuit était approximative, c’est que je me suis réveillé toutes les heures à partir de 4H… Ça m’arrive une nuit sur deux depuis la Catastrophe… Pourtant, je suis reposé… Non, ça doit être la solitude… Cette putain de solitude que Reggiani a su si bien chanter… Déjà une semaine que Ruti est partie retrouver ses gosses… Quinze jours que mon fils est parti chez sa mère… Et qu’il n’est pas revenu malgré la résidence alternée : mon commerce étant ouvert, le risque que je porte ou que je chope le Covid19 a été le prétexte que sa mère a trouvé pour qu’il reste avec elle jusqu’à la fin du confinement… En même temps, douze ans que je suis séparé d’elle et que je vois mon gosse en alternance… Six semaines ne devraient pas me tuer… Et pourtant, il me manque mon ado. Bref, la solitude, j’aime pas… Elle réveille le démon de la déprime tapi au fond de moi… Au moins, je risque pas de repeupler la France… Par contre, je risque la surdité !!!
Émergeant doucement, j’envoie « Buenos dias mi cielo estrellado » a mi madrileña… Petit rituel pris depuis des mois déjà et dont seuls les mots changent. Allez hop ! Je saute dans mon slip… Gast ! Que ça caille… Ah oui, j’ai coupé le chauffage pour faire des économies ! Petite douche rapide… Et je descends mettre en route le commerce… D’abord, le coffre-fort et le fond de caisse… Le terminal FdJ et la caisse à allumer… Le Ouest-Torchon à aller chercher dans la boîte où le porteur le dépose chaque jour… Le tapis de seuil à poser et les poubelles à positionner… Terminé !!!! Le Covid19 a beaucoup simplifié la mise en route. Allez… Je vais déjeuner en écoutant la RTF… C’est dingue : faut que je me tape Demorand à cause d’un putain de virus… Moi qui n’écoute plus Inter depuis que la crapule de Philippe Val a éjecté Didier Porte… Déjeuner avalé… Café pas terminé et en main : Showtime !
Je descends au bar et tire les rideaux ! Je sors le Stop-Trottoir marqué ouvert… Et… J’attends… J’allume la télé et le décodeur Orange pour mettre la radio… Oh ! Non ! Johnny Cash… Ça va me détendre… 8H20… JP arrive. Il est l’un des plus déboussolés. Notre premier client du matin depuis qu’on a ouvert café, clopes et jeux à gratter. On échange quelques banalités et on regarde les serins et les mésanges jouer dans le caniveau en face. Il boit son café à emporter… Sur place… Il n’y a personne… Ah tiens ! Un autre client… Des Lucky rouges en 20… JP sort fumer et respecter bon an mal an les consignes… Lucky part, JP revient… Second café… Dans le même gobelet… Il gratte un peu… C’est drôle la FdJ a annoncé hier enfin que les jeux à gratter et la loterie n’entraient pas dans la case première nécessité… Mais les clopes si ! En même temps, faut bien continuer à faire entrer de l’argent dans les caisses de l’état… Et je vous dis pas l’émeute si les fumeurs étaient d’un coup sevrés ! JP finit par partir, son ouest sous le bras et le sourire aux lèvres… P. prend quelques-uns des Ausweis comme il les appelle lui-même… En effet, j’ai eu l’idée de mettre à disposition des copies d’autorisations de déplacement dérogatoire à prix libre… Au début, pas accoutumés au prix libre, mes clients jouent le jeu… Une me donne même 18€ !!!! Rideau !
Première pause… Réouverture dans deux heures… J’éteins tout sauf la caisse. Y a pas de petites économies… Je rappelle Ruti pour prendre de ses news… Nous qui démarrions notre histoire d’amour… La séparation contrainte est dure à vivre… Je fais ma vaisselle de la veille… Et je file faire mes courses. Ausweis signé, c’est parti ! Je parcours tranquillement le kilomètre qui me sépare de la boulangerie, récemment installée dans une Zone Artisanale qu’elle est la seule à occuper… La file d’attente est lâche… Le mètre cinquante est largement respecté… Je prends un gros pain… Objectif ne pas revenir avant cinq jours ! Passage par la pharmacie : j’achète de la Vitamine C… Je peux plus mélanger jus de fruits et café à cause de mes aigreurs d’estomac… Petit passage à l’épicerie… J’achète du liquide vaisselle « écolo », de la crème fraîche locale et je me laisse tenter par un plat cuisiné froid de mon traiteur-épicier… Ça ira bien avec la soupe… Quelques phrases avec mon collègue de galère et je redescends (mon bled est installé sur une barre de grès armoricain et mon bar est sur le versant vers le lac). Il fait beau. La vue est superbe… Et y a pas un passant… Une semaine que les récits d’anticipation de G. A. Romero ont pris partiellement vie… Quel dommage qu’il soit mort avant de voir ça !
11H17… Je rouvre en avance… Je viens déjà de donner des clopes à peine rentré de mes courses… Alors, autant ouvrir… C’est ça aussi rendre service à la cambrousse. C’est le créneau le plus dense… Beaucoup de tabac… Les clients ont pris le pli des « gestes barrières ». La file est lâche comme à la boulangerie… Tellement lâche qu’une femme la zappe ! Elle se fait aussitôt engueuler par un habitué… Monsieur me dit être tendu par la situation. Je le calme un peu… Faut dire que la tension monte depuis quelques jours… Les gens sont perméables à l’angoisse et aux questionnements que génèrent le virus et la manière dont le gouvernement gère, à la remorque des experts… « Écoutons nos soignants » que disait le PDG de la Sart-up Nation… Quel guignol! C’est pas comme si cela ne faisait pas des mois que les soignants criaient au manque de moyens ! A. passe prendre ses gauloises et faire son Keno… Il a le sourire en ce moment : il a gagné il y a trois jours. Dans le fond, je suis content pour lui… Chacun et chacune prennent le temps de parler… Plus encore qu’en temps normal… 13H20… Personne depuis 40 minutes… Rideau !
Le plus dur est de se faire à manger… J’adore cuisiner mais pour moi seul, j’ai une flemme d’enfer… Par chance, j’ai mon petit plat froid et ma soupe panais-carotte-patate de la veille. Ça tombe bien car après j’ai décidé d’approfondir mes connaissances de notre logiciel de caisse et de démarrer l’inventaire dans la foulée… Activité passionnante si il en fût… Mais nécessaire. Et de m’occuper m’évite de penser. Je survole les mails de mon organisation politique… Didier Raoult fait un raout sur les listes… Pas d’avis sur le type… Cette histoire de virus me dépasse. Je sais seulement une chose : le Néolithique a été le creuset des pandémies… Par la promiscuité homme-animal et les concentrations de population.. Celle-là semble bien répondre à la règle ; mondialisation et libéralisme économique ont servi d’accélérateurs. Et le futur s’annonce totalitaire...
17H… Je descends rouvrir en avance. Pas grand monde, j’ai le temps de lire Nestor Potkine dans mon mensuel préféré… Ça afflue doucement une demie-heure après… Le train-train lancinant du deale de drogue… L. vient chercher ses camels et prend une bière bouteille. C’est devenu son rituel quotidien… Elle me parle d’elle, son mari et ses gosses… De sa charge mentale finalement. Tiens JL arrive faire son loto ! Il me parle de Raoult… Je souris. Il me montre un article que le ouest du jour a consacré au bonhomme. Alors que je le termine arrive une dame sorti d’un film post-apocalyptique. Une petite vieille dans une blouse bleue. Avec un masque bricolé comme on en voit dans les films post-apo américains. Elle me parle mais je comprends à peine avec son masque. - Si j’ai un Ouest au nom de X ? - Non. - Oui je sais la Poste est pas passée. Elle prend un Ouest du présentoir qu’elle tord en baragouinant. Elle est complètement perdue. Cinq bornes à vélo pour venir ici. Pas d’argent… Je lui dis : « C’est bon, je vous l’offre ce Ouest ». Elle repart. A peine moins paumée…
19H42. Ménage terminé. 205,5€ de fonds de caisse pour demain. Je monte. Le silence est assourdissant… Je mets France 2. J’attends le show Lapix… Le journal télé se surpasse en terme de non-information... J’appelle Ruti pour la énième fois. J’adore écouter sa voix. Je lui commente les infos en préparant des pâtes carbonara. Je mate un peu mes mails. Les zozos à la télé rompent à peine le silence. Ce putain de silence. Cette foutue solitude. Je m’installe devant la télé… Dans leurs extrêmes bontés, Canal + et Orange offrent des chaînes gratuites pour les confinés que nous sommes. Je les dédaigne pour revoir Maximum Overdrive de S. King (1986)… Sur le canapé, Ruti me manque… Douleur fantôme au creux de l’épaule… Film fini. Brossage de dents et hop à poil dans le lit ! J’appelle Ruti encore pour lui dire bonne nuit… Par chance, ma nuit ne devrait pas être approximative…
Gwenolé Kerdivel

2e chronique Pas de pétrole mais des idées

Il paraît qu’en France on n’a pas de pétrole mais on a des idées. Il y a des gens qui ont de l’imagination, mais ça ne paie pas toujours. Un gars s’est vu infliger 135 euros d’amende parce qu’il promenait son lapin. A première vue c’est très con, quand on y pense, on a presque envie de se marrer, mais ça pose un réel problème de fond. A supposer qu’on ait le droit de promener ses animaux domestiques, le chat étant un animal domestique est-ce qu’on a le droit de promener son chat? Je dis ça pour les gens qui vivent en appartement, parce que pour les autres, les chats ne demandent l’avis de personne pour circuler à leur guise. Un jour, un mauvais coucheur a intenté un procès à un voisin dont le chat venait dans son jardin. Le juge a décrété que la notion de divagation (qui s’applique aux chiens et qui vaut une amende aux propriétaires) ne s’appliquait pas aux chats parce qu’ils sont chez eux partout. Quand votre chat passe en jugement, il vaut mieux tomber sur un juge qui en a un aussi.
Y a-t-il une loi qui définit ce qu’est un animal domestique, et pourquoi un lapin n’en serait-il pas un? En tout cas dans cette affaire le flic qui a dressé la contravention manque un peu d’humour. Je sais bien qu’en ce moment des gens meurent de ce putain de virus, et il va y en avoir encore beaucoup, beaucoup, alors faire de l’humour avec un lapin c’est plutôt mal venu. Mais dans les périodes tragiques comme celle que nous vivons, l’humour est un dérivatif, une dérobade, un exutoire. C’est un réflexe de survie. Avant l’entrée en guerre de l’Allemagne nazie, une blague oiseuse valait trois mois
à Dachau. Après, c’était à vie — si je peux dire.
À Lyon, à Paris et à Bayonne, des SDF ont eu une amende pour ne pas avoir respecté les règles de confinement. C’est idiot : comment diable récupérer 135 euros auprès d’un SDF ? Attendre qu’il devienne riche ? Ce qui me stupéfie surtout, c’est d’imaginer ce qui se passe dans les neurones d’un flic qui colle une contredanse à un mec qui vit dans la rue. La connerie, c’est quelque chose d’indécrottable. Comme disait Lacan, “La psychanalyse ne guérit pas de la connerie”.
Ce climat délétère instauré par le gouvernement va donner à tous les sous-fifres frustrés investis d’une parcelle d’autorité le loisir d’exercer leurs abus de pouvoir. En novembre 2019 deux flics de la SNCF avaient infligé une amende de 100 euros à un gars qui avait donné 70 centimes à une mendiante dans la gare de Toulouse. Après renseignement, le tarif était de 50 euros. Alors pourquoi une double amende ? Parce que c’était le “bon plaisir” des flics ? Devant le côté ridicule de la chose, la direction de la SNCF, gênée — après une campagne médiatique nationale et un tonnerre de protestations, il est vrai — avait annulé l’amende. Mais c’était avant le confinement. On imagine aisément les abus d’autorité que la situation d’aujourd’hui va encourager.
On imagine aussi les réflexes conditionnés que ces abus d’autorité vont créer, qui survivront si un jour on revient jamais à la « normale ».
Bon, sur ces considération fort pessimistes (« Je me sens très optimiste quant à l’avenir du pessimisme », disait Jean Rostand), je vous laisse car il faut que j’aille promener mon crocodile
René Berthier

24/03/2020

8ème journée de confinement, mais je parlerai surtout de la nuit. Car la nuit, les cauchemars sont nombreux et bizarrement toujours les mêmes. Imaginez. Nous habitons (là c’est la réalité) dans la campagne costarmoricaine dans une petite maison meublée, sans jardin, mais donnant sur des champs et des bois. Il y a pire comme condition de vie ces jours-ci. Et pourtant, je rêve que mon compagnon, mon fils et moi, partons faire de courtes balades aux alentours pour nous détendre et surtout ne pas péter les plombs en restant dans notre deux pièces, tout en veillant à ne croiser personne. Et soudain des CRS débarquent de nulle part, armés jusqu’aux dents, et nous embarquent en garde à vue, en nous lançant, ravis, que des voisins les ont prévenus qu’une famille de trois personnes avait désobéit aux consignes pourtant strictes du gouvernement.

La délation, cette bonne vieille habitude, qui ressurgit régulièrement dans notre histoire nationale. Le contraire de l’entraide et de la solidarité qui nous sont si chères…
Il parait également que je me suis remise à parler, la nuit. Et je n’arrête pas de parler. Je parle d‘organisation face au virus. Certainement une réaction à l’overdose d’informations qui inondent les réseaux sociaux tous les soirs, des annonces chiffrées anxiogènes aux discours guerriers d’inspiration pétainiste.

Et au réveil, des palpitations et surtout une totale incapacité à classer les scènes de la nuit dans la catégorie «onirique». Aujourd’hui je lis que des gentils voisins ont demandé à une infirmière de déménager car son activité les met en danger de contamination. Il y a aussi cette jeune fille qui part donner à boire à ses chevaux et qui écope d’une amende de 135€. Prendre soins des autres, tous les autres, commencent à coûter cher par chez nous.

Cela me remet en mémoire les échanges dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale fin juillet 2016 lors de la 4ème prolongation de l’État d’urgence. Cette nuit là, « droit-de-l’hommiste », était devenu une injure crachée à ma figure par la droite parlementaire. Cette nuit-là, l’unité nationale imposait de limiter nos libertés encore et encore pour lutter contre le terrorisme. On savait déjà pourtant depuis 6 mois que l’état d’urgence ne servait qu’à mater les écolos radicaux, les antifas et l’ensemble des récalcitrants au monde capitaliste.

Que de parallèles avec ce que nous venons de vivre il y a deux jours. Sous couvert d’« état d’urgence sanitaire », députés et sénateurs ont voté le contournement possible des 35 heures (depuis le temps qu’ils en rêvaient me direz-vous) et l’imposition des dates de congés payés et de RTT par l’employeur. Aucune limitation dans le temps, aucune date prévue de potentielle prolongation. Ça y est, c’est dans la loi. Et à l’instant nous apprenons que le gouvernement s’apprête (par décret ou arrêté) à autoriser la durée de travail à 60 heures tout en réduisant le repos entre chaque journée travaillée de 11 à 9 heures, et cela dans des secteurs précis. La casse du code de travail est en passe d’être parachevée.
Le Medef n’ose encore se réjouir ouvertement, ça ferait un peu tâche en pleine pandémie. Mais promis, ils se rattraperont lors de leur prochaine université d’été.

Je ne peux terminer ce billet sur une note si négative. Nous pouvons faire de cette période un puissant moment d’éducation populaire politique. Nous sommes confinés ? D’accord. Alors regardons et surtout partageons les documentaires qui nous émeuvent et nous font avancer, partageons nos lectures, formons-nous et ces journées du printemps 2020 prendront tout leur sens.

Enfin je profite de « ma » journée pour passer quelques messages personnels : à Elan noir et Monique, que la confiture de coing est presque terminée et à Gwénolé que la soirée débat à Châtillon n’est que partie remise. A vous mes ami.e.s, portez-vous bien et surtout à très bientôt !
Isabelle Attard

Pour retrouver les chroniques de la 1ère semaine, cliquez ici




PAR : Pierre sommermeyer and Co
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