Luttes syndicales > A la une le 28 juin 2016 : Loi travail et régression sociale
Luttes syndicales
par R. B. le 23 septembre 2019

A la une le 28 juin 2016 : Loi travail et régression sociale

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La loi El Khomri va provoquer une fantastique régression dans la situation des travailleurs salariés et remettre en question un siècle et demi de luttes sociales, parfois sanglantes, pour améliorer les conditions d’existence des travailleurs.



Jusqu’à présent on tenait pour acquis que chaque nouvelle génération vivrait un peu mieux que la génération suivante. Depuis une vingtaine d’années, on sait que ce n’est plus vrai.

Il y a certains faits qu’il est bon de rappeler pour remettre les choses en perspectives.





Le repos hebdomadaire. C’est quelque chose de relativement récent. Il a fait l’objet de nombreuses luttes par le mouvement ouvrier et les syndicats, et n’a été rendu obligatoire qu’en 1906, à la suite d’une terrible catastrophe minière à Courrières, qui a fait plus de mille morts.

La revendication de la journée de 8 heures a été posée par la CGT lors de son congrès de 1902, qui décida la préparation d’une grève générale pour le 1er mai 1906. Pourquoi le 1er mai ? C’est une référence à une manifestation qui eut lieu à Fourmies, le 1er mai 1891, qui tourna au drame : la police tira sur les ouvriers et fit 9 morts.

Le 1er mai 1906 eut lieu la grève générale projetée par la CGT depuis 1906, qui n’aboutit pas à une satisfaction effective de la revendication, mais qui incita de nombreux employeurs à accorder des réductions partielles du temps de travail : le processus était en en quel que sorte enclenché.

Ce n’est que le 23 avril 1919 qu’une loi instituant la journée de 8 heures sera votée.



Le temps de travail. Au milieu du 19e siècle, on travaillait 15 à 17 heures par jour, 7 jours sur 7, ce qui provoquait une morbidité effrayante chez les femmes et les enfants qui travaillent notamment dans les manufactures. A la suite de la révolution de 1848, la journée est fixée à 12 heures, mais la loi ne sera pas appliquée : les patrons considéraient que l’État ne devait pas intervenir dans les relations du travail, et face à eux il n’y avait pas de mouvement ouvrier organisé.

Une grève générale d’un mois, en 1936, impose le principe de la semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés. La Confédération générale du patronat français, ancêtre du Medef, hurle à la ruine. En fait, ces réformes vont provoquer une importante augmentation de la productivité du travail (donc des profits).

Malheureusement, cela ne dura pas : en 1938 le gouvernement Daladier promulgue un décret autorisant la semaine de 48 heures, puis la semaine de 60 heures.

1945 : A la Libération, retour aux 40 heures, avec instauration de la possibilité d’heures supplémentaires jusqu’à 48 heures payées 25% en plus, et au-delà de 48 heures payées 50% en plus.

• 1955 : Une grève victorieuse des métallurgistes de Renault en septembre 1955 aboutit à la loi du 27 mars 1956 fixant à 1,5 jour ouvrable par mois de travail la durée des congés payés, autrement dit à l’instauration de la 3e semaine de congés payés.

1969 : après la grève générale d’un mois en mai 1968, généralisation de la 4e semaine de congés payés sur proposition des députés communistes.

1982 : Le gouvernement décrète le passage de la semaine de travail à 39 heures et la généralisation de la 5e semaine de congés payés. L’âge de la retraite est abaissé de 65 à 60 ans.

1998-1998 : La loi sur les 35 heures est la dernière grande étape historique de la réduction du temps de travail en France.

2003 : La loi Fillon-Raffarin porte un premier coup aux 35 heures.

Progressivement, l’âge de la retraite est repoussé à 62 ans sans qu’on sache jusqu’où il va reculer.

• 2016 : La loi El Khomri va provoquer une régression de 60 ans.

À la fin du 19e siècle en Belgique, un député chrétien prêche pour le travail des enfants qui leur évite de traîner dans la rue en l’absence de leurs parents, qui leur apprend des vertus essentielles comme l’effort ou le courage et leur donne un métier... Il n’est pas rare de voir des enfants de six ans travailler, mais les patrons préfèrent les embaucher après la première communion, pour ne pas être obligés de les libérer pour aller au catéchisme, où on leur parlait sans doute de charité chrétienne et d’aimer son prochain, surtout leurs patrons. « Laissez venir à moi les petits enfants » prenait une valeur toute particulière pour les patrons qui employaient ces enfants dans les carrières, les briqueteries, les verreries, les aciéries, les filatures, dans les charbonnages où ils remplissaient et tiraient les wagonnets.

Dès 7 ans, on voyait les enfants à l’usine ; beaucoup d’entre eux arrivaient, encore endormis, juchés sur les épaules de leur père. Ils faisaient des journées s’étalant de 5 heures du matin à 10 heures du soir, avec une pause d’un quart d’heure pour déjeuner et d’une demi-heure pour dîner. Une journée de 12 heures est considérée comme légère.
En 1861 à Béthune, en France, un accident dans une mine fit dix-huit morts dont sept enfants qui avaient tout juste neuf ans. Plus de 90 % des jeunes gens provenant des secteurs très industriels qui se présentent pour le service militaire sont éclopés, handicapés ou difformes.
En 1874, la limitation de l’âge d’admission à l’embauche en France sera fixée à douze ans ; le travail de nuit sera interdit et le repos du dimanche deviendra obligatoire pour les ouvriers âgés de moins de seize ans. Il faudra attendre 1905 pour que d’autres lois complètent celle-ci. A Barcelone, il y avait une agence de placement d’enfants estropiés, vendus ou loués à des industriels. (Le Réveil des Verriers, 28 juillet 1895 et 25 septembre 1898). En 1898, on dénonçait le trafic d’enfants italiens achetés pour trois ans à leurs parents pour 100 francs par an et exploités dans les verreries à Paris ou dans le Nord de la France.

La tentative d’imposer une fantastique régression du code du travail, c’est-à-dire des relations entre salariés en employeurs, pose en fait un problème éthique, et qui peut se résumer à ceci :

1. Qu’est-ce qui faisait qu’un patron de manufacture de la fin du 19e siècle accepte de faire travailler ses ouvriers 12, 14, 17 heures par jour sans qu’il ait le moindre état d’âme ? Qu’est-ce qui faisait qu’un tel patron de manufacture fasse travailler des enfants de 7 ans, de 5 heures du matin à 10 heures le soir sans qu’il ait le moindre état d’âme ? Je serais tenté de dire : l’absence de rapport de force provenant du monde du travail, et accessoirement l’absence de cadre législatif restreignant la rapacité des patrons – sachant par ailleurs que le cadre législatif est totalement inopérant sans rapport de force face aux employeurs, comme l’expérience le montre constamment, et comme elle le montre (peut-être) encore aujourd’hui.

2. Humainement parlant, les manufacturiers, patrons de mines, etc. étaient-ils différents de leurs homologues d’aujourd’hui ? S’agissait-il d’une espèce différente ? La culture religieuse dont ils étaient profondément imprégnés n’aurait-elle pas dû les inciter à plus d’humanité ?
Le retrait des entraves à la rapacité des patrons – car la loi El Khomri, c’est absolument cela – ne va-t-elle pas briser toutes les digues qui les empêchent de revenir à la situation que connaissaient nos anciens à la fin du 19e siècle ? Croit-on vraiment que les employeurs vont rester « humains » et qu’ils vont se priver de s’engouffrer dans les brèches que leur apporte la « Loi travail » socialiste ?
PAR : R. B.
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