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par Vincent Bouzignac • le 6 décembre 2020
Petite réflexion autour des « Psys »
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Article extrait du Monde libertaire n° 1822 de novembre 2020
NDLR : dans la rubrique « Oppressions » du numéro 1814 du Monde libertaire, publié en février 2020, se trouvait paragraphe intitulé « Pas de psy dans nos vies » (p.36) qui appelait une réflexion et un développement plus approfondis. Voici une nouvelle contribution au sujet.
Les nuances « psy »
Les trois lettres du mot « Psy » souvent usitées pour désigner les professionnels de la « psyché », tendent à réduire et à homogénéiser un ensemble de praticiens qui reste à différencier afin de mieux cerner les nuances et les modalités de leurs champs d’exercices. Dans cet amas « psy » se distinguent, premièrement, les professions réglementées : les psychiatres qui sont des médecins, et possèdent un doctorat en médecine ainsi qu’une spécialisation en psychiatrie. Les psychologues qui ont un Master 2 en Sciences humaines mention psychologie avec des spécialisations qui valident, via une période de stage, l’usage du titre professionnel de psychologue qui est réglementé par un cadre législatif depuis 1985. Les psychothérapeutes, qui sont des professionnels habilités à utiliser ce titre après une demande auprès de l’Agence régionale de la Santé (ARS) et une inscription sur le répertoire national des psychothérapeutes ainsi que la validation d’une formation complémentaire en psychopathologie. Le titre de psychothérapeute est réglementé par décret depuis 2012. Ces praticiens doivent également pour exercer, figurer sur le répertoire des professionnels de santé « ADELI » gérée par les sections départementales des ARS. Aussi, si les psychiatres sont affiliés au conseil de l’ordre des médecins, la pratique de la psychologie est, elle, guidée par le code de déontologie des psychologues actualisé en 2012 [note] . Ce cadrage universitaire et de santé publique, valide des titres professionnels soumis à des réglementations précises et un champ de compétences spécifiques. Deuxièmement, les professionnels non soumis à réglementation avec notamment les psychanalystes dont l’usage du titre reste libre et non soumis à des validations institutionnelles. Néanmoins, pour être psychanalyste il faut avoir réalisé une analyse personnelle/didactique, être affilié à une école psychanalytique et en suivre les enseignements et les procédures hétéroclites qui ouvrent à la voie du passage à l’analyste. Dans la grande majorité, les psychanalystes sont des psychiatres ou des psychologues et possèdent une formation universitaire empiriquement ancrée. Enfin, une autre complexité du terme « psy » est qu’il est galvaudé et assimilé à un ensemble de pratiques très à la mode de « coaching » ou des techniques issues du grand marché du développement personnel et du bonheur « en kit ».
La psychanalyse. Du sujet au savoir.
Il ne s’agit pas ici de proposer une définition de la psychanalyse, mais plutôt d’en situer brièvement son lieu épistémologique et éthique. La psychanalyse est avant tout une praxis construite sur une méthodologie spécifique dont la règle fondamentale est l’association libre et spontanée des idées. Il s’agit de dire ce qui passe par la tête, sans censure, et de suivre l’envol de cette parole libre dans la dynamique du transfert. Le discours psychanalytique s’articule autour d’un paradigme subjectiviste/interprétatif, proche de la phénoménologie (Edmund Husserl 1859-1936). Elle prône finalement que la « vérité », notamment celle qui noue le symptôme, se situe du côté du sujet. Autrement dit, c’est la personne qui construit son propre savoir sur elle-même, savoir inconscient et sans cesse en réécriture, qu’elle dénoue à travers l’expérience de la parole et dans le transfert. Cette conception vient rompre avec les approches actuellement dominantes dans les champs « psy » que sont les neurosciences, les sciences cognitives ou encore les Thérapies cognitives et comportementales (TCC). Ces dernières sont construites à partir d’approches scientifiques héritées des sciences de la nature, objectivables, évaluables, aboutissant sur des protocoles cadrés et homogénéisés. C’est le discours scientifique et ses protocoles statistiques et expérimentaux qui donne la tonalité du savoir sur soi, il fixe la question du normal et du pathologique et des critères normaux d’adaptation à la vie sociale. Il ne s’agit pas ici d’avoir une position critique vis-à-vis de ces formes thérapeutiques qui restent pertinentes pour certains publics, mais d’en mettre en perspective l’axe épistémologique.
Pour résumer, d’un côté le discours scientifique et ses protocoles proposent au patient un savoir pour régler son symptôme, de l’autre c’est le patient, l’analysant qui construit son propre savoir sur son symptôme via le dispositif analytique. La psychanalyse opère un renversement dans l’architecture pyramidale du savoir que proposent les approches scientifiques. Dans l’éthique psychanalytique il s’agit surtout de laisser parler le patient, de l’écouter comme un individu singulier avec une histoire propre et de ne pas lui inférer un savoir qui serait institutionnel, normatif ou académique. C’est-à-dire un savoir qui serait extérieur à lui-même, par essence aliénant, d’où l’éternel silence de mort des psychanalystes. L’interprétation psychanalytique n’est valable qu’à partir d’un sujet la produisant dans l’expérience d’une analyse.
La question de la demande « psy »
La psychologisation des individus dans nos sociétés ne peut faire aucun doute et pose question. Dans ce contexte, il faut différencier d’une part, les démarches de consultations psychologiques, psychothérapeutiques ou psychiatriques motivées par une demande autonome et personnelle – consulter un « psy » est en ce sens un acte libre, éclairé, qui vise à un mieux-être, à mieux se comprendre, une atténuation d’un symptôme qui altère la vie quotidienne – et d’autre part, les consultations psychologiques qui s’inscrivent au sein d’institutions, où la rencontre avec les « psys » s’articule autour de dispositifs institutionnels spécifiques et dans lesquels la demande de rencontre psychologique est parfois confuse ou inexistante ou faite par un tiers. C’est sur ce dernier point, lorsqu’elle se situe à l’interface des institutions et des personnes, que le phénomène de psychologisation peut s’avérer problématique. Si elles participent au lien social, les institutions exercent un pouvoir normatif sur les individus. Elles hiérarchisent, classent, divisent, déterminent, imposent des miroirs symboliques identificatoires. Au-delà de l’institution hospitalière et de la prise en charge des maladies mentales (Foucault, 1954) [note] , l’univers socio-économique et les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle (travail, RSA, chômage, insertion 15-25 ans…) sont autant d’espaces où la psychologisation des individus opère.
De la psychologisation à la Z(S)AD
La pensée ultra-libérale dominante propose une vision purement individualiste des phénomènes socio-économiques. Cette vision très médiatisée, définit un individu auto-engendré, a-historique, coupé de l’ensemble des déterminismes et des interdépendances systémiques, et pour lequel prime, à l’instar du héros hollywoodien, l’axe psychologique de l’autodétermination et la motivation intrinsèque pour asseoir sa réussite sociale. Imbibées de ces conceptions, les politiques publiques tendent à déplacer le poids des problématiques socio-économiques engendrées par le système libéral vers l’individu via un discours martelant l’internalisation culpabilisante de ses difficultés. L’axe du travail d’inclusion vise à combler les manques et défaillances personnelles (compétences, savoirs, personnalité…) qui permettrait à cet « Autre », auto-défaillant, de lui fournir les outils permettant de « traverser cette rue » et trouver sa place dans l’idéal vertical de la cordée. Ainsi, les demandes institutionnelles dans le champ socio-économique s’articulent autour d’un modèle adaptatif dont la finalité est de conformer le sujet aux problématiques économiques. Le psychologue s’avère un des « outils » institutionnels permettant de réguler les difficultés individuelles à partir d’un travail « sur soi » visant à modifier ce qui fait psychiquement défaut, ce qui manque, rate, freine, et qui empêche le sujet d’accéder à une forme d’autonomie économique. D’où le développement d’une psychologie comportementaliste (collective) visant un travail sur différentes dimensions de la personnalité : motivation intrinsèque, estime de soi, image de soi, esthétisation de soi, autodétermination, sentiment d’efficacité personnelle, renforcement identitaire. C’est là que se situent majoritairement les demandes institutionnelles plus ou moins formelles du travail psychologique visant le changement, changement dans le sens, non pas de l’émancipation du sujet, mais du pouvoir, de la norme et de l’aliénation de ce dernier. C’est cela que nous pouvons nommer psychologisation. Créer des modifications intrinsèques chez le sujet afin qu’il puisse s’adapter à un environnement socio-économique normatif. Néanmoins, l’exercice de la psychologie demande, et ce, quelle que soit sa position (expertise, évaluation, accompagnement…) de percevoir et d’analyser les enjeux de pouvoirs relatifs au contexte institutionnel et de construire des réponses étayées sur l’éthique et la déontologie. Un des fondements du code de déontologie des psychologues indique : « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues ». Pour les psychologues, il s’agit donc d’être garant de l’intégrité psychique des sujets, d’être porteur de la parole du sujet au sein de l’institution et de garantir une forme de Z-S-AD, Zone Subjective A Défendre. Lieu de la prise en compte de la singularité des sujets que la normalisation et les procès de mise au travail coercitive tendent à annihiler.
Éman«psy»pation ?
De façon générale, l’individu n’est pas à penser comme une forme de cire molle sur laquelle viendra s’inscrire le sceau d’une acculturation unilatérale de la norme dominante. À un premier niveau, avec ou sans « psy », les individus mettent en place des formes de résistances, des oppositions face aux aliénations institutionnelles qu’ils peuvent rencontrer. Ces résistances individuelles forgent des coalitions permettant la mise en place de luttes et d’avancées sociales d’envergure dont l’histoire nous donne de nombreux exemples. À un second niveau, il y a la question du symptôme, du conflit intrapsychique à l’origine de la plainte, qui vient parfois s’articuler autour d’une question plus vaste en balayant parfois violemment les certitudes établies, une question liée à un mal être existentiel, une souffrance ontologique. Les thérapies comportementales, comme les médicaments, les neurosciences peuvent traiter le symptôme, l’atténuer, l’adapter à un fonctionnement social conventionnel, mais elles ne viennent pas répondre à un questionnement qui touche l’intime, le rapport au monde, la profondeur de l’être, l’inavouable du désir inconscient. Se confronter à cette question sur le divan d’un psychanalyste s’avère une mise en miroir libératoire permettant une forme de désaliénation partielle et singulière, de « liberté » apportée par une « révolution subjective ». L’acte d’introspection permet une mise à distance de soi, de son histoire, des déterminismes inconscients mais également des dogmes et des discours dominants. Il permet de s’inscrire différemment dans le lien social et renforce la capacité à créer, innover, sortir de l’ornière de la répétition. Effectivement, comme l’écrit Dadoum (2002, p.13-14) [note] la psychanalyse est une discipline bourgeoise, mais son histoire est marquée par une volonté des systèmes totalitaire à l’éradiquer, l’interdire, à incinérer ses productions de livres, car elle est perçue comme dangereuse par les pouvoirs dogmatiques.
La psychanalyse, la psychologie clinique peuvent être un « outil » du processus de compréhension de soi et de mise à distance des enjeux de domination. Psychanalyse et Anarchie peuvent entretenir des oppositions, des conflits, mais également des liens, des rapprochements marqués par l’émancipation et la quête d’une forme de liberté. C’est cette question qui est développée dans l’ouvrage de Dadoum, R. Lesage de la Haye, J. et Garnier, P. (2002). Qu’en est-il dans notre monde contemporain où le discours dominant de la science et de ses expertises a considérablement réduit l’espace subjectif et la capacité à construire, créer son propre savoir sur soi En quoi mieux se connaître avec ou sans « psy » ne participerait pas à une forme d’émancipation libertaire, une révolution singulière, subjective ?
Vincent Bouzignac
PAR : Vincent Bouzignac
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