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par Isabelle • le 17 avril 2022
Nous les femmes : quel(s) militantisme(s), comment, pourquoi ?
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Article extrait du Monde libertaire n°1837
Parce que je milite politiquement depuis maintenant une dizaine d’années voire plus avec beaucoup d’aléas par rapport à ce militantisme, parce que j’ai remarqué que dans le champ politique et syndical, les femmes sont largement sous-représentées, parce que j’aimerais beaucoup qu’elles me rejoignent dans cette lutte pour une société égalitaire, je me suis posé la question du pourquoi et du comment de cette dépolitisation des femmes.
Je tente d’y apporter quelques réponses sachant que ces dernières sont loin d’être exhaustives.
La place des femmes dans la vie publique : pourquoi notre engagement est-il essentiellement d’ordre social ?
Les femmes s’investissent massivement dans les associations à caractère social mais très peu dans la vie politique.
On peut dire que la principale responsable de notre dépolitisation, autrement dit de notre engagement associatif voire « caritatif » est l’image qui nous est renvoyée par notre éducation, par les médias, par le système politique patriarcal capitaliste, de nous-mêmes.
Je vais reprendre une citation de Simone de Beauvoir (cf Le deuxième sexe) pour éclairer mon propos :
« La femme a des ovaires, un utérus ; voilà des conditions singulières qui l’enferment dans sa subjectivité ; on dit volontiers qu’elle pense avec ses glandes. »
À partir de ce mythe psycho-naturaliste, s’élabore toute une construction éducative des femmes qui est ancrée dans notre intimité pratiquement inconsciemment et dont nous allons devoir nous débarrasser tout au long de notre vie pour récupérer une parcelle d’espace public.
En premier lieu, évacuer cette culpabilité (inscrite dans l’Ancien Testament), véhiculée par toutes les religions et utilisée par les médias, du fameux péché (vous savez le coup de la pomme), qu’on nous renvoie à la figure quand nous ne nous investissons pas totalement dans la sphère privée comme cela nous est imparti c’est à dire être « pute ou soumise » ou les deux à la fois, c’est encore mieux !
En second lieu, quand nous voulons malgré tout nous investir politiquement et syndicalement et récupérer l’espace qui devrait dans une société égalitaire nous être dû à côté et avec les hommes, nous devons nous organiser avec toutes les contraintes matérielles que cela suppose et quand nous n’en sommes pas submergées.
Quand il nous reste suffisamment d’énergie pour militer, il est très fréquent que les qualités que nous avons développées dans la sphère privée soient détournées dans la sphère publique : le sens de l’écoute, l’organisation, la sensibilité, la prise en charge de l’intendance sont la plupart du temps récupérés pour « dorer le blason des machistes » (et dans le terme « machiste » j’y inclus les femmes qui, pour se faire une place au soleil à côté de nos charmants hommes, en ont intégré les stratégies de pouvoir).
Non seulement on détourne nos « qualités » mais en plus, on profite des « défauts » dont les pauvres « décervelées » tout juste bonnes à être belles, torcher les mômes quand elles en ont et faire le ménage n’ont pas la bonne aubaine d’être pourvues : « Nous n’y connaissons rien à la stratégie politique ou syndicale ! », ne manions pas bien un langage pseudo-politique que ces messieurs savent si bien utiliser à grands renforts de statistiques et de citations.
Nous n’avons pas le sens du pouvoir et de la domination (exceptées les « femmes machistes » dont j’ai parlé plus haut) parce que ce n’est pas un domaine qui nous est réservé dans notre vie personnelle : « Sois belle et tais-toi ! » est toujours en vigueur et quand nous faisons preuve de pugnacité, nous sommes souvent accusées d’être des viragos, voire des mal baisées (ceci étant la faute à qui ?).
Nous sommes les gérantes des conflits privés la majeure partie du temps et comme dans le militantisme, c’est souvent la « foire d’empoigne », nous ne nous investissons pas dans les conflits publics, ayant eu notre dose chez nous.
Comment faire en sorte que nous, les femmes, nous investissions politiquement et syndicalement ?
Il faut créer des conditions pour accueillir les femmes au sein de nos instances et la première des conditions est le cadre qui nous permettra de nous ouvrir à cet espace public dont nous sommes dépossédées.
Si nous reprenons la définition de Lalande : [une structure est]« un ensemble, système formé de phénomènes solidaires tels que chacun dépend des autres et ne peut être que ce qu’il est dans et par sa relation avec eux », est-ce que nos structures syndicales et politiques ont compris cette définition ? Déjà, on peut peut-être commencer par féminiser cette citation !
Ensuite, il me paraît d’une évidence teintée de bon sens que pour que les femmes puissent se rendre aux réunions, elles soient déchargées des contraintes qui leur permettront d’y participer : si elles intègrent des groupes, donnons-leur la parole en créant des commissions femmes avec possibilité de non- mixité.
Quel intérêt a cette non-mixité ?
Des extraits d’un texte du livre de Liz Holtom, Greenham Common, camp de paix, camp de femmes, vont l’expliquer (ce camp a fonctionné dans les années 80 en Angleterre devant une base militaire) : « ... Le camp de Greenham a toujours été une initiative des femmes. Non parce qu’elles détestent les hommes mais pour des raisons positives. Dans le passé, les femmes ont été exclues de la vie politique- pas toujours volontairement de la part des hommes - mais tout simplement à cause du langage et des méthodes employées par les hommes... Cependant, les femmes ont développé entre elles des façons de s’organiser beaucoup moins rigides basées sur le fait de se considérer d’abord comme des personnes et non comme des machines à penser.
Le mouvement des femmes apporte beaucoup d’enseignements sur l’organisation et cela commence à se diffuser dans l’ensemble du mouvement de paix. Agir sans hiérarchie, sans avoir à crier plus fort que les autres ; admettre ses émotions et celles des autres ; utiliser à plein la fantaisie dans les actions, par exemple dans les symboles... »
Il y a aussi des apports pratiques : « assurer à tour de rôle les fonctions de secrétaire et de trésorière, si ces fonctions sont nécessaires ; se mettre en rond pour se réunir, afin de se regarder en parlant... limiter le nombre de personnes dans les groupes pour qu’ils fonctionnent au mieux... »
Dans ce texte on y cerne toutes les données utilisables pour un investissement plus important voire égalitaire des femmes dans la lutte et transférable à des groupes non-mixtes.
Cela donne surtout la possibilité de faire découvrir aux femmes, dans des groupes non-mixtes, toutes les capacités qu’elles peuvent mettre en œuvre pour lutter.
Recréer, ce qui est en train de se faire, des « réseaux féministes » est une nécessité qui a prouvé son efficacité dans le passé (lutte pour le droit à l’avortement, etc. ...).
Quel(s) militantisme (s) ?
Il est bien évident que je ne vais pas inciter mes copines à adhérer au Rassemblement national et à tout parti ou organisation politique ou syndical faisant fonctionner un système basé sur une hiérarchie. De toute façon, si nous voulons trouver un espace où notre parole sera entendue à égalité avec celle des hommes, il vaut mieux que nous allions là où les idées de solidarité, d’entraide y sont défendues. Ceci étant, il ne faut pas rêver : dans les milieux libertaires ou syndicaux révolutionnaires règnent aussi le machisme et l’abus de pouvoir.
Comment faire pour s’en débarrasser ? En militant solidairement entre femmes et avec les hommes, en se soutenant les un-e-s les autres dans notre combat pour une société où les femmes et les hommes y auront la place qui devrait être impartie à toute personne vivante sur notre terre, en ne considérant pas que la lutte anti-patriarcale est accessoire mais qu’au contraire elle a sa place au même titre que les autres luttes pour abolir cette société capitaliste.
De biens grands mots tout cela : non, pas du tout. Si toutes les femmes présentes dans ces instances politiques ou syndicales, à l’aune de leurs possibilités, font entendre leurs voix, communiquent entre elles et autour d’elles, militent un tant soit peu dans des syndicats ou des instances politiques, on les écoutera.
Le chemin est parsemé d’embûches, je suis bien payée pour le savoir, mais fait aussi de formidables moments de plaisir et de rires avec ou sans nos compagnons.
Il me semble aussi qu’à partir du moment où l’on s’engage dans une révolution de pensées, que l’on déstabilise les schémas qui se sont construits les deux mille dernières années (voire beaucoup plus) et qui sont de nouveau à l’honneur dans notre société capitaliste où le pouvoir de l’argent est roi, on ne peut pas faire machine arrière.
Nous essayons de construire une société sans pouvoir, où chacun-e trouve sa place. Malheureusement, nous ne sommes pas assez de femmes. Et notre voix n’est pas suffisamment entendue.
Pour toutes les raisons que j’ai expliquées précédemment, je continue à militer parce que j’ai trouvé des femmes et des hommes qui se posaient à mes yeux des questions fondamentales ou plutôt la question fondamentale : comment faire en sorte que nous ayons chacun-e et tous-tes notre place sur cette terre en nous respectant mutuellement ?
Vous allez sans doute être étonné-e-s de ne pas voir souvent le mot « féminisme » dans ce texte, mais qu’est-ce que le féminisme, sinon ce que je viens d’expliquer ?
Isabelle
Je tente d’y apporter quelques réponses sachant que ces dernières sont loin d’être exhaustives.
La place des femmes dans la vie publique : pourquoi notre engagement est-il essentiellement d’ordre social ?
Les femmes s’investissent massivement dans les associations à caractère social mais très peu dans la vie politique.
On peut dire que la principale responsable de notre dépolitisation, autrement dit de notre engagement associatif voire « caritatif » est l’image qui nous est renvoyée par notre éducation, par les médias, par le système politique patriarcal capitaliste, de nous-mêmes.
Je vais reprendre une citation de Simone de Beauvoir (cf Le deuxième sexe) pour éclairer mon propos :
« La femme a des ovaires, un utérus ; voilà des conditions singulières qui l’enferment dans sa subjectivité ; on dit volontiers qu’elle pense avec ses glandes. »
À partir de ce mythe psycho-naturaliste, s’élabore toute une construction éducative des femmes qui est ancrée dans notre intimité pratiquement inconsciemment et dont nous allons devoir nous débarrasser tout au long de notre vie pour récupérer une parcelle d’espace public.
En premier lieu, évacuer cette culpabilité (inscrite dans l’Ancien Testament), véhiculée par toutes les religions et utilisée par les médias, du fameux péché (vous savez le coup de la pomme), qu’on nous renvoie à la figure quand nous ne nous investissons pas totalement dans la sphère privée comme cela nous est imparti c’est à dire être « pute ou soumise » ou les deux à la fois, c’est encore mieux !
En second lieu, quand nous voulons malgré tout nous investir politiquement et syndicalement et récupérer l’espace qui devrait dans une société égalitaire nous être dû à côté et avec les hommes, nous devons nous organiser avec toutes les contraintes matérielles que cela suppose et quand nous n’en sommes pas submergées.
Quand il nous reste suffisamment d’énergie pour militer, il est très fréquent que les qualités que nous avons développées dans la sphère privée soient détournées dans la sphère publique : le sens de l’écoute, l’organisation, la sensibilité, la prise en charge de l’intendance sont la plupart du temps récupérés pour « dorer le blason des machistes » (et dans le terme « machiste » j’y inclus les femmes qui, pour se faire une place au soleil à côté de nos charmants hommes, en ont intégré les stratégies de pouvoir).
Non seulement on détourne nos « qualités » mais en plus, on profite des « défauts » dont les pauvres « décervelées » tout juste bonnes à être belles, torcher les mômes quand elles en ont et faire le ménage n’ont pas la bonne aubaine d’être pourvues : « Nous n’y connaissons rien à la stratégie politique ou syndicale ! », ne manions pas bien un langage pseudo-politique que ces messieurs savent si bien utiliser à grands renforts de statistiques et de citations.
Nous n’avons pas le sens du pouvoir et de la domination (exceptées les « femmes machistes » dont j’ai parlé plus haut) parce que ce n’est pas un domaine qui nous est réservé dans notre vie personnelle : « Sois belle et tais-toi ! » est toujours en vigueur et quand nous faisons preuve de pugnacité, nous sommes souvent accusées d’être des viragos, voire des mal baisées (ceci étant la faute à qui ?).
Nous sommes les gérantes des conflits privés la majeure partie du temps et comme dans le militantisme, c’est souvent la « foire d’empoigne », nous ne nous investissons pas dans les conflits publics, ayant eu notre dose chez nous.
Comment faire en sorte que nous, les femmes, nous investissions politiquement et syndicalement ?
Il faut créer des conditions pour accueillir les femmes au sein de nos instances et la première des conditions est le cadre qui nous permettra de nous ouvrir à cet espace public dont nous sommes dépossédées.
Si nous reprenons la définition de Lalande : [une structure est]« un ensemble, système formé de phénomènes solidaires tels que chacun dépend des autres et ne peut être que ce qu’il est dans et par sa relation avec eux », est-ce que nos structures syndicales et politiques ont compris cette définition ? Déjà, on peut peut-être commencer par féminiser cette citation !
Ensuite, il me paraît d’une évidence teintée de bon sens que pour que les femmes puissent se rendre aux réunions, elles soient déchargées des contraintes qui leur permettront d’y participer : si elles intègrent des groupes, donnons-leur la parole en créant des commissions femmes avec possibilité de non- mixité.
Quel intérêt a cette non-mixité ?
Des extraits d’un texte du livre de Liz Holtom, Greenham Common, camp de paix, camp de femmes, vont l’expliquer (ce camp a fonctionné dans les années 80 en Angleterre devant une base militaire) : « ... Le camp de Greenham a toujours été une initiative des femmes. Non parce qu’elles détestent les hommes mais pour des raisons positives. Dans le passé, les femmes ont été exclues de la vie politique- pas toujours volontairement de la part des hommes - mais tout simplement à cause du langage et des méthodes employées par les hommes... Cependant, les femmes ont développé entre elles des façons de s’organiser beaucoup moins rigides basées sur le fait de se considérer d’abord comme des personnes et non comme des machines à penser.
Le mouvement des femmes apporte beaucoup d’enseignements sur l’organisation et cela commence à se diffuser dans l’ensemble du mouvement de paix. Agir sans hiérarchie, sans avoir à crier plus fort que les autres ; admettre ses émotions et celles des autres ; utiliser à plein la fantaisie dans les actions, par exemple dans les symboles... »
Il y a aussi des apports pratiques : « assurer à tour de rôle les fonctions de secrétaire et de trésorière, si ces fonctions sont nécessaires ; se mettre en rond pour se réunir, afin de se regarder en parlant... limiter le nombre de personnes dans les groupes pour qu’ils fonctionnent au mieux... »
Dans ce texte on y cerne toutes les données utilisables pour un investissement plus important voire égalitaire des femmes dans la lutte et transférable à des groupes non-mixtes.
Cela donne surtout la possibilité de faire découvrir aux femmes, dans des groupes non-mixtes, toutes les capacités qu’elles peuvent mettre en œuvre pour lutter.
Recréer, ce qui est en train de se faire, des « réseaux féministes » est une nécessité qui a prouvé son efficacité dans le passé (lutte pour le droit à l’avortement, etc. ...).
Quel(s) militantisme (s) ?
Il est bien évident que je ne vais pas inciter mes copines à adhérer au Rassemblement national et à tout parti ou organisation politique ou syndical faisant fonctionner un système basé sur une hiérarchie. De toute façon, si nous voulons trouver un espace où notre parole sera entendue à égalité avec celle des hommes, il vaut mieux que nous allions là où les idées de solidarité, d’entraide y sont défendues. Ceci étant, il ne faut pas rêver : dans les milieux libertaires ou syndicaux révolutionnaires règnent aussi le machisme et l’abus de pouvoir.
Comment faire pour s’en débarrasser ? En militant solidairement entre femmes et avec les hommes, en se soutenant les un-e-s les autres dans notre combat pour une société où les femmes et les hommes y auront la place qui devrait être impartie à toute personne vivante sur notre terre, en ne considérant pas que la lutte anti-patriarcale est accessoire mais qu’au contraire elle a sa place au même titre que les autres luttes pour abolir cette société capitaliste.
De biens grands mots tout cela : non, pas du tout. Si toutes les femmes présentes dans ces instances politiques ou syndicales, à l’aune de leurs possibilités, font entendre leurs voix, communiquent entre elles et autour d’elles, militent un tant soit peu dans des syndicats ou des instances politiques, on les écoutera.
Le chemin est parsemé d’embûches, je suis bien payée pour le savoir, mais fait aussi de formidables moments de plaisir et de rires avec ou sans nos compagnons.
Il me semble aussi qu’à partir du moment où l’on s’engage dans une révolution de pensées, que l’on déstabilise les schémas qui se sont construits les deux mille dernières années (voire beaucoup plus) et qui sont de nouveau à l’honneur dans notre société capitaliste où le pouvoir de l’argent est roi, on ne peut pas faire machine arrière.
Nous essayons de construire une société sans pouvoir, où chacun-e trouve sa place. Malheureusement, nous ne sommes pas assez de femmes. Et notre voix n’est pas suffisamment entendue.
Pour toutes les raisons que j’ai expliquées précédemment, je continue à militer parce que j’ai trouvé des femmes et des hommes qui se posaient à mes yeux des questions fondamentales ou plutôt la question fondamentale : comment faire en sorte que nous ayons chacun-e et tous-tes notre place sur cette terre en nous respectant mutuellement ?
Vous allez sans doute être étonné-e-s de ne pas voir souvent le mot « féminisme » dans ce texte, mais qu’est-ce que le féminisme, sinon ce que je viens d’expliquer ?
Isabelle
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